Quel train de croissance pour Oliver Wyman ? Gilles Roucolle, DG Europe
Figure d’Oliver Wyman dans le secteur des transports, Gilles Roucolle est devenu DG Europe en 2021. Axes et enjeux de développement, politique d’acquisitions, livre consacré aux mobilités… il répond aux questions de Consultor.
En avril est paru votre ouvrage Transformations in Mobility chez Kogan Page : à l’heure des réseaux sociaux et du « temps court », pourquoi ce choix de publier un livre ?
J’ai toujours considéré que le conseil se situe au confluent du business, de la prestation intellectuelle et, quelque part, du développement personnel et du capital intellectuel. Dans cette perspective, un livre m’a paru être un bon moyen de célébrer mes 30 ans de carrière, dans le conseil et dans les transports. Et comme on ne fait pas la fête tout seul, j’ai eu envie de reconnecter avec les 30 leaders et experts avec lesquels j’ai le plus appris. [Parmi eux, côté français, on trouve notamment Gwendoline Cazenave, CEO d’Eurostar Group, ex-partner chez Oliver Wyman, Frédéric Mazzella, fondateur et président de BlaBlaCar et Captain Cause, André Navarri, ex-président d’Alstom Transport et Bombardier Transport ou Alexandre de Juniac, senior advisor chez Oliver Wyman, ex-président d’Europcar et ex-CEO de l’Association internationale du Transport aérien (IATA), ndlr.]
Sur la dimension du « temps », il est vrai que l’on contacte souvent les cabinets pour des sujets de performance ou de crises immédiates. Mais le conseil en stratégie vise aussi à aider les comités exécutifs et les conseils d’administration à réfléchir sur le long terme. Dans les transports plus encore, les cycles sont longs : la durée de vie des infrastructures est de 40 à 50 ans, celle des avions ou des trains de 30 à 40 ans… Avec ce livre, nous avons pris le temps de nous poser et de réfléchir à l’avenir.
L’ouvrage a sans doute une vocation marketing pour Oliver Wyman également ?
Tout à fait. J’ai essayé de mixer les opinions des leaders qui s’expriment avec le capital intellectuel du cabinet depuis 50 ans — les transports étant l’une de ses trois practices fondatrices. Générant 12 à 15 % de l’activité mondiale d’OW, cette practice globale, intégrée dispose d’un fort leadership dans l’aérien, le ferroviaire, le postal, etc. Cet ouvrage nous permet de faire connaître notre travail ainsi que le type de clients auxquels nous nous adressons.
Dans l’ouvrage, le potentiel de développement significatif du ferroviaire est mis en exergue, ainsi que la source d’énergie décisive qu’est l’électricité. Les piliers économiques du 21e siècle sont donc nés deux siècles plus tôt…
Eh oui ! La principale qualité du ferroviaire est de pouvoir transporter la plus dense quantité de voyageurs avec une énergie décarbonée. Son économie intrinsèque est incontournable dans le contexte d’une démographie qui explose dans les grands centres urbains. Sachant que le transport aérien n’a pas encore de solution pure décarbonée de transport de masse… Air France l’a déjà acté en annonçant son départ d’Orly : une part modale sur le court et moyen-courrier va se reporter de l’aérien vers le ferroviaire au fil du temps. Avantage aussi au rail sur la route, le véhicule électrique nécessitant énormément d’infrastructures de recharge pour les longues distances. Pour prendre ces parts de marché, des investissements massifs seront toutefois nécessaires, et l’interopérabilité des réseaux ferroviaires européens devra être accélérée. En mettant l’accent sur le ferroviaire, nous n’envisageons pas pour autant le déclin de l’aérien ni de l’automobile, car le marché des mobilités est voué à croître globalement.
Du côté de la décarbonation de la chaîne de mobilité, l’électricité est clé, ainsi que le développement de modes d’alimentation complémentaires comme l’hydrogène. Si l’on pense au fret, le ferroviaire (déjà fragile) va voir arriver des camions électriques ou à hydrogène sur son marché, voire de camions autonomes dans un futur plus lointain. La R&D est très active en la matière, ainsi que dans le transport maritime. Dans ce contexte, la question du ou des modes de production de l’électricité reste néanmoins posée.
Par ailleurs, les modes de gouvernance sont challengés par le dé-silotage en cours au niveau des modes de transport et de leurs acteurs. Le modèle d’affaires l’est également, à l’heure où c’est le client final qui choisit — via la digitalisation. Les réseaux de transport doivent donc s’adapter, sachant que ce secteur au global génère déjà structurellement des marges réduites, car il faut pouvoir optimiser des allocations d’actifs coûteux au départ, dans un environnement dynamique et fragmenté.
