Chief of staff : un métier très consultant-compatible
Elle fait office de bras droit du CEO et de chef d’orchestre managérial. La fonction de chief of staff a débarqué en France il y a une quelques années seulement dans le monde de la tech et se développe à vitesse grand V. Un poste taillé sur mesure pour les profils de consultants en stratégie. Six d’entre eux nous font découvrir ce métier couteau suisse qui s’avère aussi un intéressant poste tremplin pour les alumni du conseil.
Lorsqu’on tape « chief of staff » sur LinkedIn, les résultats pleuvent : 454 000 personnes sont référencées avec le hashtag #chiefofstaff dans le monde, 113 000 aux États-Unis, et 1 700 en France. C’est dire que ce métier, récent en France, est déployé partout ailleurs.
Un métier venu tout droit des États-Unis, où il est tout autant répandu dans la Silicon Valley, dans le monde politique et militaire que dans les plus grandes entreprises privées, dans un système américain de gouvernance spécifique bicéphale où le CEO est aussi président du conseil d’administration. En France, le métier a été importé dans le secteur de la tech pour se développer dans un second temps au sein des plus grandes entreprises. Aujourd’hui, deux tiers des plus grosses entreprises ont un chief of staff, un tiers des chiefs of staff se trouvent encore dans le secteur de la tech, 18 % dans la finance et l’assurance, 17 % dans l’industrie, selon une étude toute récente du cabinet Roland Berger (une enquête menée avec l’Institut Choiseul en novembre 2023).
Le chief of staff made in France
Mais que recouvre réellement ce métier en France ? Une fonction à la sauce française de directeur(ice) de cabinet et chef d’état-major dans les Armées, « l’homme de l’ombre dans un ministère qui fait avancer les choses », dit Antoine de Talhouët, chief of staff de talent.io durant 2 ans, « plutôt dans les grosses entreprises ou dans la fonction publique », confirme Paul Tourrolier, chief of staff chez Skello. « Le rôle de directeur de cabinet correspond au management d’une grande équipe avec des enjeux de représentation, alors que le chief of staff en entreprise est une fonction à la fois stratégique et opérationnelle », résume de son côté Isaure de Fleurieu, une ancienne consultante de Mawenzi, arrivée tout récemment dans cette fonction chez Sicara. « C’est le jargon… Chez nous, il s’appelle plutôt directeur de projets », résume la SVP Talent & Culture Business Partner des fonctions supports chez Accor, Karen Vaniche.
Une fonction qui convient bien aux anciens consultants, notamment en stratégie. La preuve selon l’étude de Roland Berger : sur les 800 chiefs of staff en France (en activité ou qui l’ont été) consolidés par le cabinet, 30 % sont issus du conseil. Autres infos instructives de l’étude : en France, ils sont 56 % d’hommes, 78 % ont moins de 40 ans (les 6 interrogés par Consultor ont la trentaine), et 97 % ont un diplôme de niveau master, alors qu’aux États-Unis (4700 profils pris en compte), le métier est plus masculin, 68 % d’hommes, plus senior, 10 % ont moins de 40 ans, et moins diplômé (20 % ont un master ou équivalent).
Des créations de postes en masse dans les start-ups à succès
De récentes fonctions donc dans de nombreuses entreprises en France. Sur les 6 ex-consultants chiefs of staff interrogés, actuels ou passés, 4 sont des créations de postes et 5 dans le secteur tech.
La plupart du temps, ce sont des start-ups qui créent ce poste au gré de leur passage à scale-up. Comme c’est le cas pour Isaure de Fleurieu, bientôt 30 ans, 3 ans et demi chez Mawenzi jusqu’à l’été 2022 (cabinet qui vient d’être racheté par EightAdvisory), première chief of staff de Sicara, verticale data et IA du groupe Theodo (entreprise française de conseil et réalisation numérique), 9 entités, dont 5 chiefs of staff. « Cela s’est fait dans un contexte de forte croissance de plus 40 % en moyenne depuis 2021, avec des enjeux de structuration et de mise en place des actions dans le cadre du passage à l’échelle ». Idem pour Antoine de Talhouët, 29 ans, deux ans chez Kearney (2019-2021), également 2 ans jusqu’en décembre dernier comme chief of staff chez talent.io, scale-up de plateformes de recrutement tech, ou pour Paul Tourrolier, 33 ans, un ancien de Bain, chez Skello, start-up créée en 2016 qui développe des solutions RH pour les équipes terrain, où ce poste a été créé « juste après la levée de série B, à l’instar de ce type d’entreprises dont la fonction de CEO évolue plus dans la partie stratégique et qui ont les moyens de faire grossir les équipes », comme il le souligne.
