Conseil en stratégie : quelles tendances en ce début 2025 ?
Tensions commerciales, instabilité politique… Quand les entreprises sont chahutées, est-ce le type de missions qui change ou leur volume qui chute ?
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Lors du ralentissement observé courant 2024 dans le secteur du conseil en stratégie, le carnet de commandes des cabinets s’est globalement contracté. Qu’en est-il, à date ? Les entreprises sollicitent-elles des équipes de consultants avant tout pour des missions d’optimisation des coûts ? À moins qu’il ne reste une place pour des missions « de croissance », dont la nature exacte mériterait alors d’être précisée…
Le point avec David Mahé, président de Syntec Conseil, Alban Neveux, DG Groupe d’Advention, Bruno Despujol, leader France-Belgique d’Oliver Wyman et David Vidal, managing partner France-Europe de l’ouest de Simon-Kucher.
Sachant qu’en France, au 4e trimestre 2024, le PIB a reculé de 0,1 % selon l’Insee (+ 1,1 % sur l’année), et que l’Institut table sur une hausse de 0,2 % aux 1er et 2e trimestres 2025.
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« Les cabinets de conseil en pleine incertitude » pour Les Échos, « des vagues de licenciement et des embauches gelées » pour Le Figaro, « un avenir plus cyclique pour les consultants » selon le Financial Times… Que se passe-t-il vraiment dans le monde du conseil en stratégie ? Immersion, via plusieurs cabinets, dans des terres dont on ne peut dire pour l’instant qu’elles soient « brûlées ».
Quelles tendances de marché en ce début 2025 ?
Les premiers éléments d’analyse sont fournis par le président de l’organisation représentative des cabinets de conseil. Selon David Mahé, de nombreux projets sont actuellement « en attente de confirmation, ou rééchelonnés par les clients. Globalement, leur taille diminue ».
Le cofondateur d’Advention, Alban Neveux, renchérit. « Les budgets de conseil de nos clients sont sous pression. Par exemple : une entreprise ayant lancé une réflexion sur la pénétration d’un nouveau marché va choisir de consolider ses positions sur ceux où elle est déjà positionnée. La réduction du périmètre des missions, les reports, voire les annulations touchent tous les acteurs, des plus grands aux plus petits. » Si ces constats étaient déjà valables en 2024, aucun élément ne laisse présager d’une évolution favorable en 2025.
Tout dépend, néanmoins, des secteurs d’activités. « Le public, les banques et le retail sont affectés, le luxe commençant à tousser un peu », indique David Mahé. D’autres se montrent résilients : « Les utilities, l’assurance, les infrastructures conservent de la visibilité. » En positif toujours, Alban Neveux évoque « la santé/pharma et la tech, bien qu’il faille nuancer en leur sein ». Quant à Bruno Despujol d’Oliver Wyman, il cite « le Private Equity qui connaît un rebond », ce que confirme David Vidal de Simon-Kucher.
Tout dépend aussi du positionnement ou du mode d’organisation des cabinets.
Ainsi, selon David Vidal toujours, Simon-Kucher a réalisé « son meilleur mois historique en termes de commandes à l’échelle mondiale, un très bon mois en Europe de l’Ouest et un bon mois au niveau national ». Il reconnaît néanmoins l’impact des incertitudes politiques notamment, en France, sur les « rythmes et cycles de décision ».
Du côté d’Oliver Wyman, après trois trimestres de « faux plat » en 2024, le T4, tout comme le T1 2025, enregistrent une « forte reprise » – sachant qu’au niveau mondial toujours (le cabinet ne communiquant pas sur les résultats par pays), son chiffre d’affaires a augmenté de 9 % sur l'année 2024. Le caractère « multi-spécialiste » d’Oliver Wyman, et son positionnement sur « des projets à impact, visant la performance, mais pas uniquement la performance coûts » y seraient pour beaucoup. Sans oublier son modèle globalisé, les différents bureaux travaillant sur plusieurs zones géographiques. Bruno Despujol, par exemple, opère sur l’Europe ainsi qu’au Moyen-Orient.
Quoi qu’il en soit, in fine, deux typologies de missions tirent leur épingle du jeu selon nos interlocuteurs.
L’optimisation des coûts est bien au rendez-vous
D’après David Mahé, les missions actuellement priorisées par les entreprises portent « sur des projets d’économies ou de gains de productivité. Les interventions concernent l’excellence opérationnelle, la supply chain, les opérations et leur sécurisation – dans le registre de la data et de l’IA – plutôt que leur développement ».
