Alerte rouge : la com de crise au secours des cabinets de conseil
Toutes les entités de conseil en stratégie ne subissent pas d’incendies simultanés, comme McKinsey, mais chacune peut y être exposée. La communication de crise dispose-t-elle d’antidotes ? Éléments de réponse avec Gantzer Agency, Image 7, Nitidis, Publicis Consultants - et des experts souhaitant rester discrets.
Bad buzz par-ci, bad buzz par-là : depuis leur avènement, les réseaux sociaux agissent comme des caisses de résonance et/ou d’amplification instantanées, pluridimensionnelles. Et le web social n’est pas la seule source de risques.
Comme le confie à Consultor l’ancien conseiller du Président François Hollande, Gaspard Gantzer, fondateur d’une agence dédiée en grande partie à ce type de com (plus de 50 % des missions), « nous sommes entrés dans l’ère des crises permanentes ».
Le recours des cabinets de conseil en strat’ aux agences spécialisées en hausse ?
Pour Michel Sarazin, ancien journaliste, associé et membre du codir d’Image 7 qui a longtemps géré la communication de Bain & Company, la réponse est oui.
Adrien Cicurel, DG adjoint de Publicis Consultants (l’agence d’influence intégrée au groupe Publicis), souligne pour sa part la demande croissante « de média training et de professionnalisation de ce dernier ». Cela se traduit au sein des agences par la constitution de binômes consultants en communication/journalistes en activité ou s’étant positionnés sur le média training.
Même écho du côté de Laurent Vibert, fondateur de l’agence Nitidis dédiée exclusivement à la communication et au média training de crise. Les entreprises en général, cabinets de conseil en strat inclus, « s’alarment davantage – dans le bon sens du terme – pour se préparer à une médiatisation qui pourrait leur échapper ».
Sachant que le premier objectif de toute com de crise qui se respecte demeure d’éviter qu’une situation sensible se transforme… en crise. Dans cette perspective, l’activité de veille à 360° s’avère décisive - l’identification des signaux faibles notamment.
Sachant, aussi, que la com de crise n’est que l’un des outils de gestion de crise et « qu’elle ne doit pas intervenir en aval », selon Gaspard Gantzer.
Pour les cabinets, des familles de risques multiples
Cela commence par la nature même de l’activité de certains de leurs clients. Conseil aux acteurs des énergies fossiles et de l’industrie chimique, par exemple, ou aux Big Pharma - avec le scandale des opioïdes aux États-Unis et au Canada impliquant McKinsey… Les cabinets évoluent souvent en terrain miné sans toujours en mesurer toutes les conséquences au moment de valider un engagement.
Autres risques réputationnels (relativement) spécifiques, les situations de conflits d’intérêts, de favoritisme dans l’attribution de contrats, ou des problématiques fiscales. Voire des pratiques illégales : en 2021, les activités de conseil du BCG, de McKinsey et de PwC en Angola ont ainsi été remises en cause pour des contrats réalisés avant 2017. En 2024, le BCG, dont l’un des bureaux avait versé des pots-de-vin afin d’obtenir des contrats auprès du gouvernement et d’entreprises publiques angolaises, a dû conclure un accord financier avec le département de la Justice US.
De « nouvelles » familles de risques voient par ailleurs le jour, liées aux évolutions sociétales ou tech. La pression exercée sur les jeunes consultants, l’épuisement professionnel, le harcèlement sous toutes ses formes en font partie (tous les secteurs pouvant être concernés). Ou encore, « la désinformation opérée principalement sur les réseaux sociaux, désormais avec l’aide de l’IA générative, qui a pour objectif d’atteindre l’intérêt d’un dirigeant ou d’un cabinet », ajoute Laurent Vibert. Sans parler de « l’accélération du temps – de l’information – et de la visibilité accrue des dirigeants googlisés en permanence. La préparation de la réaction s’en trouve bouleversée, d’autant que le premier jet visible, même s’il est démenti par la suite, imprègne les esprits ».
Deux mots d’ordre : anticipation et reconnaissance du terrain
Avant même que la crise éclate – si elle éclate –, une question récurrente est celle de savoir s’il faut « prendre les devants », selon Adrien Cicurel de Publicis Consultants. Dans la com de crise, mieux vaut avoir un coup d’avance. Pour nos interlocuteurs, « le fait d’avoir élaboré un dispositif dédié » avant le déclenchement de la crise constitue un impératif pour tout cabinet de conseil de dimension internationale. Cet aspect de présence mondiale constitue un facteur de vulnérabilité supplémentaire, car il va falloir « coordonner les réponses et messages tout en les adaptant à différents auditoires », explique Michel Sarazin d’Image 7.
