le media indépendant du
conseil en stratégie

icone burger fermee

rechercher sur le site

icone recherche

Les data scientists à l’école de la stratégie

 

Ces profils qui mélangent compétences statistiques, mathématiques et codes informatiques sont de plus en plus prisés par les cabinets qui répondent en cela à la demande de leurs clients. Qui sont-ils et comment s’intègrent-ils dans des environnements où, il y a à peine cinq ans, ils étaient absents ?

 

07 Fév. 2018 à 12:33
Les data scientists à l’école de la stratégie

 

« C’est l’éléphant au milieu de la pièce. » Dixit Thomas Croisier, le patron de Monitor Deloitte en France. « L’un des sujets principaux sur lesquels nous conseillons nos clients », selon Simon Freakley, le chief executive d’AlixPartners de passage à Paris au retour de Davos.

Le rouleau compresseur du digital ne s’arrête pas, bien sûr, aux portes du conseil en stratégie. Nombre de secteurs de l’économie, dont les cabinets, sont transformés par les millions de milliards de données numériques qui fleurissent partout.

Routes aériennes, authenticité des vins italiens, poids du foie gras... ces mille applications de la data science 

Et avec elles, les compétences qui sont nécessaires et attendues par certains clients changent aussi. Les missions de conseil en stratégie qui intègrent une haute dose de data science se multiplient : livrer un programme informatique qui passe en revue les milliers de routes différentes d’une flotte d’avions ; arbitrer entre « 2 700 millions d’options » de routes, celles qui sont les plus profitables pour un transporteur routier ; expurger des dizaines de millions de factures d’un groupe jusqu’à l’euro près dans toutes les filiales pour voir où réduire les coûts ; sécuriser l’authenticité de vins italiens ou de pièces détachées dans l’aéronautique avec une technologie blockchain ; modéliser l’ensemble des interactions au sujet d’une marque sur Twitter ; expliquer les facteurs de variation du poids des foies gras pour un acteur de l’agroalimentaire…

N’en jetez plus ! Et aux cabinets d’adapter leurs équipes. L’année zéro de ce phénomène RH est difficile à dater. Disons que depuis cinq ans tout au plus, des profils de data scientists apparaissent dans les cabinets où on ne les rencontrait pas précédemment.

La tendance est claire et les exemples nombreux : le BCG Paris a élargi son équipe Gamma depuis son lancement début 2016, de moins de cinq à plus de 30 personnes ; Roland Berger s’est doté d’un Monsieur data en la personne de Cyrille Vincey ; Bain a ouvert une practice ad hoc, un quart des effectifs d’Eleven Strategy sont des data scientists, PMP étrenne un data lab…

Vrais consultants ou fonction support ?

Voilà pour la revue des effectifs, loin d’être exhaustive. Mais qui sont-ils ces nouveaux profils et comment s’intègrent-ils aux cabinets ? D’une maison à l’autre, une première tendance se dégage : la demande des clients est là, mais dans l’offre apportée en réponse la nouveauté prime et l’heure est à l’apprentissage.

Deuxième constat, ces data scientists sont soit des consultants à part entière qui doivent apprendre à travailler avec les consultants des cabinets, soit des fonctions support avec qui les consultants d’un cabinet doivent apprendre à travailler.

Au BCG, on a de toute évidence opté pour l’option numéro un. « L’équipe Gamma est constituée de consultants au même titre que les autres consultants du cabinet », dit Yann Hendel, principal en data science chez BCG Gamma.

Pourtant, chez BCG Gamma, ni les profils, ni la teneur des missions ne sont les mêmes qu’au BCG. Yann Hendel est par exemple diplômé d’un PHD en science informatique de l’Institut Pierre et Marie Curie. Pas vraiment le bagage habituel classe préparatoire et école de commerce et d’ingénieur…

« Seul le short n’est pas autorisé »

« Là où un consultant utilisera Excel pour créer un modèle d’analyse, nous avons recours à des algorithmes pour modéliser des volumes de données plus complexes », nuance Thomas Lewiner, lui aussi plusieurs fois docteurs des universités en sciences de l’informatique, parti enseigné les mathématiques au Brésil pendant dix ans et désormais data scientist du BCG Gamma. En résumé : les consultants et les data scientists sont sur un pied d’égalité et mixés dans les équipes.

Boulevard Haussmann, chez PMP, les profils sont tout aussi nouveaux, mais l’organisation diamétralement opposée : les data scientists ne sont clairement pas des consultants. Si le data lab de PMP, ouvert en 2016, a commencé avec le recrutement d’un diplômé de l’ENSAE (École nationale de la statistique et de l’administration économique), le cabinet s’est rapidement tourné vers des profils dotés de compétences plus solides dans la seule gestion des données. Leur interprétation est ensuite confiée à des consultants classiques, en particulier de profil ingénieur. Les consultants issus d’écoles de commerce étant jugés moins « outillés » pour assurer l’interface.

