12 conseils aux décideurs pour choisir leur cabinet de stratégie
Comment un dirigeant peut-il choisir son cabinet de conseil en stratégie ? Quels sont les critères de choix essentiels ? Nous avons demandé l’avis d’Hanna Moukanas, chairman d’Oliver Wyman et Marsh McLennan France. Pour Consultor, ce consultant qui compte 35 ans de conseil en stratégie dans l’industrie et les services a joué le jeu en donnant aux chef(fe)s d’entreprises ses conseils pour sélectionner un cabinet.
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Consultor : Qu’est-ce qui fait pour vous aujourd’hui la plus-value d’un cabinet de conseil en stratégie par rapport à un autre ?
Hanna Moukanas : En premier lieu, la séniorité des équipes (1). Les dirigeants veulent du temps de partner senior. Ensuite, c’est la capacité de cette équipe senior d’entrainer des équipes de consultants au-delà du beau jeu de slides (2) et d’engager l’ensemble des parties prenantes, de synchroniser l’orchestre (3). Et, par ailleurs, il faut du sur-mesure (4) : chaque dirigeant a un sujet qui lui est vraiment propre.
Que regarderiez-vous si vous étiez vous-même client d’un cabinet ?
Au cœur du choix d’achat de prestations, c’est une question de confiance (5). Une équation compliquée.
Trust = credibility x reliability/self-orientation
Le dirigeant est enclin à faire confiance à des individus qui ne cherchent pas à valoriser leur practice, leur offre ou leur cabinet, et qui font passer l’intérêt de l’entreprise avant le leur. C’est un énorme risque que prend le dirigeant lorsqu’il s’engage avec un cabinet.
Mais la confiance prend du temps, elle se gagne…
Effectivement, le dirigeant joue très gros en choisissant un cabinet. La confiance se vit, se sent, elle ne se mesure pas forcément mathématiquement. Je vous livre du vécu. Le nouveau CEO d’une grande société de biens de consommation avait un projet de retournement. J’avais travaillé pour la directrice financière de cette entreprise il y a 20 ans lorsqu’elle était dans une autre entreprise. Nous avons eu trois réunions pour bâtir une conviction et la confiance avec ce CEO en partageant notre analyse sur son entreprise, les autres missions réalisées dans d’autres secteurs, et les souvenirs de sa directrice financière. Il m’avait alors dit : « Vous n’aurez pas une seconde chance pour faire bonne impression. »
Même défi lors d’un grand projet de transformation il y a 3 ans durant la pandémie, toujours dans le secteur des biens de consommation où nous étions face à 13 autres cabinets. Cela a été un process de 3 mois et de 15 visios pour notre équipe de 8 partners provenant du monde entier, qui a dû à chaque fois approfondir un sujet et gagner la confiance sans voir physiquement les personnes. Nous avons assigné un rôle à chacun, comme dans une équipe de rugby, et signé un engagement dans la durée, sur 2 ans, en précisant le pourcentage de temps de travail de chacun assigné à cette mission.
Pourquoi choisir un cabinet pour un dirigeant vous parait-il plus difficile ?
Notre secteur a une particularité. C’est que la stratégie est moins définie, moins codable que le conseil plus opérationnel. Les responsabilités des dirigeant(e)s deviennent de plus en plus importantes, et ce alors que le dirigeant, très seul, fait face à des permacrises sans que l’on ait des réponses à tout. Le contexte est différent d’il y a 10 ans où il pouvait être en maitrise sur son secteur, dans son écosystème… Il se retrouve maintenant dans une posture où il doit faire les bons choix sans avoir le contrôle de nombreux facteurs.
La réputation et les classements des cabinets doivent-ils être des éléments clefs dans le choix ?
Je ne le pense pas du tout. Il y a des cabinets de très grande qualité qui ne sont pas dans le radar des classements. Et il y a des marques de conseil qui soignent bien leur réputation pour être prescrites sans pour autant offrir une vraie expertise sur certains sujets. De mon point de vue, les dirigeants les plus performants n’accordent aucune importance à cela. La réputation sert avant tout à l’attractivité du cabinet vis-à-vis des consultants lors du recrutement.
Quelles compétences spécifiques vous paraissent incontournables ?
