L’État va-t-il vraiment tourner le dos aux cabinets de conseil privés ?
Accusé de trop utiliser les cabinets de conseils privés, l’État fait le choix de s’émanciper de ces derniers. Leur remplacement par l’agence de conseil interne de l’État, mais aussi les inspecteurs généraux et les cellules internes aux ministères, s’accélère. Une nouvelle ère s’amorce ?
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Entre 2021 et 2023, les commandes de prestations de conseil externes ont sévèrement fondu, passant de 271 millions à 80 millions d’euros, selon le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques. Cela est conforme aux engagements énoncés le 29 juillet 2022 où l’engagement financier devait se limiter à 150 millions d’euros, 200 millions maximum, dont 30 à 40 millions réservés au conseil stratégique. Et ce même si la Cour des comptes estimait en mai 2023 que l’État devait faire mieux pour « accroître la participation de consultants internes et de membres des inspections générales dans les missions de conseil portées par la DITP ».
Ce mouvement ne va pas s’arrêter. « L’objectif est de réduire le recours aux prestations de conseil externe en internalisant des compétences et en accompagnant plus de projets de transformation à fort enjeu pour le gouvernement, mais aussi de faire monter en compétence les agents d’État pour qu’eux-mêmes puissent conduire ces projets », résume à Consultor Clotilde Reullon, promue responsable de l’Agence de conseil interne de l’État, au sein de la Direction interministérielle de la Transformation publique, par un arrêté du Premier ministre et du ministre de la Transformation et de la Fonction publiques en date du 23 mars dernier.
Une petite place réservée au conseil stratégique
Elisabeth Sawicki, responsable de la mission communication de l’Agence de conseil interne de l’État, rappelle à Consultor que « l’objectif souhaité est de solliciter systématiquement les compétences internes de l’État ». « La priorité et l’enjeu pour l’Agence sont donc d’internaliser un nombre croissant de missions », poursuit-elle, en particulier tout le volet stratégique pour réduire cette dépendance aux cabinets de conseil. Pour cela, une importante campagne de recrutement est en cours pour passer de 35 (fin 2023) à 75 (fin 2024) agents. Une véritable course contre la montre est d’ailleurs enclenchée comme le suggère Clotilde Reullon : « Notre équipe de recrutement est très mobilisée et fortement consciente qu’atteindre cet objectif va nous permettre d’accompagner encore plus de missions et de répondre positivement à plus de sollicitations. »
Ce recrutement montre que le conseil en stratégie ne sera qu’une partie limitée du champ d’intervention de l’Agence du conseil interne de l’État, qui s’annonce large. Clotilde Reullon, elle-même, n’est pas issue du conseil en stratégie, mais plutôt du conseil en ressources humaines. Diplômée d’un DESS RH, elle a développé son expérience dans cette spécialité chez Bouygues pendant près de 3 ans, puis chez Capgemini pendant presque 13 ans, avant de rejoindre la DITP en 2018. Et dans l’équipe actuelle, les profils passés par les cabinets privés en stratégie, comme Justine Clavier, directrice de projet, s’avèrent limités. Cette dernière, titulaire d’un master à l’ESSEC avec une spécialisation en économie urbaine, politiques publiques et droit, a fait ses classes à Capgemini, puis EY-Parthenon, avant de rejoindre fin 2023 les équipes de la DITP.
Pour le reste de l’équipe, si les profils recherchés doivent avoir une expérience en stratégie, ils doivent aussi pouvoir répondre à des besoins en compétences et responsabilités très variés. Sur le site de la DITP, les offres d’emploi sont explicites : « assistant pour le service “conseil interne” », « chef de projet “conseil interne” », « directeur de projets “conseil interne” »… Pour ce dernier poste, une expertise et une expérience d’au moins 8 ans en cabinet de conseil ou dans une administration sont requises. Quand pour les deux autres, il est demandé de la proactivité, de la rigueur, de la discrétion d’un côté, de la conduite opérationnelle de projets, de la simplification des procédures, de la transformation organisationnelle, de l’amélioration de la performance opérationnelle « lean management » d’un autre.
Recruter des consultants tous terrains
« Les jeunes diplômés, les conseils qui nous rejoignent ont le sens du service public, le goût de l’intérêt général et cherchent à avoir de l’impact sur les usagers », insiste Clotilde Reullon. Ce n’est pas le seul critère pris en compte, même si c’est la première motivation. Les agents recrutés, sous statut contractuel s’ils viennent du privé, doivent être polyvalents et intéressés par des interventions auprès de tous les secteurs ministériels. Car le concept de conseil interne s’entend dans une définition très large. « Travailler pour l’Éducation nationale, puis être mobilisé sur une mission pour la Santé, une autre fois pour les Affaires étrangères ou l’Agriculture, énumère Elisabeth Sawicki. Leurs missions collent à l’actualité. En outre, pour chaque mission, nous proposons une démarche sur mesure. » En fait, l’Agence du conseil interne de l’État entend œuvrer à partir des idées suggérées par le terrain. La priorité n’est donc pas au conseil stratégique, mais à ceux de la transformation et de la conduite du projet, confirmant ainsi l’issue du dernier appel d’offres qui a été remporté par BCG, Roland Berger et Oliver Wyman, pour la partie stratégie.
