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Consultant en stratégie vs. conseiller ministériel : le jeu des 7 différences

Que le conseil en strat’ soit l’un des viviers des cabinets ministériels n’est pas un secret. Quelles sont les différences et similitudes fondamentales de ces deux métiers – en matière d’approche, de delivery et de compétences ?

Kéa
Lydie Lacroix
14 Avr. 2025 à 14:00
Consultant en stratégie vs. conseiller ministériel : le jeu des 7 différences
© nocidar/Adobe Stock

L’une, Hélène De Vestele, a vécu une expérience singulière en devenant conseillère du ministre argentin de la Modernisation et du Développement durable, Andrés Ibarra, de 2015 à 2017. Elle a rejoint le cabinet MySezame, filiale du groupe Kéa qui intervient auprès des DG et d’autres directions en matière de formation, transition écologique et impact – après avoir évolué notamment dans le conseil interne, chez Safran, où elle était en charge des données biométriques.

L’autre est devenu conseiller ministériel récemment au sein des ministères sociaux. Il avait passé un peu plus de 2 ans chez l’un des leaders du conseil en stratégie en France. Ce conseiller a choisi de s’exprimer sous couvert d’anonymat.

1. L’aide à la décision : scission non binaire entre les deux métiers

Pour bien faire son travail, un conseiller doit prendre en compte «l’ensemble de l’écosystème, toutes les parties prenantes et leurs intérêts, lesquels ne sont pas toujours chiffrés en euros», indique notre témoin ministériel anonyme.

Quant au consultant, il émet des recommandations à destination d’un client, en général une entreprise tenue à la rentabilité. Si, au premier abord, les KPIs du conseil peuvent sembler plus basiques que ceux d’un cabinet ministériel, ils sont en réalité «multiples» dans les deux cas.

«Quels “biens” cherche-t-on à délivrer et comment priorise-t-on ou hiérarchise-t-on les différents objectifs ?» L’enjeu commun étant de faire apparaître «quelles sont les valeurs à produire et les problèmes à éviter», tout en élaborant «le raisonnement» pour accompagner la prise de décision.

Pour Hélène De Vestele, l’aide à la décision intervient selon les mêmes principes. «Les deux métiers visent l’amélioration d’une situation donnée et l’intérêt général – dans le cadre de l’entreprise ou d’un gouvernement –, en partant de l’existant et en tenant compte de certaines contraintes.»

2. La pression : plus forte chez le conseiller ministériel

L’un doit livrer des « recos » à ses clients, l’autre produit des notes visant à opérer des arbitrages. Pour les deux exercices, «l’attendu est un “executive summary”. Mais le conseiller ministériel est soumis de façon beaucoup plus forte à la pression des parties prenantes, explique le conseiller anonyme. Dans l’arbitrage, il faut y voir clair, s’assurer de poursuivre le bon objectif pour pouvoir ajuster les moyens à ce dernier.»

Quant aux sources de satisfaction, elles sont identiques. «A-t-on organisé la bonne réunion, au bon niveau et au moment approprié, avec les interlocuteurs requis autour de la table disposant des bonnes informations ?»

3. Le jargon : balle au centre

«Très clair» ou «je te call asap», dans le monde du conseil. «Bien pris» dans celui des cabinets ministériels et de l’administration, pour dire «bien reçu», ou «il faut traiter cette personne» – parce qu’elle est importante dans l’écosystème et qu’il faut «lui témoigner de la considération», même si l’on ne prendra pas nécessairement en compte ce qu’elle dit. Chaque monde dispose donc de son propre jargon.

Les anglicismes arrivent également dans la fonction publique, «alors même que les humoristes s’en moquent à juste titre», ironise Hélène De Vestele. Le conseil en stratégie a «plus d’influence qu’on ne pourrait l’imaginer».

Plus sérieusement, il est «assez modélisant via ses outils conceptuels et méthodes – le fait de travailler à partir d’hypothèses, etc.», indique l’ancien consultant, tout en reconnaissant avoir un regard «un peu biaisé ».

Le protocole, en revanche, joue un rôle beaucoup plus important dans les cabinets ministériels et le monde administratif plus largement. «Les gens connaissent parfaitement les institutions ainsi que leurs oppositions “historiques” sur tel ou tel sujet.» Dès lors, les références revêtent davantage d’importance. «Il faut aller parler à la SD5 [sous-direction 5] de la DGCS [Direction générale de la Cohésion sociale] – tout le monde sachant parfaitement de quoi il s’agit. Il est indispensable de s’approprier les organigrammes et les titres.»

Un protocole dont l’un des objectifs serait, selon Hélène De Vestele, «de créer une distance, voire un mythe de supériorité». Lorsqu’elle faisait partie du cabinet du ministre argentin Andrés Ibarra, « tout le monde s’affairait [autour d’elle] et des autres membres du gouvernement, nous étions conviés à de grands dîners, alors que nous occupions une fonction donnée, comme d’autres en occupent une autre».

