Fonds au capital des cabinets de conseil : mariage gagnant ou mariage de raison ?
En décembre 2024, le géant Blackstone a pris une participation minoritaire de 250 millions d’euros dans Sia – un mouvement loin d’être unique. Quels sont les intérêts réciproques des cabinets de conseil et des fonds ?

De la part des cabinets, la recherche de croissance apparaît comme une motivation manifeste. Est-elle unique ? Quel peut être l’impact de telles montées au capital en matière de gouvernance des cabinets ou de cartographie des acteurs ?
L’analyse du PDG et senior partner de Kéa Arnaud Gangloff, d’Ambroise Huret, managing partner d’eleven, Vincent Redrado, fondateur et CEO de DNG – et de Matthieu Courtecuisse, fondateur et CEO de Sia.
Du côté des cabinets de conseil : consolidation/affirmation de marché/croissance XXL
Pour des acteurs ne disposant pas de la taille critique au regard des « politiques d’achat ou des enjeux » de clients internationaux, explique Arnaud Gangloff, « le fait de s’adosser à un fonds permet de se consolider ». Pour des cabinets de taille plus significative, l’idée est de « prendre une position sur le marché quand la croissance organique ne permet pas d’accélérer autant que souhaité ».
Seconde perspective en 2021 pour Kéa, qui a levé 23 millions d’euros auprès de Crédit Mutuel Equity et d’un pool bancaire LCL-Banque Palatine-Caisse d’Épargne-Banque Postale. « Nous nous sommes lancés dans ce build-up pour créer le premier cabinet français de direction générale en stratégie et transformation. » Si l’augmentation des capacités de financement peut être traitée par de l’endettement, « le monde bancaire est rassuré par la présence du private equity ».
Optique similaire pour eleven, le cabinet s’étant adossé dès 2018 au fonds ISAI Expansion, remplacé en 2022 par Andera Acto. « En s’appuyant sur un fonds, une société de services profite d’un œil extérieur pour s’améliorer au quotidien, grâce à des rendez-vous réguliers avec son investisseur », indique Ambroise Huret. Elle peut construire une trajectoire de développement correspondant « aux objectifs alignés du fonds et du cabinet de conseil ». Ce type d’entrée au capital est un gage « de solidité et de crédibilité » à destination de nouveaux partners potentiels – en matière de gestion, transparence et reporting.
Quid des motivations d’un cabinet de taille supérieure comme Sia ? Selon Matthieu Courtecuisse, le choix en faveur de Blackstone résulte notamment de la possibilité « de bénéficier d’un accès privilégié à l’ensemble de son portefeuille ». Le n° 1 des fonds d’investissement alternatifs, 1 200 milliards de dollars d’actifs sous gestion en 2024, aurait pris une participation d’un peu moins de 25 % au capital de Sia. Pour le cabinet qui veut « dépasser le milliard d’euros de chiffre d’affaires le plus vite possible [485 M€ en 2024, ndlr], la trajectoire de croissance visée est très forte ». Pour se développer sur le marché US – Sia y réalise un peu moins de 200 millions de CA à date –, l’appui de Blackstone confère de la crédibilité. Et des capacités d’investissement en matière d’IA notamment, le cabinet ayant noué un partenariat avec Nvidia en septembre 2024.
Du côté de DNG (qui a vu Andera Acto monter à son capital en 2022 lors de son union avec eleven, le cabinet ayant repris son indépendance en février 2025 avec la prise de relais du fonds MBO+), le schéma tient de la consolidation. « Les jeunes cabinets font face à des mastodontes référencés partout et à la force de frappe colossale. L’une de leurs seules options pour montrer à de (futurs) associés qu’il y a de la liquidité financière et du capital, est de s’adosser à un fonds », indique Vincent Redrado.
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Pour le fondateur et CEO de DNG Vincent Redrado, il s’agit « de donner à chaque cabinet la possibilité de se développer au mieux ». Du côté d’eleven, Ambroise Huret évoque « une collaboration très riche ».
Au-delà de ces différentes motivations, la préparation de la succession, notamment pour des cabinets de petite taille ou intermédiaire, entre aussi en ligne de compte.
« Pour que les managers d’un cabinet puissent le racheter lors du départ d’associés, l’appui d’un fonds est décisif », souligne Vincent Redrado.
Un secteur rentable pour les fonds d’investissement
Le marché du conseil présente une croissance structurelle intéressante malgré le ralentissement des deux dernières années. En témoigne le nombre de fonds « de très grande qualité » ayant approché Sia, selon Matthieu Courtecuisse.