Autant d’accents confirmés par Alban Neveux. « Les missions d’optimisation ou de réduction des coûts génèrent des demandes accrues. Sur le volet humain, l’idée est souvent de réduire les couches intermédiaires accumulées au fil du temps ». Si une partie de ces projets relèvent d’une dimension conjoncturelle, « une partie plus importante encore est liée à des changements structurels - contraintes environnementales, changement de footprint industriel, relocalisations, réorganisation de la supply chain ».
Du côté d’Oliver Wyman, Bruno Despujol évoque « des projets assez classiques de performance des coûts à travers les achats, de performance opérationnelle - à savoir la performance industrielle pour les clients concernés, la performance des opérations et du delivery dans les sociétés de services. Dans l’aéro/défense, il s’agit d’augmenter les capacités des lignes de production en jouant sur les leviers digitaux et de supply chain ».
Si la réduction des coûts intervient plutôt en prévention, les projets de restructuring sont eux aussi en hausse, avec des équipes mobilisées sur les coûts, dans un autre contexte donc. Ces projets suscitent « des missions flash, en mode pompier » – précise Alban Neveux. « Un état des lieux stratégique et financier doit être réalisé pour que des décisions d’urgence soient prises. »
La recherche de croissance se poursuit, signe de maturité des acteurs
Comme l’exprime Alban Neveux, « les dirigeants jouent à la fois sur le frein et l’accélérateur ». Le cost-cutting ne suffit pas. David Vidal renchérit. « De nombreuses directions générales comprennent l’intérêt de travailler les sujets de croissance, de topline, de défense de la valeur ».
Pour ces projets de croissance, Bruno Despujol parle de performance commerciale, « par exemple sur l’amélioration des modèles de pricing – chez nombre de clients du cabinet –, des modèles de pilotage de la marge, de cross-selling et d’up-selling ».
David Vidal souligne pour sa part que de nombreuses directions générales « n’ont pas mobilisé de façon systématique toute une série de leviers permettant d’animer la demande – comment le prix peut être travaillé, lequel contribue à cette animation ainsi qu’à l’augmentation du chiffre d’affaires s’il est bien maîtrisé ».
La rationalisation des coûts n’est pas pour autant exclue ! « En B2C, par exemple, sur des sujets de promotions, certains de nos clients nous demandent de vérifier les investissements réalisés sur certains leviers d’animation de la demande selon le ROI qu’ils produisent. » Si ces missions s’inscrivent dans le cadre de la topline, elles ont bien pour objectif de faire des économies d’investissements. Selon la santé des acteurs et du secteur concerné, les missions du cabinet vont concerner l’optimisation des investissements, ou de véritables « push ».
Certains clients sont en effet proactifs, notamment parmi les fonds de Private Equity. « Dans la mesure où ils ont déjà très souvent opéré de la réduction des coûts au sein de leurs participations, les projets de topline deviennent prioritaires. » Dans l’industrie du software, par exemple, les fonds cherchent « à optimiser des métriques telles que l’Annual Recurring Revenue (ARR) [c’est-à-dire le revenu annuel généré par les abonnements récurrents, en excluant les revenus ponctuels, ndlr], pour pouvoir vendre ces sociétés dans les meilleures conditions possibles ».
Les répercussions internes de l’évolution des demandes pour les cabinets
Quid de l'arrivée de nouvelles recrues ? Si David Vidal ne voit pas d’impact particulier à la baisse, Bruno Despujol confirme un ralentissement même si les recrutements se poursuivent. Tous deux revendiquent le fait de ne pas s’être laissé happer par l’euphorie ambiante en 2022 notamment. « Alors que le turn-over est faible, ce qui est inhabituel dans le conseil en stratégie, les cabinets se montrent très prudents », ajoute David Mahé. Alban Neveux parle quant à lui de « plus grande sélectivité ». Concrètement, un certain nombre de cabinets gèlent leurs recrutements.
Au-delà de l’accueil de nouveaux talents, en jouant sur différents leviers, les cabinets parviennent « à redimensionner les équipes en fonction des besoins », explique le président de Syntec Conseil. Cela repose par exemple sur le staffing : les consultants évoluant principalement dans des secteurs « durablement en crise, au-delà de la dimension conjoncturelle », sont repositionnés sur d’autres plus porteurs.
Ces redéploiements de consultants s’appliquent-ils aux sujets de croissance/optimisation des coûts ? Pour Alban Neveux, la réponse est oui, mais « la plupart des profils du conseil en strat’ sont hybrides, capables de travailler sur ces deux familles de sujets indifféremment ».
Par ailleurs, une partie des cabinets n’hésitent pas à reconfigurer leurs offres pour les adapter aux demandes actuelles du marché. En revanche, à date, on n’observe pas de baisse de la tarification significative, « bien qu’il y ait davantage d’agressivité depuis 2024 », conclut Bruno Despujol.
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