4. La liberté de parole et l’influence : avantage au consultant

Dans le conseil, on attend du consultant qu’il donne son avis, bien qu’il doive en parallèle «gérer la relation commerciale», indique le conseiller souhaitant rester discret. Le point d’attention tient dans le décalage éventuel «entre l’intérêt commercial du cabinet, la déontologie du consultant et sa conviction sur un sujet donné». Pour Hélène De Vestele, «une certaine créativité» fait partie du job de consultant en strat’.

De son côté, le conseiller ministériel se met au service du ministre ou, plus exactement, de son projet. «Il est recruté par une personne, dans le cadre d’un mandat donné. Si le ministre tombe, le conseiller ministériel aussi. Le conseiller entre sans doute plus facilement dans un effet de cour.» Et les marges de manœuvre sont plus ténues pour «dire au ministre qu’il se trompe ou pour plaider en faveur d’une direction» n’ayant pas été envisagée.

Ce que corrobore Hélène De Vestele. «Très souvent, le conseiller ministériel se heurte à l’impossibilité, pour le ministre avec lequel il travaille, de faire les choix politiques nécessaires. Des logiques “politiciennes” s’imposent, alors qu’elles sont en contradiction avec la recherche du bien commun. La politique interne joue un rôle dans toute décision, quelle que soit sa nature.»

Pour faire avancer ce qui lui tient à cœur, le conseiller va devoir construire «de la conviction, du projet, des coalitions, des alignements d’intérêt» aboutissant à l’absorption des «résistances au profit de l’élan», explique notre témoin ministériel anonyme.  

 5. L’ego : plus prégnant encore dans les arcanes du pouvoir politique

Les cabinets ministériels sont en proie à davantage d’incertitude. Chacun doit se montrer très vigilant «quant à ses prérogatives et à son périmètre de responsabilités», décrypte-t-il encore. Dans cette optique, les questions d’ego peuvent sembler plus marquées.

Le «prestige» associé à tout ce qui touche aux fonctions ministérielles intervient sans doute également. «Quand on représente un ministère, on est mis sur un piédestal, témoigne Hélène De Vestele, là où le consultant, qui reste davantage dans l’ombre, peut conserver une plus grande humilité.» Ce n’est pas toujours ce qui ressort quand on évoque les consultants des MBB notamment… 

Quoi qu’il en soit, au sein des cabinets de conseil, «bien qu’il y ait des jeux d’influence, surtout à moyen terme, les enjeux de pouvoir sont sans doute davantage régulés. Or, les questions d’ego en découlent», estime l’ancien consultant. Hélène De Vestele plussoie. «Le conseil en stratégie me semble avant tout méritocratique dans la valorisation des capacités et rendus professionnels d’une personne.»

6. L’allocation de ressources : net avantage au conseil en stratégie

Le dimensionnement de l’action se fait de façon bien distincte dans ces deux métiers. Un consultant peut se permettre de résoudre «80 % des cas simples, sans se soucier des 20 % de cas complexes». Or, selon notre témoin ministériel, «un acteur public est obligé de répondre également aux cas complexes et, donc, de se montrer inefficient.» Sachant que les moyens sont beaucoup plus contraints dans le secteur public «à ce moment-ci de l’histoire», et que les décisions y relèvent davantage «de la “politique”, ce qui conduit à saupoudrer et à donner des coups de rabot homogènes quand il faut couper la dépense».

Dans le cadre de l’action publique, on en arrive donc à allouer les moyens «de façon inefficiente, en le sachant, en raison de pressions politiques ou de réticences au changement».

7. Les compétences : transposables d’un métier à l’autre

Une nuance néanmoins : les clés d’entrée des problématiques ne sont pas les mêmes pour des profils issus du conseil ou de la haute administration. «La grille de lecture d’un ancien consultant et sa façon de poser des hypothèses ou de quantifier, de remonter à la donnée» sont utiles, mais doivent s’articuler avec celles de personnes raisonnant en termes «de cadre administratif et de principes, ou en fonction du droit et d’un projet politique».

De son côté, Hélène De Vestele souligne «l’origine commune de tous ces profils, issus des mêmes grandes écoles, avec des méthodes de travail qui se rejoignent. Ces deux métiers nécessitent de la rigueur et mobilisent une stratégie de l’écrit, pour que le processus d’étude et de décision soit le plus rationnel possible».

Une différence notable en revanche tient dans l’approche systémique des problématiques, usuelle dans le conseil en stratégie là où les gouvernements «doivent tenir compte des prérogatives des différents ministères, ce qui peut considérablement ralentir les projets».

Kéa
Lydie Lacroix
14 Avr. 2025 à 14:00
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France

Adeline
France
conseiller ministériel, ministères sociaux, consultant en stratégie, BCG, alumni, Hélène De Vestele, ministère de la Modernisation, Argentine, MySezam
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Kéa
2025-04-14 15:59:28
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