Parlons d’Oliver Wyman plus largement : quels sont les chiffres clés de l’activité en France et en Europe ?
L’Europe est en croissance solide, composée de 8 marchés, plus de 20 bureaux et 25 practices sectorielles ou « compétences » qui se croisent en matrice. Nous opérons l’Europe de façon totalement fluide et sans frontière. À cet égard, il n’existe pas d’entité économique française distincte en tant que telle, ce qui permet une grande coordination sur l’ensemble de la région. Et comme notre maison-mère, Marsh McLennan, est une société cotée, nos communications économiques et financières sont calées sur l’information aux investisseurs du groupe. Nous pouvons toutefois évoquer une croissance à deux chiffres. Le bureau de Paris compte une quarantaine de partners et près de 300 collaborateurs — pour 300 partners environ dans toute l’Europe et plus de 3 000 collaborateurs, dont quelques centaines de personnes dans les fonctions support, en partie localisées dans notre centre de services de Varsovie.
Cette croissance à deux chiffres se fonde sur de la croissance organique et de la croissance par acquisitions. La dernière en date est le cabinet de conseil Innopay [spécialiste des paiements, ndlr], et nous sommes en recherche permanente de partenariats, voire davantage. Toutefois, comme la promotion interne est encore plus importante à nos yeux que les recrutements de partners ou les acquisitions, nous misons également beaucoup sur cette croissance organique de notre pyramide — pour près de 10 %.
Cette politique proactive d’acquisitions est-elle liée exclusivement à l’appartenance du cabinet à Marsh & McLennan Companies ?
Bien sûr, Marsh McLennan dispose d’une puissance financière significative. Mais le modèle d’affaires et la taille d’Oliver Wyman sont également attractifs pour des cabinets de taille moyenne à semi-grosse, car il reste d’énormes espaces à conquérir pour les associés qui nous rejoignent : nous offrons une plateforme de croissance intéressante. Oliver Wyman dispose par ailleurs d’un historique très positif en matière d’intégration.
En lien toujours avec Marsh McLennan, les partners d’OW ne sont pas associés au capital : est-ce un handicap ?
Une fois nos engagements financiers honorés auprès de notre maison-mère, toute la gestion des investissements et de la rémunération est sous notre contrôle via un comité de rémunérations, dont une partie prenante clé est le Partnership Committee élu par l’ensemble des partners au niveau mondial. Bien qu’appartenant à une société cotée, Oliver Wyman a créé un environnement comparable à celui d’un cabinet privé en matière d’autonomie et d’indépendance de décision. Pour les partners en Europe, le turnover est dans la norme, sinon plus faible que celui de nos concurrents.
Le marché du conseil en stratégie s’est resserré depuis 2023. Oliver Wyman se montre-t-il donc plus prudent en matière de recrutement ?
Comme nous devons assurer une croissance de plus de 10 % malgré l’attrition structurelle à notre secteur, nos cohortes de nouveaux arrivants sont chaque année a minima 10 % plus importantes que celles de l’année précédente. En ce moment, nous sommes sur les campus pour recruter en vue de l’an prochain. Par ailleurs, à ce stade et malgré un marché plus resserré effectivement, ainsi qu’une attrition sensiblement plus faible cette année, nous avons confirmé la plupart de nos stages. Sachant que ces derniers constituent un moment privilégié pour commencer à fidéliser et recruter les meilleurs talents.
Du côté des practices, quelles sont les plus robustes ? Y a-t-il eu des changements récents ?
Nous n’observons pas d’évolution fondamentale. En Europe, Oliver Wyman reste un leader dans les services financiers — banque et assurances, en particulier sur le sujet du risque depuis le vaste travail réalisé avec la BCE dans les années 2010 (Asset Quality Review). Par ailleurs, en 2023, le cabinet a été mandaté sur l’intégration du Credit Suisse par la banque UBS [la « plus grande transaction financière unique » depuis la crise de 2008, selon le président d’UBS Colm Kelleher, ndlr]. Oliver Wyman apparaît donc dans les « grands événements » du secteur. Autre practice de poids : les transports et services, à Paris en particulier. Je suis fier de voir la croissance et la taille de cette practice, qui dépasse nettement la quote-part de 15 % du niveau mondial !