Vincent Redrado, mentionne également une concurrence « très forte quand MAD a cherché un investisseur en 2023 sur le segment du luxe [Activa Capital étant monté à son capital], et quand DNG l’a fait à son tour ». Le secteur propose « une rentabilité plutôt élevée ainsi qu’une visibilité business appréciable ». Les fonds peuvent ainsi « leverager assez fortement leurs investissements par de la dette ».
Selon Arnaud Gangloff, notamment pour des cabinets de conseil développant « des modèles de nature industrielle, le “produit” conseil devient un produit que les fonds savent évaluer, estimer, projeter ».
L’impact sur la gouvernance et les projections financières
Dans des structures reposant sur des partnerships, le risque est assumé par les associés « avant même qu’il ne soit pris par l’entreprise », indique le patron de Kéa. Or, ce risque entrepreneurial peut être apprécié « différemment entre un fonds de PE qui a des comptes à rendre et des partners qui entreprennent via leur cabinet ».
Le monde du private equity est associé « à une accessibilité de l’argent et à une valorisation rapide des actifs, quand les métriques classiques de valorisation du conseil sont des multiples d’EBIT ». Selon Arnaud Gangloff, « des projections financières – très aiguisées – peuvent profiter à certains tout en détruisant de la valeur pour l’ensemble des collaborateurs, car on reste sur un métier de “people” ».
Des réserves levées par Matthieu Courtecuisse quant à l’opposition entre valorisation court/long terme. « Quand un cabinet de conseil est dirigé par des associés proches de la retraite, ces derniers ne réfléchissent pas à 15 ou 20 ans. Sans parler des structures où, au lieu d’investir, l’intégralité des profits de l’année est distribuée aux partners. »
Si les fonds ont des exigences et objectifs de rentabilité importants, ils arrivent « avec de bonnes pratiques de gouvernance et de gestion des partenaires financiers ».
Rotation des participations = instabilité ?
Chez ce type d’investisseurs, c’est un principe. Certains fonds se muent néanmoins en partenaires durables, comme Credit Mutuel Equity auprès de Kéa – « un fonds de gestion bancaire et non d’un fonds qui porte des actifs de LP [Limited Partners] », précise Arnaud Gangloff. Sa sortie est prévue en 2027. « Le plan de financement de la dette a été aligné avec cette perspective. »
Pour Ambroise Huret, le renouvellement des investisseurs donne plutôt l’opportunité à un cabinet de « séquencer son aventure de croissance ».
Quid des conflits d’intérêts ?
Dans le cas de figure ultra-répandu d’un fonds minoritaire, voire minoritaire passif au capital d’un cabinet, l’investisseur n’a pas accès « aux données relatives aux missions qui sont exécutées », souligne Matthieu Courtecuisse. Toutefois, lorsqu’un cabinet est positionné sur un secteur exclusif – le « consumer » pour DNG – Vincent Redrado estime préférable « d’éviter de s’adosser à un fonds spécialiste du secteur en France ».
De son côté, Ambroise Huret évoque les mesures de précaution mises en œuvre par eleven. « Dans le pacte avec nos investisseurs, nous avons intégré le fait que le reporting concernant nos activités en private equity soit totalement anonymisé. Nous disposons donc d’un “chinese wall” complet sur tout ce qui peut toucher aux activités dans l’univers de notre investisseur. » Concrètement, Andera Acto découvre, en aval, lorsque des transactions sont annoncées, « le nom de celles dans lesquelles eleven a été impliqué ».
La situation est différente quand le fonds est en position de contrôle. Charge alors au cabinet « d’adopter les mesures nécessaires dans sa propre charte ou son code de conduite », estime Matthieu Courtecuisse.
Une phase de consolidation du marché qui « appelle » les fonds
Selon le fondateur de Sia, la période actuelle, qui n’est pas des plus favorables pour les cabinets de conseil, va conduire à « de la consolidation ». Le nombre d’acteurs devrait diminuer « via un phénomène d’éviction touchant avant tout les cabinets de 500 à 1 000 personnes. Il y aura des vendeurs, les cabinets un peu fragilisés aujourd’hui, et des acheteurs ».
Cela correspond précisément aux critères recherchés par les fonds. « Ce marché va davantage se financiariser et se professionnaliser du point de vue de la gestion. Sachant qu’à l’échelle mondiale, il représente 360 milliards de dollars, et que sa croissance structurelle devrait être de 5 à 10 % par an dans les 5 prochaines années. »
Matthieu Courtecuisse conclut par une question : « Demain, y aura-t-il davantage de cabinets qui dépasseront les fonds d’investissement et entreront en Bourse ? » C’est déjà le cas de l’un d’eux, hors scope du conseil en stratégie. Et c’est la conviction du fondateur et CEO de Sia.
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