Il y a encore quelques années, nous pouvions dire que l’expertise primait ; ce n’est plus le cas. Le monde change tellement vite qu’en fait, la première compétence n’est plus verticale, mais horizontale (6) : à savoir de pouvoir connecter des sujets entre eux et d’aider les dirigeants à traverser les permacrises. Ce qui est important pour eux, c’est qu’ils aient en face un cabinet qui les aide à naviguer dans le brouillard, l’incertitude, et non pas d’essayer de deviner le futur. Ce n’est pas une science. Ce que le dirigeant doit vérifier, c’est que le cabinet a une capacité à analyser le monde économique bien sûr, mais aussi le contexte géopolitique qui s’est invité par la grande porte dans la stratégie. Dans le nouvel ordre mondial, la géopolitique fait partie des compétences à maitriser pour les conseils (7). Les cabinets doivent se doter de ces compétences ou mettre en œuvre des partenariats avec des spécialistes pour avoir une vision pertinente du monde (Oliver Wyman travaille régulièrement avec Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques, ndlr).
Que peut demander un dirigeant sur l’approche méthodologique du cabinet ?
Cela dépend des sujets. Sur les missions critiques, qui les empêchent de dormir, qui concernent les grandes transformations, les intégrations post-fusion, les réorientations stratégiques… c’est vraiment du sur-mesure, avec des missions pour lesquelles il n’y aura pas une seule méthodologie, mais plusieurs expertises engagées et tout un écosystème. Dans ce cas, la plus grande des compétences c’est de pouvoir proposer au moins 5 ou 6 partners avec des expertises très diverses, deux seniors advisors, par exemple un ancien DG et un géopoliticien… (8) Les sujets plus opérationnels, plus standards, l’approche méthodologique est plus classique, donc plus simple à partager.
De manière quasi systématique, le dirigeant va demander des références (9) et va souvent contacter des clients avec lesquels le cabinet a réalisé des missions similaires. Nous mettons systématiquement dans nos propositions les qualifications et les références que le dirigeant peut vérifier. Nous sommes aussi organisés sur une matrice [Industries X Compétences], et avons donc documenté nos outils et méthodes tout au long des décennies. Ces méthodologies sur chaque sujet sont donc quasiment « auditables » par les experts internes autour du dirigeant, qui ne choisit pas tout seul le cabinet (10).
Quels sont les avantages et inconvénients d’un gros/d’un petit cabinet du point de vue du dirigeant ?
Un gros cabinet a évidemment des équipes plus importantes un peu partout dans le monde. Mais ce n’est pas un gage d’un travail réellement internationalisé, car beaucoup de cabinets travaillent en silo par équipes locales. Aujourd’hui, les sujets deviennent tellement mondiaux qu’il parait incontournable d’être présent sur tous les continents et faire travailler ensemble les équipes (11).
Personnellement, je ne vois pas d’avantages à faire appel à un petit cabinet. Font-ils plus de sur-mesure ? Non. Ont-ils plus faim ? Non. Sont-ils moins chers ? Probablement, mais ce n’est pas le premier critère compte tenu des enjeux énormes de transformation dans un monde en permacrise.
Comment le dirigeant peut-il jauger le rapport qualité/prix d’un cabinet ? Peut-il demander un prix selon le succès de la mission (success fees) ?
La qualité est un facteur relatif par rapport à une attente du client. Sur les missions critiques, le prix n’est pas le déterminant. Dans ce cas, il n’y a pas un seul indicateur, il est donc intéressant de mettre en place une mesure de réussite 5/5/5 : 5 indicateurs qualitatifs, les noter de 1 à 5, et demander à 5 personnes chez le client de faire des feedbacks au fur et à mesure de l’avancée du projet, toutes les 2 ou 3 semaines par exemple. Mais le retour sur investissement ultime se fait sur plusieurs années, se calcule de manière qualitative, et peut se mesurer tout au long de la mission.
Sur les missions plus opérationnelles, le retour sur investissement est plus facile à calculer. Nous allons définir avec le client les indicateurs de performance (gains en efficacité, points de marge gagnés, croissance incrémentale réalisée…), et le retour sur investissement est plus facile et plus mathématique. En règle générale, il excède 10 fois les gains réalisés.
Pour mieux répondre à cette problématique du dirigeant, il y a en effet de plus en plus d’indexation du coût des missions sur la performance et le résultat (12).
Un tuyau intéressant à partager ?
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France
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