Une lettre anonyme sème le trouble chez McKinsey

Nouveau rebondissement pour le géant mondial du conseil, en Europe cette fois. McKinsey est en effet déstabilisé par une lettre anonyme supposée émaner d’anciens associés. Le point sur les faits.

Lydie Lacroix
27 Mar. 2024 à 18:00
Une lettre anonyme sème le trouble chez McKinsey
© Robert Stump/Unsplash

Selon un article du Sunday Times daté du 23 mars, une lettre appelant à la refonte de McKinsey et s’autoproclamant rédigée par « d’anciens partners mécontents » a été diffusée en ligne le week-end des 16 et 17 mars. Elle aurait largement circulé au sein du cabinet et suscité l’inquiétude de certains des principaux associés européens, qui y ont immédiatement réagi.

Dès le 18 mars au soir, il n’était plus possible d’accéder à ce texte.

à lire aussi

Si la publication anonyme peut être l’œuvre de tiers extérieurs au géant américain, le vocabulaire employé comme le style mobilisé ressemblent à s’y méprendre à ceux de la firme — selon les sources ayant pu la consulter.

Autre élément pouvant orienter vers d’anciens « McKinsey » : le titre de la lettre, en référence à une célèbre formule de Marvin Bower, « the obligation to dissent ». Ce dernier est réputé avoir donné ses lettres de noblesse au conseil en stratégie au sein du cabinet qu’il a rejoint en 1933, James McKinsey l’ayant fondé en 1926.

Une « obligation » qui fait toujours partie des grands principes de McKinsey à destination des jeunes recrues et au fil du parcours professionnel des consultants.

Un « engagement qualitatif et quantitatif des partners » qui serait en déclin

Le principal reproche adressé à McKinsey et à ses dirigeants actuels est la recherche « agressive » de croissance depuis des années, avec des effectifs en hausse de 60 % au cours de la dernière décennie — ce qui représente 46 000 employés à l’échelle mondiale. Selon les auteurs de la lettre, le cabinet aurait étendu ses activités à des domaines qui vont au-delà de ses expertises reconnues. La qualité de ses conseils s’en trouverait affectée, ce qui nuirait gravement à l’image de marque de McKinsey alors que la firme a toujours été un symbole d’excellence.

L’engagement des associés est également pointé du doigt, sur le plan qualitatif et quantitatif. Le cabinet aurait par ailleurs choisi lui-même de fonctionner en « surcapacité ».

Une image moins flamboyante à divers égards

Le géant américain traverse en effet une période de turbulences dans le monde entier, entre une succession de scandales (celui des opioïdes notamment, aux États-Unis) et un leadership contesté. La réélection de Bob Sternfels à la tête du cabinet a d’ailleurs eu lieu sur le fil. Pour rappel, son prédécesseur, Kevin Sneader, n’avait effectué qu’un seul mandat, et il a désormais quitté la firme. 

Le contexte économique se fait par ailleurs plus incertain. En février 2024, 3 000 consultants du cabinet ont ainsi été avertis de leur déficit de performances et appelés à y remédier sous trois mois. Bien que McKinsey y voie une situation “relativement habituelle”, cette mise sous revue traduit une plus grande vigilance de McKinsey quant à ses effectifs. Les fonctions support ont quant à elles fait l’objet du premier plan social de l’histoire du cabinet, début 2023.

Des reports de paie avaient également été demandés aux partners, la totalité de leur rémunération leur ayant été in fine distribuée en 2023.

Pour une refonte du système et un retour de l’esprit McKinsey

En était-ce trop pour les anciens associés supposés rédacteurs de la mystérieuse lettre ? En toute hypothèse, la missive semble vouloir réveiller les consciences pour que les « sorciers de l’entreprise », comme on qualifie les consultants de la firme, retrouvent leur pleine efficacité — et tout leur prestige.

Car il s’agit bien d’un appel, comme les phrases suivantes – retranscrites dans l’article du Sunday Times – en témoignent.

« Nous sommes tous bouleversés de voir ce que [McKinsey] est devenu en raison de préjudices autogénérés, d’un manque de focalisation stratégique et d’une obsession commerciale de court terme. Ne perdons pas notre firme. Reconstruisons-la. Soyons à nouveau distinctifs. »

La lettre exige le renouvellement de l’actuelle équipe dirigeante, qualifiée de « stagnante » et accusée de ne pas avoir su gérer les rivalités en son sein. Elle enjoint aussi la firme à faire preuve de davantage de « compassion » et de « respect » quand des réductions d’effectifs sont requises.

Un appel à la dissidence interne pris très au sérieux

Plusieurs patrons des bureaux européens de McKinsey y ont réagi immédiatement. Ainsi, Massimo Giordano, managing partner pour l’Europe, a cherché à rassurer le personnel par mail. Selon lui, si certains des éléments évoqués dans la lettre anonyme « résonnent [en lui], [d’autres] sont faux et [d’autres encore] ont été pris en compte ». Une hotline a été ouverte pour répondre aux préoccupations des employés concernant la direction, s’ils en ont.

