Dans le conseil, ces candidats qui se risquent au « ghosting »
Sur le marché de l’emploi, la pratique de ces candidats à une embauche, déjà recrutés ou sur le point de l’être, qui du jour au lendemain ne donnent plus aucune nouvelle, est désormais bien identifiée. Le « ghosting » a été amplement documenté dans tous les secteurs de l’économie… au point de toucher à présent des microcosmes tels que le conseil en stratégie ? Ponctuellement, oui, disent à Consultor plusieurs partners et recruteurs. Dans un cercle aussi fermé, les risques réputationnels ne semblent pas effrayer certains candidats.

Le « ghosting », qui a d’abord consisté à mettre des vents sur des applications de rencontre, s’est désormais fait une bonne place dans l’économie. Et pas n’importe où : au stade du recrutement. La pratique est amplement documentée ces dernières années.
28 % des candidats disent avoir déjà « ghosté » un recruteur, un chiffre en hausse
Elle s’est à ce point développée que certains en tentent la mesure. Sur 1 500 personnes sondées en 2022 par Greenhouse Software, une société américaine qui propose un logiciel de recrutement pour les entreprises, 28 % indiquaient avoir déjà « ghosté » les recruteurs en 2021. Un chiffre nettement plus important que lors d’une des mesures antérieures du même type, en 2019, où il était alors question de 9 %.
Dans le conseil en stratégie, les choses sont plus ténues, mais une certaine récurrence se produit également, qui est plutôt nouvelle aux yeux des observateurs avertis.
« Le fait de s’engager dans un process de recrutement n’est pas vu comme quelque chose de très engageant »
Ce dont témoigne Samuel Beauchêne, partner au sein du cabinet de recrutement spécialiste du conseil en stratégie, organisation et transformation Upward : « C’est un phénomène grandissant, qui s’est accéléré et qui correspond à une volatilité plus forte des candidats pour qui, je trouve, le fait de s’engager dans un process de recrutement n’est pas vu comme quelque chose de très engageant. »
Une recruteuse dans le conseil en stratégie, dans un Big Four, qui a requis l’anonymat, décrit, elle aussi, « des personnes avec qui on discute au téléphone régulièrement puis tout d’un coup plus de nouvelle. Impossible de les avoir à nouveau en ligne ».
Même son de cloche encore d’Axel Franco, un autre partner du Groupe Upward : « On a toujours eu des profils qui disparaissaient de la circulation, mais c’est vrai que la tendance actuelle s’accentue un peu. »
Une tendance encore marginale dans le conseil et des cas ponctuels
Elle reste, dans le conseil, plutôt marginale et cantonnée à certains profils. « Quand cela nous arrive, nous sommes encore à un stade où nous en sommes étonnés, où nous ne comprenons pas. Même si, bien sûr, dans certains cas on le voit venir gros comme une maison avec des profils qui dès le début ne font pas preuve d’un enthousiasme débordant à l’idée de démarrer un process de recrutement avec un de nos clients » perçoit Rémi Salmeron, directeur chez Wit Associés, cabinet de chasse de têtes actif dans le conseil (dont les fondateurs sont également actionnaires à titre individuel de Consultor, ndlr).
Des cas exceptionnels, mais tout de même un peu plus prévalents que par le passé. « On l’observait moins par le passé, mais ce n’est pas non en train de devenir business as usual » modère Rémi Salmeron.
La demi-douzaine de partners de cabinets de conseil en stratégie parisiens que nous avons sondés disent de même : « Oui, j’ai quelques anecdotes à ce sujet, mais aucune base factuelle pour dire qu’il y a une tendance ou une évolution » ; « On l’a vu au moment du covid, puis plus rien depuis » ; « Ce n’est pas une pratique que j’ai pu observer »… En résumé, cela peut arriver, mais reste du cas par cas et rien de tendanciel à ce stade.
De même, David Ifrah, le secrétaire général du Syntec Conseil, l’organisation professionnelle représentative de la branche conseil en France, reconnaît n’avoir jamais entendu parler du « ghosting » dans le conseil. En revanche, « que les candidats de manière générale soient plus légers dans leurs démarches de recrutement est un sujet qui revient régulièrement », dit-il à Consultor.
Des causes plurielles
Pas un phénomène massif donc qui, cela dit, s’explique de diverses manières. Il y a les raisons générales qui ont sans doute leur part de vérité dans le conseil également : des processus de recrutement plus digitalisés qui impliquent moins les candidats ; des process parfois très longs qui laissent le temps aux candidats de tergiverser — ce qui est particulièrement le cas dans le conseil en stratégie avec parfois une dizaine d’entretiens ; un retour de bâton vis-à-vis d’entreprises qui, bien plus souvent que les candidats, sont les premières à ne plus donner signe de vie.
Il y a aussi des raisons psychologiques individuelles. « Une fois, nous avons eu le retour d’une personne qui avait fait un “ghosting” très prononcé. Elle nous a expliqué a posteriori les raisons de ce comportement. Elle nous avait expliqué s’être sentie pressée et oppressée, être bien consciente que cela n’était pas correct, mais qu’il s’agissait d’un mécanisme de défense », raconte Rémi Salmeron, chez Wit.
Il peut y avoir enfin, aussi, des raisons de conjoncture : dans un marché peu dynamique, où les recrutements ne sont pas légion, certains candidats peuvent avoir la tentation de « faire le mort », comme on dit, le temps que de nouvelles opportunités reviennent dans des cabinets qui les intéressent plus directement.
La réputation, seul facteur limitant
Seul garde-fou : la réputation. Elle peut constituer un frein, d’autant plus quand les profils sont seniors. Comme en témoigne Samuel Beauchêne chez Upward Consulting : « Les consultants seniors font attention à leur réputation, dans un milieu où on se connaît, où on peut vite se recroiser sur des propales commerciales ou chez des clients. »
Pour le reste, une certaine « filouterie », comme l’appelle Samuel Beauchêne, se fait une place dans les recrutements, dans le conseil comme ailleurs, à laquelle le « ghosting » appartient. Pour la contrecarrer côté recruteurs, certains tentent de resserrer les liens pour engager davantage.
D’autres sont plus fatalistes. Comme dit Rémi Salmeron chez Wit : « Les recruteurs et les partners dans les cabinets de conseil sont désolés de se retrouver “ghostés” de cette manière. Ils passent par de l’incompréhension, de l’agacement. Puis rapidement, ils passent à autre chose, à d’autres candidats. Next ! »
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