Cela n’est pas la seule évolution concernant la stratégie, plus globalement les collaborations avec les cabinets privés. À ce jour, le Conseil interne de l’État compte 53 agents « pour accompagner les 60 politiques prioritaires du gouvernement qui se déclinent en 150 chantiers prioritaires », détaille la responsable de l’Agence de conseil interne de l’État. Pour les autres besoins de conseil interne, « l’Agence travaille en complémentarité avec les inspections qui font aussi du conseil aux administrations, ainsi que les cellules de conseil internes dans les ministères, poursuit-elle. En stimulant les forces de ces différents acteurs, une très grande partie du besoin d’accompagnement et de transformation des administrations est couverte. »
Le conseil externe en voie de secours
Pour autant, ce n’est pas la fin des commandes de conseil en externe. « De façon résiduelle, les administrations peuvent continuer à solliciter des prestataires externes uniquement dans certains cas très précis, insiste Clotilde Reullon. Concrètement, à chaque fois qu’un service de l’État envisage de recourir à une prestation externe, il doit avant se poser la question de savoir s’il y a les ressources en interne. » Certes. Mais même l’Agence du conseil interne s’autorise à travailler avec les conseils privés. Ce sont les chargés de projets qui sont missionnés pour piloter les travaux des consultants externes. Et c’est écrit noir sur blanc dans leur fiche de poste.
« Ce qui différencie aujourd’hui l’Agence de conseil interne de l’État des cabinets externes, c’est notre très bonne connaissance de l’administration et notre capacité à proposer des démarches sur mesure pour améliorer l’efficacité des politiques publiques et la qualité de service à l’usager, argumente la responsable de l’Agence de conseil interne de l’État. Pour intervenir et assurer le succès de la mission, nous avons besoin que l’administration soit fortement mobilisée et mette en place une équipe projet avec laquelle on va travailler et qui s’assurera, qu’après notre départ, la dynamique de transformation perdure. »
Et d’ajouter : « Rattachée à la Direction interministérielle de la transformation publique (DITP), l’Agence a vocation à accompagner les services et opérateurs de l’État pour opérationnaliser les politiques prioritaires du gouvernement, rendre nos politiques publiques plus efficaces et plus économes des deniers de l’État, et aider les administrations à conduire leurs projets de transformation pour les usagers et les agents. » Pour illustrer son propos, elle prend l’exemple du taux de « décrochés d’appels téléphoniques » d’enseignants pour des questions administratives dans les Académies. « Tant que le taux de décroché n’atteignait pas 80 %, les équipes de l’Agence continuaient les expérimentations auprès des agents jusqu’à l’atteinte des résultats. C’est notre force d’accompagner jusqu’au bout les équipes ! »
Consultants ou pompiers pour sortie de crise ?
Ces dernières semaines, le Conseil interne est fortement mobilisé sur les problématiques liées aux revendications des agriculteurs, dont la simplification administrative. Auparavant, il a été mobilisé à plusieurs reprises au ministère de l’Éducation nationale sur des sujets très politiques comme la présence d’un professeur dans chaque classe, mais aussi très opérationnels sur l’attractivité du métier. « La DITP a travaillé sur les processus RH des académies pour simplifier certaines démarches administratives, développe Sihame Sellali, directrice de projet au sein de l’Agence du conseil interne. Par exemple, en améliorant l’information donnée aux enseignants, le taux d’incomplétude des dossiers a pu diminuer de 50 %. Ce qui améliore significativement la satisfaction des usagers, les délais, mais aussi les conditions de travail des agents. » Concrètement, l’Agence a travaillé avec les agents pour quantifier et décortiquer l’ensemble des processus avec comme objectif à atteindre : arriver à zéro retard de paiement.
Toutes ces interventions dans les rectorats ont abouti à la mise en place d’une nouvelle organisation. « Face à ces résultats probants, le ministère de l’Éducation nationale a mis en place une cellule en centrale, mais aussi dans chacun des rectorats, pour poursuivre cette démarche d’excellence opérationnelle », décrit la directrice de projet.
Une volonté de sortir d’une approche commerciale
La méthode du Conseil interne se veut différente des conseils privés, même si elle entend s’inspirer de ces derniers. « Il y a beaucoup de travail de terrain, d’échanges avec les parties prenantes, les usagers, les cabinets ministériels, décrit Elisabeth Sawicki. Cette approche très globale ne demande pas de recommandations, car il n’y a pas d’approche commerciale. En revanche, elle repose sur des propositions élaborées en lien étroit avec l’administration concernée. Un cabinet externe ne couvrira pas forcément tout le spectre, de la conception, à la préparation et à la mise en œuvre de manière opérationnelle des politiques publiques. »
Pour essaimer la culture du conseil dans les administrations de l’État, une école vient d’être mise sur pied. Son rôle est de développer et d’utiliser les savoir-faire et les méthodes de transformation au sein de l’État. Selon Clotilde Reullon, responsable de l’Agence de conseil interne de l’État, « l’objectif est d’internaliser les compétences au sein des équipes projet de l’administration, pour permettre aux administrations d’améliorer en continu leur fonctionnement et leur qualité de service aux usagers ». Une démarche en continuité « des engagements pris par le gouvernement avec Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et la Fonction publiques pour réduire et encadrer le recours aux prestations externes ».
Transfert de compétences à grande échelle
Ainsi, l’appel de la Cour des comptes à l’accroissement de la participation de consultants internes se traduit par une diffusion des compétences et des savoir-faire en transformation à plus grande échelle. Et pour cela, l’école du Conseil interne repose sur une offre de formation en trois volets : « Un parcours de formation en 12 modules qui durent une trentaine d’heures afin d’acquérir les méthodes et les outils du conseil en transformation pour les jeunes diplômés ; des modules de formation à la conduite de projets à destination des chefs de projet et des directeurs de projet de l’État ; un cursus diplômant d’excellence administrative conçu par la DITP avec Centrale Supélec — INSP pour répondre aux enjeux propres à l’administration », détaille la responsable de l’Agence de conseil interne de l’État. Un seul module concerne la formation au conseil en stratégie…
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