La practice secteur public, lancée en 2021, est-elle aussi un fort vecteur de croissance — malgré un recours désormais plus limité de l’État en France ?
Le secteur public est l’un des sujets stratégiques de collaboration de l’ensemble des entités de Marsh McLennan. Historiquement, nous avons de solides practices, en particulier au Moyen-Orient — l’économie y étant essentiellement régie par les gouvernements —, mais aussi en Grande-Bretagne où Oliver Wyman a travaillé pour de nombreux ministères dans le domaine financier et au-delà.
La France et l’Allemagne sont désormais les deux pays sur lesquels nous portons nos efforts. En France, nous avons rejoint le contrat-cadre de la DITP [McKinsey, l’un des attributaires du marché 2018-2022, ne participe plus aux appels d’offres publics en France depuis le scandale qui l’a affecté, ndlr]. La practice secteur public fonctionne pour l’instant en mode start-up, et nous sommes en partenariat avec d’autres cabinets.
Il y a bien sûr des synergies entre cette practice et les transports par exemple — où nous travaillons avec plusieurs grands groupes publics —, l’énergie ou même les services financiers ! Lors de la crise sanitaire, OW a ainsi fait plusieurs présentations à Bercy autour du crédit, de la pression exercée sur les PME ainsi que les ménages, et de ce que cela impliquait « en grand » pour l’économie du pays.
Sur la dimension « compétences », que représente l’IA — notamment l’IA générative — pour le cabinet ?
Tout d’abord, précisons que cela fait 20 ans que les cabinets « font de l’IA » ! Ce qui est nouveau, c’est l’IA générative.
Chez Oliver Wyman, nous avons toute une équipe de data scientists en Europe qui irriguent nos practices, en particulier la practice finance et risques. Mais aussi dans les opérations et la supply chain, l’industrie (Industry 4.0), le pricing… L’IA constitue donc une part intrinsèque de notre mode de livraison de projets. Nous recrutons de façon intense pour les différentes localisations de nos équipes data science à Newcastle, Madrid, Milan, Amsterdam et Paris.
Sur la Gen AI, nous avons développé notre propre système, adapté à nos process, et nous accompagnons nos clients dans le développement de leur stratégie IA spécifique pour améliorer leur façon de travailler, leur productivité, etc.
En réalité, l’IA est partout !
La parité est l’un des « sujets » des cabinets de conseil, car elle est loin d’être atteinte, notamment dans les partnerships. Qu’en est-il chez Oliver Wyman ?
Le nombre de femmes au sein de notre partnership augmente en volume et en proportion, mais il est encore insuffisant et nous voulons l’accroître. Notre CEO, Nick Studer, en fait une priorité. D’ailleurs une partie de la rémunération de l’ensemble de nos dirigeants est liée à l’atteinte de nos objectifs annuels en la matière. Pour atteindre la parité, il faut non seulement être a minima à 50-50 au recrutement des jeunes diplômés, mais il faut aussi pouvoir recruter à un certain niveau de séniorité, car si on attend que la pyramide évolue, cela prend trop de temps pour « voir » un impact significatif dans le partnership.
Quant aux femmes partners, l’enjeu est aussi de pérenniser leur présence. L’an dernier, à Paris, deux partners fraîchement promues ont été happées par leurs clients respectifs ! Une autre partner, qui nous avait rejoints il y a 4 ans, Gwendoline Cazenave, est devenue CEO d’Eurostar — c’est elle qui préface le livre d’ailleurs. Le marché des talents féminins est extrêmement compétitif.
Pour atteindre la parité, nous avons adopté une politique proactive d’avantages sociaux — congés parentaux, sécurisation de places en crèche, programmes de retour au travail post-maternité… Les nouveaux modes de travail permettent aussi de mieux gérer ces moments particuliers de la vie de nos consultantes et consultants.
Pour conclure, quelles sont les prochaines échéances pour Oliver Wyman ?
Notre CEO souhaite doubler la taille du cabinet dans les 4 années qui viennent. De ce fait, le marché et l’écosystème du conseil vont « entendre parler » d’Oliver Wyman, avec des taux de croissance importants et de nouvelles acquisitions. En tant que cabinet challenger des MBB, nous prenons des parts de marché depuis 2 ans. Le sujet de la transformation étant majeur, nous nous positionnons sur les dimensions à la fois réglementaires, transactionnelles, clients et performance. Malgré un marché difficile et des prix tendus, Oliver Wyman tire son épingle du jeu.
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Monde
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