Création de poste aussi pour Audrey Borowski, 32 ans, chief of staff de relevanC entre 2022 et 2023 – start-up filiale de Casino –, une alumni de Bain (2017-2019) qui fait partie des promotions internes (la moitié des nominations comme chief of staff, selon l’étude de Roland Berger). Entrée chez relevanC en 2019, en qualité de responsable du développement, marketing et projets stratégiques, Audrey Borowski avait déjà été promue 2 ans plus tard comme responsable du développement international. « J’ai eu l’opportunité d’ouvrir le capot dans ce rôle très transverse de chief of staff. Mon rôle était de lier les différents départements et faire fonctionner l’ensemble. Un poste assez stratégique quand il est bien staffé. »
Un poste créé seulement 6 mois plus tôt « alors que l’entreprise explosait [elle est devenue licorne en 2020, ndlr] », par un chief of staff « très senior qui a ensuite pris en charge une BU ». « Quand je suis arrivée, il y avait tout à construire », du côté d’Oriane Mainard, 32 ans, chief of staff de Voodoo (appli de contenus, entreprise aux 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, 700 collaborateurs), chez EY-Parthenon entre 2016 et 2021.
Un poste bicéphale pour les grandes entreprises
Les grandes entreprises françaises sont aussi bien dotées de ces bras droits. Selon Roland Berger, 67 % des entreprises du CAC 40 et du Next 40 ont aussi leur(s) chief(s) of staff. Où l’on retrouve majoritairement les 20 % de profils senior de plus de 40 ans, promus en interne, nommés pour leur connaissance très approfondie de leur organisation, d’après l’étude de Roland Berger. Mais il y a également des profils plus juniors dans ces entreprises, comme c’est le cas d’Ophélie Renard, 28 ans, chief of staff du CTO d’Accor depuis 2022, auparavant trois ans chez Oliver Wyman. Ce groupe de quelque 6000 collaborateurs au sein des sièges, où la fonction existe depuis une quinzaine d’années, compte aujourd’hui une quinzaine de chiefs of staff, « quasiment tous les membres du comex ont leur directeur de projets, et quelques senior leaders au sein des équipes en ont aussi, en fonction des enjeux ou de la taille des équipes gérées. Le profil est aujourd’hui encore souvent le même : tous des anciens du conseil, avec 4 ou 5 d’expérience et une moyenne d’âge de 30 ans », comme le pointe Karen Vaniche.
Un métier « couteau suisse »
Le quotidien d’un chief of staff ? Principalement trois fonctions de gestion et d’animation au sein de l’entreprise, de la comm interne et externe, des codir et des copil, et de projets stratégiques. Mais ce n’est pas tout. Le rôle d’Audrey Borowski, 2 ans chief of staff de relevanC, a été plus vaste : de la finance, « le cœur du réacteur », de l’IT, « un gros sujet », et de la gestion RH, « que j’ai découvert, on est aussi la petite main des autres directeurs, les équipes qui font la boite, et il faut comprendre leur métier, leurs problématiques ».
Pourquoi cette fonction plutôt que directeur stratégique ? « Souvent, le chief of staff est l’étape avant la constitution d’une équipe stratégique avec un rôle plus polyvalent et opérationnel », complète Isaure de Fleurieu. « Pour les entreprises en série A, c’est un rôle plus junior, moins dans la partie gestion de projets », amende Paul Tourrolier, le chief of staff de Skello.
