Après Deloitte et Accenture, le BCG ajuste en silence sa stratégie DEI
Sur le site du BCG, la page « Diversity, Equity & Inclusion » n’existe plus dans sa configuration de 2024. Chantre de la DEI et de son conseil dédié, le cabinet pourrait-il y renoncer ?

En février 2025, le recul de géants du conseil US sur la DEI – Booz Allen Hamilton (dès le 28 janvier), Accenture, Deloitte, KPMG – a surpris le monde du conseil et les équipes des cabinets concernés.
Pour le conseil de direction générale, le CEO Monde de McKinsey, Bob Sternfels, a réaffirmé l’engagement du cabinet en faveur d’une « méritocratie diversifiée », associant subtilement ces deux termes alors que les adversaires des politiques DEI les opposent drastiquement. Et le BCG a gardé le silence… tout en agissant discrètement.
La consultation attentive de son site, suivie d’une comparaison avec des pages archivées, révèle en effet des modifications significatives effectuées sur celles portant sur la DEI ou la diversité spécifiquement, entre janvier et février 2025.
L’avant/après sur le site du Boston Consulting Group
Premier exemple avec la catégorie Capabilites de la section Our Services, accessible dans le menu depuis la page d’accueil du site global du BCG.
La voici dans la version encore en ligne le 2 janvier dernier :
Source : https://web.archives.org
Et la voici dans sa version actuelle :
Par ordre alphabétique, entre Digital, Technology and Data et Innovation, Strategy and Delivery, il n’y a plus de Diversity, Equity, and Inclusion.
Second exemple avec le contenu de la page Diversity, Equity, and Inclusion, encore accessible le 13 février 2025 en cliquant sur cet intitulé depuis Capabilites :
Source : https://web.archives.org
Cette page, qui comporte le détail d’une stratégie DEI à déployer, n’est plus en ligne sur le site.
Tout contenu portant sur l’une des trois dimensions de la DEI n’a pas été supprimé pour autant. Une page Inclusive Advantage est accessible dans le menu principal depuis Insights, moyennant un nombre de clics un peu plus important. Cette page est également celle qui s’affiche depuis la recherche Google sous l’intitulé Diversity and Inclusion Consulting | DEI Strategy | BCG. Elle ne comporte pourtant aucune mention… de la DEI.
De ces consultations et comparaisons ressortent trois éléments :
1) Il n’y a plus de référence à l’acronyme DEI dans l’offre de services du BCG.
2) La notion de diversité a été rétrogradée au profit de celle d’inclusion.
3) L’offre de services dédiée est présentée différemment et moins mise en avant.
Des contenus incluant l’acronyme formulé ainsi – “DE&I” ou “D&I” – et portant sur d’anciens témoignages (ainsi qu’une étude en pdf) sont toujours en ligne.
Une réorientation plus générale envisagée ?
À ce stade, aucune information n’a filtré quant à la suppression par le BCG d’actions mises en œuvre en matière de DEI – contrairement aux grands cabinets d’audit ou d’informatique déjà cités.
À l’inverse, le cabinet célèbre actuellement les 25 ans de Women@BCG, son initiative qui promeut la diversité de genres au sein du cabinet et cherche à soutenir les femmes dans leur développement professionnel – via des systèmes de mentorat, la mise en œuvre de programmes spécifiques, une attention portée au recrutement et à la promotion de la diversité. La page de célébration de l’anniversaire de Women@BCG ne comporte toutefois aucune référence à la « diversité », précisément. Idem pour le message LinkedIn associé.
Contacté, le bureau parisien du BCG a réaffirmé auprès de Consultor « son engagement en faveur de ses programmes de diversité et d'inclusion, parmi lesquels Women@BCG, Pride@BCG, AccessAbility@BCG ainsi qu'en France avec des partenariats tels que Télémaque [qui agit pour l'égalité des chances dans l'éducation en accompagnant des jeunes de milieux modestes dès le collège, ndlr], Article 1 [qui œuvre pour que l’orientation, la réussite dans les études et l’insertion professionnelle ne dépendent pas des origines sociales, économiques ou culturelles] et le baromètre Out@Work », consacré à l'inclusion des personnes LGBTQI + en entreprise.
