Bain France, un terrain de jeu de plus en plus tech
Lancée il y a près de dix ans autour des services financiers et des biens de consommation, la practice Technologie d’entreprise se renforce chez Bain selon le partner Stéphane Busse, qui a rejoint le cabinet en 2019 précisément pour la développer.
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Qui dit « Enterprise Technology » - son intitulé officiel -, dit stratégie IT et transformation digitale. La practice est désormais totalement intégrée à l’ensemble des activités du cabinet.
Consultor – Bain mise de plus en plus sur sa practice Technologie d’entreprise : est-ce lié à l’évolution des attentes clients ?
Stéphane Busse : Dans un contexte de turbulences économiques, Bain s’appuie de plus en plus sur une dimension technologique et digitale pour aider ses clients, avec une suraccélération depuis un an et demi des sujets AI/GenAI devenus prioritaires pour les dirigeants d’entreprise.
Deux types de besoins majeurs : bien comprendre la nature des opportunités liées à ces technologies et les limites associées ; s’inscrire dans des trajectoires d’évolution qui viennent compléter des sujets plus classiques autour de la transformation digitale – sachant que les organisations sont loin d’être arrivées au bout des enjeux en la matière.
Au-delà d’un développement, peut-on parler de pivot pour le cabinet ?
Tout à fait. Si l’on regarde l’activité mondiale de Bain, environ 30 % de celle-ci est directement liée à des situations comportant une très forte dimension tech ou Analytics – et de l’ordre de 50% si l’on prend en compte les cas avec des contributions plus ciblées incluant de l’IA par exemple. En France, c’est de l’ordre de 20 à 25 %. Dans les deux prochaines années, on devrait même approcher 50 % de l’activité réalisée avec une majeure Tech. Le fait d’inclure dans des stratégies business classiques des éléments forts d’orientation vers davantage de technologie correspond au « new normal » !
Historiquement, dans le conseil en stratégie, les consultants n’étaient pas fans des missions IT. Et aujourd’hui ?
La capacité à maîtriser les enjeux technologiques est importante pour tout consultant en stratégie. D’où l’organisation de sessions de présentation des missions dédiées dès la phase d’intégration de nos jeunes recrues. Nous leur proposons également des formations spécifiques autour des enjeux de GenAI, très « pratico-pratiques », sachant que notre partenariat avec OpenAI nous permet de mobiliser cette technologie pleinement en interne. Là où il y a 10 ans, la technologie était accessoire dans la stratégie, elle est aujourd’hui au cœur des enjeux, la nouvelle génération de consultants montrant une forte appétence pour ces sujets.
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La collaboration entre Bain et OpenAI franchit un nouveau cap : développer et commercialiser, grâce à une équipe conjointe, des solutions destinées spécifiquement aux clients Retail et Life sciences du cabinet, avant de viser d’autres secteurs.
Dans le cadre de cette practice, sur quel type d’interventions les consultants peuvent-ils être mobilisés ?
Nos missions traitent de l’évolution des systèmes d’information dans différents contextes. Sur des sujets de M&A, fusions-acquisitions ou carve-out, les enjeux technologiques sont tout aussi forts que les enjeux business. Les premiers conditionnent la réalisation des synergies recherchées ainsi que l’apport de valeur.
Une autre problématique concerne le positionnement de la tech/de l’IT/du digital au sein des organisations : design de modèles opérationnels, pivot vers des modèles davantage orientés produits, thématiques d’efficacité de la fonction IT, redéfinition de la nature des relations IT/business… Globalement, les conseils d’administration ou équipes dirigeantes ont du mal à suivre le rythme des évolutions technologiques. Les CIOs ou CTOs sont presque dans le même cas car ils doivent aussi répondre aux enjeux d’efficacité de la fonction elle-même. Cela nous conduit à travailler sur la transformation de la fonction IT.
Troisième grande catégorie, la stratégie IT dans un contexte de transformation globale – modernisation des processus de l’entreprise et des systèmes d’information sous-jacents. Certaines organisations ont des dépendances fortes envers des applications legacy : il est alors impératif d’envisager des stratégies via l’adoption de solutions plus récentes dans l’univers SAP ou de solutions de type SAAS ou encore, via une adoption supérieure de cloud public.
Dans ces contextes en particulier, en plus du volet Stratégie, nous nous impliquons jusque dans l’implémentation mais avec un prisme business dans ces transformations technologiques complexes d’ERP ou de CRM. Nous travaillons avec les intégrateurs système.
Ce type de demandes pourrait être adressé à Accenture ou Capgemini. Pourquoi Bain ?
Il y a une question de neutralité, et aussi de positionnement sur la valeur.
Sur le terrain de jeu technologique, les possibilités sont infinies. Le rôle d’un cabinet de conseil en stratégie est de trouver le bon équilibre entre les enjeux de modernisation et ceux de création de valeur. Sur de grands programmes de transfo durant deux ou trois ans, les budgets atteignent souvent plusieurs centaines de millions d’euros. Les entreprises doivent donc faire atterrir ces programmes avec le bon niveau de valeur générée, moyennant un contrôle des investissements requis – logiciel, matériel, implémentation.
Bain se positionne sur les volets d’orchestration de la transformation business liée à la livraison de ces programmes afin que ces derniers puissent offrir la valeur escomptée, laquelle est souvent sous-estimée, et réaliser ainsi le plein potentiel de la transformation.