Un poste évolutif selon les premiers concernés. « Nous sommes là aussi pour combler les trous dans l’organisation en fonction des besoins et de l’appétence de la boite. En 2 ans, mon poste s’est déjà élargi dans le cadre de notre expansion internationale avec la gestion des country managers, confirme Paul Tourrolier de Skello, et cela peut aussi aller vers des fonctions plus RH ou de finance. » Et dans certains cas, comme l’ancien chief of staff de talent.io, Antoine de Talhouët, s’ajoute une responsabilité M&A. Un poste qui est « une sorte de porte d’entrée dans le groupe afin de découvrir l’entreprise, les sujets, les interlocuteurs, selon Karen Vaniche d’Accor. Après 2 ou 3 ans à ce poste, les chiefs of staff évoluent ensuite vers des postes plus opérationnels au sein de directions corporate ou régionales ».
Un rôle plus opérationnel
Ce que les anciens consultants aiment particulièrement dans cette fonction ? Un rôle de chef d’orchestre des équipes, « un métier qui permet, aux yeux d’Antoine de Talhouët, de mettre les mains dans le cambouis », attractif pour les consultants en stratégie encore en poste ou anciens. Et ce, pour deux raisons d’après Paul Tourrolier de Skello, parce qu’il permet « de mettre un pied dans l’opérationnel, en découvrant quelque chose de plus concret et de voir les effets directs de son impact, mais aussi, en capitalisant sur ses forces acquises, d’avoir la capacité à gérer des problèmes complexes dans l’interaction avec le DG ». La diversité des sujets et une fonction de « doer », pour Isaure de Fleurieu chief of staff de Sicara. « Je cherchais à avoir la vision transverse d’une entreprise, en gardant un poste proche de la direction, et dans une structure à taille humaine pour être efficace et avoir des résultats. » La possibilité aussi de se projeter sur du long terme pour Ophélie Renard, chief of staff du CTO d’Accor. « Dans le conseil, on change tout le temps de projet et d’équipe. J’avais envie de faire partie d’une équipe, d’une entreprise et d’un projet, et voir ainsi comment peuvent se développer nos idées. »
Et qui s’avère particulièrement bien adapté au profil de consultant en stratégie, d’après Isaure de Fleurieu, pointant notamment la rigueur, le côté analytique, l’esprit de synthèse, la capacité de problem solving et de priorisation des sujets. Un métier qui demande « plus qu’ailleurs un véritable équilibre entre softskills et hardskills, jusqu’à l’intelligence sociale, des qualités développées dans le conseil », souligne aussi Antoine de Talhouët pour l’alumni chief of staff. Autre atout du consultant, comme le souligne Ophélie Renard chez Accor, « l’habitude de travailler avec les membres du comex, et comme nous connaissons bien leurs attentes et la stratégie des entreprises, cela fait gagner du temps ».
Audrey Borowski compare cette fonction « assez politique » à un observateur, une sorte de tour de contrôle, « capable de tout faire et d’aller creuser ce qui fonctionne ou pas », qui doit faire preuve d’une insatiable curiosité intellectuelle, et « beaucoup d’humanité ». De l’agilité intellectuelle, d’après Oriane Mainard chez Voodoo, pour aborder sans cesse de nouveaux sujets, secteurs, problématiques, mais aussi la capacité à comprendre les enjeux, de la structuration et de l’organisation. De l’agilité, il en faut, car entrer directement comme chief of staff d’un DG d’une entreprise inconnue, cela peut s’apparenter à un défi. « J’ai eu un process de recrutement très long de 3 mois ce qui m’a permis de devenir familière avec l’entreprise. Mais cela est un vrai challenge de connaissance, nécessite une capacité à comprendre la boite et à monter sur les sujets rapidement », reconnaît Oriane Mainard, chief of staff chez Voodoo depuis bientôt 3 ans, une entreprise très consulting compatible, avec le recrutement d’une vingtaine de ces profils de consultants en 3 ans.