La réaction du managing partner Royaume-Uni, Irlande et Israël, Tunde Olanrewaju, chez McKinsey depuis 22 ans, a été plus rugueuse. Dans un mail transmis aux employés, il a déclaré que cette lettre était « au mieux naïve, et au pire hypocrite ». Selon lui, elle comporte un potentiel de « division » et pourrait provoquer « des troubles internes » — toujours d’après l’article du Sunday Times.

Contacté par Consultor, le bureau parisien de McKinsey n’a pas fait de commentaires à ce stade.

McKinsey
Lydie Lacroix
27 Mar. 2024 à 18:00
tuyau

Un tuyau intéressant à partager ?

Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !

écrivez en direct à la rédaction !

commentaire (0)

Soyez le premier à réagir à cette information

1024 caractère(s) restant(s).

signaler le commentaire

1024 caractère(s) restant(s).
9 - 3 =

Monde

  • Un ex-partner de Bain à la tête de la stratégie chez Disney
    15/05/24

    Andre James a pris ses fonctions en avril 2024 au sein du groupe Disney, et son nouveau terrain de jeu promet d’être animé.

  • Deux partners McKinsey planchent sur la reconstruction de Gaza
    10/05/24

    Comment « penser » la reconstruction alors que la guerre fait rage ? Une question que les contributeurs de Palestine Emerging se sont nécessairement posée. S’il y a des urgences absolues, humanitaires et de cessez-le-feu, les « jours d’après » doivent être anticipés selon eux. D’où le plan directeur élaboré par ce groupe de réflexion formé à l’initiative du PREP (Palestinian Reconstruction and Economic Partnership).

  • IA : 20 % des revenus monde du BCG en 2024, déjà 25 % en France ?
    06/05/24

    Le BCG a certes vu sa croissance mondiale ralentir en 2023 à + 5 %. Mais le cabinet pourrait avoir fait le bon calcul en misant très tôt sur le potentiel de l’intelligence artificielle via son unité BCG X. Résultat : au niveau mondial, le conseil en IA et Gen AI devrait représenter un cinquième de ses revenus en 2024. En France, c’était déjà un quart l’an dernier.

  • Des chercheurs remettent en cause plusieurs études de McKinsey sur la diversité
    02/05/24

    « Les entreprises américaines dont l’équipe dirigeante est ethniquement diverse sont plus performantes que les autres » : c’est le résultat largement médiatisé d’une série d’études successives du cabinet McKinsey sur le sujet. Mais deux chercheurs américains ont refait les calculs : ils ne trouvent aucune corrélation entre performance et diversité des dirigeants.

  • McKinsey au cœur d’une enquête criminelle du ministère de la Justice américain
    27/04/24

    Nouvel épisode dans le scandale des opioïdes aux États-Unis : McKinsey fait l’objet d’une enquête criminelle pour sa contribution à la « dynamisation » des ventes d’analgésiques de plusieurs grands groupes pharmaceutiques — et pour une possible entrave à la justice.

  • Aux États-Unis, moins de promotions et des « invitations » à partir
    26/04/24

    De nouveaux signes de la morosité qui règne dans les cabinets de conseil, avec les revues de performance de milieu d’année qui battent leur plein. Elles visent – clairement – à orienter les consultants jugés sous-performants vers la sortie. Les promotions sont aussi plus difficiles à obtenir.

  • Oliver Wyman : un CA en hausse de 13 % au T1 2024, malgré un contexte chahuté
    24/04/24

    À la fin de chaque trimestre, la maison-mère du cabinet Oliver Wyman, Marsh & McLennan Companies, publie ses résultats. En janvier, février et mars 2024, le chiffre d’affaires d’OW a atteint 789 millions de dollars.

  • Durabilité : en Europe, le BCG peaufine son droit avec un nouveau senior advisor
    17/04/24

    Le Boston Consulting Group s’est doté d’une nouvelle expertise – de niche – avec l’arrivée comme senior advisor de Baptiste Carrière-Pradal, expert en matière de législation européenne concernant la durabilité, particulièrement dans les secteurs de la mode, du luxe et du sport.

  • BCG : un taux de croissance qui s’essouffle en 2023
    16/04/24

    + 25 % en 2021, + 11 % en 2022 : après 2 années de très forte croissance, le géant du conseil américain marque le pas en 2023 avec un chiffre d’affaires en hausse de 5 % seulement, à 12,3 milliards de dollars. L’augmentation de ses effectifs se fait plus ténue également.

Adeline
Monde
McKinsey, lettre anonyme, partners, Marvin Bower, qualité de conseil, image de marque, crise des opioïdes, fonds souverain saoudien, Bob Sternfels, managing partner, Massimo Giordano, Tunde Olanrewaju, scandale, crise
13592
McKinsey
2024-03-27 18:31:05
0
Non
Monde: Une lettre anonyme sème le trouble chez McKinsey