« Fidèle à ses valeurs », le BCG France évoque, comme McKinsey, une « méritocratie » qualifiée « d’inclusive et exigeante », laquelle constitue « un avantage concurrentiel puissant ».
Les États-Unis, ce pays où des centaines de mots sont bannis
Au-delà des décrets anti-DEI signés par Donald Trump les 20 et 21 janvier derniers, lesquels concernent le gouvernement et les agences fédérales, ainsi que les fournisseurs/prestataires de services de ceux-ci, d’autres mesures de coercition – et/ou d’intimidation ? – ont suivi. Ainsi de la liste de près de 200 mots à proscrire dans les documents officiels américains ou dont il convient de limiter fortement l’usage.
Le New York Times, qui a sorti l’info le 7 mars dernier, a documenté des changements ou suppressions de termes sur 250 sites web du gouvernement fédéral, tout en suggérant que le nombre réel de sites concernés pourrait être plus élevé.
Voilà les mots répertoriés par le quotidien new-yorkais :
Capture d’écran, article du New York Times
Si la DEI est la principale visée (dans toutes ses acceptions : femmes, minorités, LGBT/LGBTQ, handicap), l’écologie et l’environnement le sont également - « climate crisis », « climate science », « environnemental quality », « pollution ».
Au sein de la DEI, la notion de diversité est donc loin d’être l’unique cible, les termes « inclusion », « inclusive », « inclusive leadership », « inclusiveness » et « inclusivity » étant déclinés dans cette liste.
Si ces exclusions concernent les instances gouvernementales, la procureure générale Pam Bondi a indiqué dans une note à son personnel que le département de la Justice « enquêterait, éliminerait et sanctionnerait » les programmes illégaux de promotion de la diversité dans le secteur privé. Le repositionnement semble-t-il limité du BCG pourrait donc ne pas suffire.
Contactés, plusieurs leaders « DEI » du BCG aux États-Unis n’ont pas donné suite à nos sollicitations.
L’annulation d’une trentaine de contrats fédéraux de conseil
Des mots aux actes, il n’y a qu’un pas. Celui-ci a été franchi selon le Financial Times.
Le 6 mars dernier, le quotidien économique et financier a révélé que plus de 30 contrats des 10 plus grands cabinets de conseil US ont été totalement ou partiellement annulés. Les cabinets en question avaient jusqu’au 7 mars pour « justifier des milliards de dollars de projets en cours pour le gouvernement fédéral ». Des « responsables » ont par ailleurs déclaré au Financial Times prévoir « d’augmenter le nombre de sociétés ciblées dans les semaines à venir ».
Parmi les 10 cabinets figurent Deloitte, Accenture, Booz Allen Hamilton, Guidehouse (l’ancienne branche de conseil au secteur public de PwC, rachetée en 2018 par le fonds Veritas Capital) et IBM. Aucun cabinet de pur conseil de direction générale n’aurait donc été visé pour l’instant.
Par ailleurs, dans 5 cas distincts, l'annulation est explicitement liée « aux directives de la Maison-Blanche visant à supprimer les initiatives en faveur de la diversité ». Un exemple avec un contrat de Booz Allen Hamilton pour le Federal Acquisition Service : celui-ci a été partiellement résilié « pour se conformer aux décrets exécutifs sur la diversité, l'équité, l'inclusion et l'accessibilité (DEIA) » – selon un dossier que le FT a pu consulter.
Face à ce qui ressemble de plus en plus à des attaques directes, quelle est la marge de manœuvre des cabinets ? Le BCG et McKinsey, certes moins exposés aux budgets fédéraux de conseil que Booz Allen Hamilton, Accenture ou Deloitte, seront-ils contraints de renoncer à leur business « DEI » voire à l’ensemble de leurs actions, sous peine de sanctions juridiques ?
Sur les forums dédiés, des consultants s’interrogent sur « les 4 prochaines années sous un gouvernement aussi hostile aux cabinets de conseil ». Sachant que, selon The Economist se basant sur les données de Kennedy Intelligence et les statistiques gouvernementales, les budgets fédéraux sont passés d’un peu moins de 5 milliards de dollars en 2008 à plus de 18 milliards en 2024.
À date, l’incertitude semble être l’unique certitude de l’autre côté de l’Atlantique.
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