Alex Kpenou, étudiant à 42, l’école de code informatique mise sur pied par Xavier Niel, est l’un d’eux. À 20 ans, il n’arbore pas vraiment le dress code typique du parfait consultant en stratégie : il porte baggy, hoodie et tee-shirt.

« Seul le short n’est pas autorisé », dit-il sous le regard amusé de Philippe Angoustures, l’un des associés de PMP et Maïeul Lombard, responsable data science et intelligence artificielle. Avant d’entrer chez PMP, il a travaillé pour Doctissimo où il a dû trouver un moyen automatique de répartir les sujets de conversation en catégories et livrer ces dernières classées dans une base de données exploitable.

Hardcores gamers, casual gamers et néophytes

« Sur la mobilité, avant, vous bloquiez quinze jours de travail pour rassembler les données relatives aux usages et aux prix. Désormais, vous passez commande au lab et le robot va lui-même chercher l’information auprès de Google Maps, de Bus Radar, de Blablacar, de Mappy… Il les compulse et nous les rend sous une forme exploitable pour analyser et formuler des recommandations », explique Maïeul Lombard.

Entre le quasi tout intégré du BCG, et la boutique de data PMP où les consultants viennent faire leurs courses, il y a presque autant de modèles d’intégration des data scientists que de sociétés de conseil. Le plus abouti est peut-être celui d’Eleven Strategy où on revendique le fait qu’il n’existe aucune différence entre les consultants lambda et les data scientists : mêmes grades et mêmes rémunérations pour tous.

Au-delà de ces nuances, quelques mouvements communs cependant émergent ; par exemple, la nécessité de sensibiliser les consultants plus classiques à de nouveaux outils de gestion des données. « Vous avez trois cercles : les hardcores gamers, les data scientists professionnels, les casual gamers. Tous les consultants de profils ingénieurs qui ont soit suivi des compléments de formation en data science, soit ont plus de facilité à s’adapter à ces nouveaux outils ; le dernier cercle étant celui des néophytes », dit Cyrille Vincey, partner en charge des offres « data analytics & artificial intelligence » de Roland Berger depuis juillet 2017.

Autre urgence dans l’intégration de ces nouveaux profils : faire se parler deux mondes qui s’ignorent, quand ils ne se méprisent pas. Exemple, l’intégration de Bluestone Consulting, un pure player d’exploitation des données numériques chez EY, qui l’a racheté en 2015. Arnaud Laroche, un des trois ex-associés de Bluestone désormais associés chez EY, en garde un souvenir ému.

Les efforts à faire pour un mariage réussi

« On est arrivé ici avec une centaine de personnes qui avaient clairement une culture de geeks. L’intégration, on se l’est coltinée. Le risque aurait été que les consultants et data scientists se dédaignent les uns les autres, sur le mode “les consultants n’y comprennent rien”, “les geeks sont loin des clients” ; charge aux associés qui viennent des deux mondes de marier les profils », explique-t-il.

C’est le rôle qu’occupe Audrey Lacombe, senior project manager chez Roland Berger, en charge de faire le pont entre les deux mondes. Idem pour Olivier Lluansi, associé chez EY Strategy : il est la courroie de transmission entre les missions de conseil d’EY dans le secteur manufacturier et les compétences du lab data dont EY s’est doté au 17e étage de la tour First de la Défense en décembre 2016. « Les trois quarts des cinquante missions de ce lab à date ont été commandités par des directions générales », tient à préciser Bertrand Baret, coresponsable de l’activité Advisory d’EY, ancien partner de Bain, de Roland Berger et d’A.T. Kearney.

Les efforts pour un mariage réussi entre consultants et data scientists sont loin de s’arrêter au niveau du management. « Concevoir un modèle algorithmique et le coder ne se fait pas du jour au lendemain. Parfois, il a fallu faire preuve de pédagogie auprès des consultants habitués à des points d’étape très resserrés », raconte Yann Hendel au BCG.

Même appel à la souplesse et à la pédagogie d’Alex Kpenou, chez PMP : « On doit s’adapter aux habitudes Excel des collaborateurs. Clairement, on sait qu’un fichier de 5 giga-octets en python (langage de code, NDLR) ne sera pas consulté. On doit bien garder à l’esprit les réalités de marché auxquelles les données s’appliquent et comment les rendre compréhensibles par les consultants ».

« Le data scientist doit dépasser le cliché de l’informaticien. Il doit avoir des compétences de vulgarisation et de communication centrales », dit aussi Pietro Turati, senior consultant et data scientist chez Eleven Strategy depuis un an, après des études à Polytechnique Milan et une thèse à Centrale Supélec.