Notre cabinet s’inscrit dans une logique de tiers de confiance, notamment pour la définition d’un périmètre ou son association à des objectifs métiers clairs, pilotés dans le temps et contrôlés. Mais Bain n’a pas vocation à faire de l’implémentation technique ni du développement ou de la configuration de systèmes/de solutions.
Vous évoquiez des programmes de transfo de 2 à 3 ans. Le cabinet intervient donc sur des projets aussi longs ?
Oui. Bain dispose désormais de plusieurs expériences client positives dans ce type d’accompagnement.
Quand on parle de transformations liées à un déploiement massif d’ERP, la durée est tout de suite de plusieurs années. Mais les interventions de Bain comportent souvent plusieurs volets, avec des missions plus classiques de design de modèles opérationnels ou de définition de stratégies IT davantage ad hoc.
Quelques exemples de missions relevant de la technologie d’entreprise ?
Bain a accompagné plusieurs sociétés dans l’univers des biens de consommation, sur des projets de carve-out – définition des éléments de création de valeur via le carve-out, éléments de séparation d’un point de vue process et technologie, accompagnement jusqu’à la séparation/la préparation du D-One.
Dans le monde de l’énergie ou des biens de consommation, nous avons mis en forme plusieurs programmes de transformation des processus métiers sur des périmètres internationaux, accompagnés d’une refonte des systèmes IT et digitaux associés.
Y a-t-il des demandes spécifiques à certains secteurs, selon leur niveau de maturité tech ou digitale ?
Cela dépend surtout des dépenses engagées. Les services financiers sont le secteur qui investit le plus, avec énormément de sujets IT à adresser.
Du côté des biens de consommation, il y a aussi beaucoup d’activités, notamment sur du M&A, en complément de questions de rénovation des processus ou de digitalisation de systèmes d’engagement clients - pour les rendre plus performants.
Il y a également des thématiques communes et récurrentes sur l’ensemble des industries comme l’optimisation des coûts technologiques, la gestion holistique des risques cyber et la modernisation des solutions.
Un sujet majeur enfin tient dans la façon dont on déploie les agents conversationnels animés par la GenAI, dans divers contextes métiers et interactions clients. L’un de nos premiers projets a été de développer un chatbot de conseil pour les achats sur le site web du groupe Carrefour, des fiches descriptives de produits de la marque ainsi qu’un support pour les procédures d’achat - en nous appuyant sur les solutions d’OpenAI via Microsoft Azure. Il s’agissait donc d’une intégration complète de ce type de technologie dans des processus clients.
Sur l’AI ou la GenAI, Bain réalise donc un peu de delivery ?
C’est l’exception ! Grâce à notre partenariat renforcé récemment avec OpenAI [en octobre 2024, ndlr], nos 500 data scientists+ - au sein de Bain Monde - peuvent être amenés à travailler sur des projets pour nos clients dans une dimension de mise en œuvre.
Selon Gilles Babinet du Conseil national du Numérique, le débat sur les gains de productivité liés à l’IA serait « pollué par les conflits d’intérêt des cabinets de conseil en stratégie ». Votre réaction ?
Chez Bain, nous avons une position équilibrée quant aux gains d’efficacité à attendre. Mais une chose est sûre : tous les grands éditeurs de logiciels intègrent actuellement davantage de GenAI pour enrichir les fonctionnalités de leurs produits.
Par ailleurs, certains éléments de productivité peuvent être démontrés : dans l’univers de l’approvisionnement, l’efficacité augmente de 20 % environ ; idem pour le développement de logiciels (15-20 %).
Ces gains de productivité sont aussi à apprécier de façon plus globale – gains d’usages et d’expérience collaborateur.
Y a-t-il deux teams au sein du cabinet : les experts tech et les consultants en stratégie « pur jus » ?
Il n’y a pas de cloisonnement chez nous. D’ailleurs, l’expertise technologique alimente la logique des Vendor Due Diligences par exemple, dès lors qu’on regarde un actif de type software ou IT Services.
Néanmoins, une phase d’évangélisation a été nécessaire lors du développement de nos practices digital/tech – et elle se poursuit. Bain ne fait pas « de technologie pour la technologie » ! Nous avançons en conservant notre fort ancrage business, dans une logique de continuum, avec une part « tech » dans nos recommandations clients.
Quels sont les impacts de ce mouvement de pivot vers la tech – sur le recrutement notamment ?
Nous recrutons effectivement plusieurs types de profils, dont des « experts tech » au niveau de séniorité assez fort pour compléter les équipes généralistes. Ces profils doivent aussi disposer d’un « bagage » en management/consulting. Par ailleurs, au sein des équipes généralistes, il y a une double logique de formation – et d’exposition - des consultants à ces sujets-là.
Autre impact, une logique de partenariats, avec OpenAI ainsi que tous les usual suspects du monde de la tech – SAP, AWS, Microsoft, Salesforce…- notamment pour avoir une bonne compréhension de leurs offres par rapport à nos clients.
Si la practice Technologie d’entreprise recrute à Paris à raison de plusieurs dizaines de jeunes recrues et d’experts tech – dans le cadre de ses 30 % de croissance YoY depuis plusieurs années -, c’est aussi le cas des autres bureaux européens de Bain. Il s’agit de l’une des priorités du cabinet pour 2025.
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