Une fonction qui permet aux alumni du conseil en stratégie d’élargir leur palette de savoirs et de savoir-faire : principalement du « delivery de projets, du management d’équipes » pour Paul Tourrolier de Skello. Au rendez-vous, selon Isaure de Fleurieu, chief of staff de Sicara, la vision complète d’une entreprise et ses problématiques de croissance, le point de vue du CEO dans la gestion d’une entreprise, la compréhension des enjeux spécifiques aux marchés et la méthodo propre au groupe, et des enjeux de conduite au changement. « J’ai développé mes capacités d’adaptation en me confrontant à la réalité. Car dans la fonction de consultant, on est un peu dans une tour d’ivoire », admet Antoine de Talhouët. Des missions à la pelle pour Oriane Mainard, chief of staff de Voodoo (700 personnes, 600 millions de chiffre d’affaires) depuis 2021 : l’orga « des routines » de l’entreprise, des sujets M&A, comme l’intégration de Beachbum, ainsi de la coordination d’équipes et de due dil en cours, du recrutement de strategic project managers, du lancement de nouveaux projets internes ou encore de la coordination financière et légale… « J’y ai énormément gagné en liberté et autonomie, car il n’y a pas vraiment de fiche de poste, et c’est à nous de créer notre propre poste », ajoute aussi Ophélie Renard depuis 2 ans chez Accor.
Le poste idéal d’après conseil
Le poste de chief of staff est-il un bon tremplin pour ces anciens consultants en stratégie ? Oui, mille fois oui, selon celles et ceux interrogés par Consultor. Un poste où « l’on reste 2 ou 3 ans, mais avec des perspectives pas toujours claires selon l’entreprise, dans mon cas, devenir chief of staff pour une entité plus grande ou au niveau groupe, mais on peut aussi s’orienter sur des postes plus commerciaux ou fonction support type Key Account Manager, COO ou CRO dans d’autres entreprises », dit Isaure de Fleurieu, celle qui a passé le cap chez Sicara, en ce début 2024. Monter dans cette fonction au niveau groupe ? C’est une option. Comme le poste, « le plus naturel » pour Oriane Mainard de Voodoo, « un poste opérationnel dans l’entreprise dans laquelle on est ».
Derrière, les opportunités sont donc vastes, monter dans la gouvernance des entreprises ou monter sa propre boite. C’est le cas d’Audrey Borowski, qui en a fait un tremplin entrepreneurial, passant de chief of staff de relevanC à cheffe d’entreprise (elle a cofondé The Climate Workout, qui propose des ateliers de sensibilisation au dérèglement climatique par le sport). « Cette fonction hyper intéressante m’a permis de voir des sujets que je ne connaissais pas. Et quand on a un bon binôme, cela crée une vraie plus-value pour l’entreprise », atteste-t-elle. Car la possibilité d’avoir accès à l’intégralité des informations sur l’ensemble de la société a permis à Audrey Borowski de comprendre finement le fonctionnement de son entreprise, mais aussi « la day to day life des DG ».
Un tremplin qui permet des choix de cœur aussi. Depuis début 2024, Antoine de Talhouët est senior project manager chez Believe, une start-up française devenue licorne en 2021 spécialisée dans la distribution musicale numérique et les services aux artistes et labels indépendants, « une nouvelle opportunité dans l’industrie de la musique qui me passionne ».
Ce métier a-t-il de l’avenir ? D’aucuns affirment que l’effet de mode du chief of staff, en particulier dans les start-ups et scale-ups va s’essouffler, à l’instar de la tendance Sales Ops il y a quelques années… Pour ceux-là, la valeur ajoutée d’un chief of staff plutôt junior dans les jeunes entreprises en croissance reste limitée. Seule cette fonction dans les grands groupes, dédiée à des profils seniors, devrait survivre à cette mode très américaine.
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Parcours de chiefs of staff
Audrey Borowski (emlyon 2017), 32 ans, Bain (2017-2019), chief of staff relevanC, filiale de Casino (2019-2023), cofondatrice de The Climate Workout (2023)
Isaure de Fleurieu (ESSEC 2018), 30 ans, Mawenzi (2019-2022), chief of staff Sicara (depuis 2024)
Paul Tourrolier (emlyon 2014), 33 ans, Bain (2016-2022), chief of Staff Skello (depuis 2022)
Antoine de Talhouët (Columbia University 2016 – Harvard 2018 – Sciences Po 2019), 29 ans, Kearney (2019-2021), chief of staff talent.io (2021-2023), senior project manager Believe (depuis 2023)
Oriane Mainard (ESSEC 2016), 32 ans, EY-Parthenon (2016-2021), chief of staff Voodoo (depuis 2021)
Ophélie Renard (London School of Economics and Political Science 2016- EDHEC 2019), 28 ans, Oliver Wyman (2019-2022), chief of staff CTO Accor (depuis 2022)
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