L'impact des data science sur l'organisation des cabinets

Dans ces conditions, l’impact des data scientists sur les missions de conseil se fait déjà sentir et pourrait s’accentuer encore à l’avenir. Les rendus changent : aux traditionnels PowerPoint peuvent s’ajouter des applications ou une dose de data visualisation. Les règles de staffing pourraient être amendées tout comme les process de recrutement. La formation à la data science, elle aussi, pourrait voir davantage de consultants, ce que Roland Berger fait à échéances régulières à Polytechnique avec ses profils d’ingénieurs.

D’autant plus que les débouchés commerciaux sont réels et qu’une bonne force de frappe dans les data peut être valorisée dans les propositions commerciales. « Dans un monde idéal, dans cinq ans, les consultants et les data scientists n’auront plus à être distingués. Tout le monde saura apporter des réponses pertinentes aux problématiques et opportunités liées à la data », formule Audrey Lacombe, senior project manager chez Roland Berger. Pour l’heure, l’équipe de Cyrille Vincey est regroupée dans un bureau dédié à Terra Numerata, le hub digital de Roland Berger. Celui d’Anne Bioulac, la co-head de Roland Berger en France, chantre de Terra Numerata, est juste en face.

Benjamin Polle pour Consultor.fr

 

Cyrille Vincey Olivier Lluansi Philippe Angoustures Pietro Turati
07 Fév. 2018 à 12:33
tuyau

Un tuyau intéressant à partager ?

Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !

écrivez en direct à la rédaction !

commentaire (0)

Soyez le premier à réagir à cette information

1024 caractère(s) restant(s).

signaler le commentaire

1024 caractère(s) restant(s).
8 - 4 =

France

  • BCG : Guillaume Charlin sur le départ
    18/11/24

    L’un des ténors du BCG en France, Guillaume Charlin, 54 ans, patron du bureau de Paris entre 2018 et 2022, serait en passe de quitter le cabinet.

  • Alerte rouge : la com de crise au secours des cabinets de conseil
    15/11/24

    Toutes les entités de conseil en stratégie ne subissent pas d’incendies simultanés, comme McKinsey, mais chacune peut y être exposée. La communication de crise dispose-t-elle d’antidotes ? Éléments de réponse avec Gantzer Agency, Image 7, Nitidis, Publicis Consultants - et des experts souhaitant rester discrets.

  • Un partner d’Oliver Wyman se lance à son compte
    15/11/24

    Le partner Retail/Consumer Goods d’Oliver Wyman, Julien Hereng, 49 ans, a quitté tout récemment la firme pour créer son propre cabinet de conseil en stratégie et transformation, spécialisé dans les secteurs Consumer Goods, Luxe et Retail, comme il le confirme à Consultor.

  • Missions strat’ ESG : go ou no go ?
    13/11/24

    À l’heure où les premiers engagements d’entreprises en termes d’ESG pointent leur bout du nez (en 2025), comment les missions de conseil en stratégie dédiées ont-elles évolué ? Toute mission n’est-elle pas devenue à connotation responsable et durable ? Y a-t-il encore des sujets zéro RSE ? Le point avec Luc Anfray de Simon-Kucher, Aymeline Staigre d’Avencore, Vladislava Iovkova et Tony Tanios de Strategy&, et David-Emmanuel Vivot de Kéa.

  • Tir groupé pour le partnership français du BCG qui s’enrichit de 5 associés
    11/11/24

    Si Arnaud Bassoulet, Florent Berthod, Sophie Gebel et Marion Graizon ont toutes et tous rejoint le BCG il y a plus de six ans… parfois plus de dix, Lionel Corre est un nouveau venu ou presque (bientôt trois ans), ancien fonctionnaire venu de la Direction du Trésor.

  • Trois promotions et un transfert : 4 nouveaux partners pour McKinsey en France
    08/11/24

    Trois des heureux élus sont en effet issus des effectifs hexagonaux de la Firme : Jean-Marie Becquaert sur les services financiers, Antonin Conrath pour le Consumer, et Stéphane Bouvet, pilote d’Orphoz. Quant à Cassandre Danoux, déjà partner Stratégie & Corporate Finance, elle arrive du bureau de Londres.

  • Le partnership français de McKinsey perd 7 associés en 2 mois
    30/10/24

    L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.

  • Deux associés EY-Parthenon propulsés au comex d’EY France
    29/10/24

    Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.

  • Pauvreté : l’étude choc d’Oliver Wyman
    23/10/24

    C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.

Super Utilisateur
France
data science, data scientist, Thomas Croisier, Simon Freakley, Philippe Angoustures, école 42, PMP, BCG Gamma, big data, it
3418
Cyrille Vincey Olivier Lluansi Philippe Angoustures Pietro Turati
2023-06-29 19:17:28
0
Non
France: Les data scientists à l’école de la stratégie
à la une / articles / Les data scientists à l’école de la stratégie