Pour élaborer « les premiers messages relatifs à chacune des grandes familles de risques » en l’absence de pression, le média training entre en scène. L’étape 1 consiste à faire prendre conscience aux dirigeants de « l’écosystème informationnel dans lequel ils évoluent », indique Laurent Vivert de Nitidis. Et le rôle d’un consultant en com de crise est avant tout celui d’un analyste. « Quelle est la situation ? L’environnement ? Y a-t-il un risque de feuilletonage médiatique ou de focalisation sur le secteur, le leader ? »
Il faut concevoir de multiples scénarii. Le média training permet alors de se forger une « assurance tous risques » (ou presque…) et de développer une certaine « résilience ». La meilleure des communications « est celle qui s’appuie sur beaucoup de préparation et de répétitions », renchérit Gaspard Gantzer.
C’est aussi lors de cette phase d’anticipation qu’il faut s’assurer qu’il n’y ait pas « d’angles morts », ajoute Adrien Cicurel. La relation de confiance qui se noue entre le cabinet de conseil et l’agence de com de crise est alors décisive.
Proscrire les contre-vérités
Attention en effet « à ne pas tenir de propos sur des faits qui ne seraient pas strictement avérés ». Problème : tout évolue très vite et il faut s’exprimer rapidement « pour ne pas laisser de “mauvais” messages s’installer », souligne Michel Sarazin. En même temps, il faut se garder de parler trop vite : « L’analyse de la situation et l’identification de toutes les parties prenantes sont capitales », complète Gaspard Gantzer.
Par ailleurs, selon Michel Sarazin, il est rare « d’avoir intérêt à ce que le patron d’un cabinet prenne la parole… immédiatement du moins ». Mieux vaut laisser des porte-paroles délivrer les premiers messages. Sauf situations dramatiques, l’expression du patron d’un bureau doit être réservée à d’éventuelles évolutions ultérieures.
Adopter les postures adéquates et agir en contrepoint
L’empathie est la première d’entre elles, car, qui dit crise dit, a minima, préjudices de divers ordres. « Si les dirigeants ou porte-paroles de la structure concernée n’en font pas preuve, ils vont apparaître comme sans foi ni loi », indique Michel Sarazin d’Image 7.
La capacité à faire comprendre que l’on a pris conscience de l’ampleur de la crise est décisive. Dans le cas de McKinsey, nous confie un expert souhaitant rester discret, « pour certaines affaires » – le scandale des opioïdes en tout premier lieu – au-delà des accords financiers conclus avec la justice et les états américains pour échapper aux sanctions pénales, « le cabinet aurait davantage dû montrer qu’il faisait tout ce qui était en son pouvoir pour réparer ce qui s’était passé ». Face à de tels drames humains (près de 645 000 décès dus à des overdoses d’opioïdes entre 1999 et 2021), les déclarations de la Firme selon lesquelles « les missions réalisées ne répondaient pas aux critères élevés que le cabinet s’était fixés » semblent en effet dérisoires.
En parallèle, il s’agit de « montrer que l’on agit ». Si l’on pense aux pots-de-vin versés par le bureau de Lisbonne du BCG dans les « Luanda Leaks », un expert s’exprimant anonymement estime « que la gestion et la com de crise du cabinet ont été bien menées » : signalement à la justice US, renvoi des personnels incriminés, fermeture du bureau de Luanda, renforcement significatif des procédures de conformité, des contrôles internes et de la formation en la matière. « Le BCG était sans doute tenu d’informer la justice à partir du moment où il avait connaissance de certaines dérives, mais il a pris des initiatives complémentaires sur lesquelles il a pu communiquer. »
Que faire face à une émission de type Cash Investigation ?
« Le combat est perdu d’avance ! » : c’est ce que confie un autre spécialiste. Dans ce cas de figure, il conseille quasi systématiquement à ses clients de ne pas prendre part à l’entretien proposé. Ce faisant, le dirigeant visé doit savoir qu’une équipe de l’émission « est susceptible de lui tomber dessus à n’importe quel moment ».
En principe, si cela se produit, il ne sera pas surpris. Et il appliquera les conseils relevant de la com de crise, à savoir : « Garder son calme, ne pas donner l’impression de s’enfuir, sourire à Élise Lucet, lui dire que ce n’est pas le lieu d’une interview, surtout ne pas commencer à répondre à ses questions ». Dans le volet consacré à McKinsey le 17 septembre dernier, tout l’inverse s’est produit. Erreur manifeste dans la communication de crise du cabinet et de sa dirigeante ? Oui, selon ce spécialiste, qui reconnaît néanmoins l’extrême délicatesse de l’exercice.
Au-delà de ce type d’émissions, la multitude d’incendies qui affectent la maison McKinsey rend sa défense périlleuse. « Le fait qu’il y ait une dimension politique et qu’il soit question d’argent public, en France », ou que l’on parle de centaines de milliers de décès outre-Atlantique, produit une confluence « d’enjeux et d’émotions », selon Adrien Cicurel. « Dans un tel contexte, l’objectif de la com de crise doit être le retour à la rationalité, avec toutes les difficultés que cela comporte. »
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