RSE : trop de bla-bla, dans le conseil aussi ?
Grille d’évaluation dédiée à l’impact des missions, choix de fournisseurs favorisant les personnes handicapées... : les cabinets de conseil multiplient les initiatives de RSE (responsabilité sociale des entreprises), sur un sujet où les entreprises de manière générale affichent plus qu’elles ne font réellement.
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Les cabinets de conseil en stratégie échappent-ils à l’enfumage ? Oui, car ils font plus que la moyenne, non, parce que l’objectif théorique de limiter leurs impacts sur la société et l’environnement est souvent mis au service de leur développement commercial et de leurs recrutements.
RSE par ci, RSE par là : il est devenu de bon ton d’afficher son engagement sociétal des entreprises. L’ensemble des cabinets de conseil en stratégie s’est engagé dans cette démarche. Par profonde conviction, certainement, mais également pour préserver leur image de marque. Et un paradoxe à la clef : peut-on être réellement vertueux lorsque l’on accompagne de grands comptes loin d’être exemplaires sur le sujet ?
Si le concept de RSE est dans toutes les bouches, il y a pourtant un gap entre le « dire » et le « faire ». La loi ne l’imposant pas, ce sont souvent des obligations non réglementaires qui poussent les entreprises à adopter cette démarche : cahier des charges des marchés publics ou donneurs d’ordre et investisseurs de plus en plus attentifs aux impacts sociaux et environnementaux des entreprises.
Des obligations purement formelles qui, dans les faits, sont appliquées par une minorité d’entreprises (30 % d’entre elles avaient réellement mis en place des actions concrètes et 20 % l’inscrivaient comme priorité dans leur stratégie d’entreprise, selon une étude Deloitte de 2018).
Des ratios confirmés par Geneviève Férone, une historique de la notation sociale et environnementale des entreprises : la part des entreprises ayant une politique RSE volontariste ou qui en ont fait le cœur de leur modèle économique avoisinerait les 15-20 %. C’est peu !
La RSE, un argument pour les clients et les candidats
Dans le domaine, les cabinets de conseil en stratégie font figure de bons élèves. La démarche RSE est largement adoptée en interne comme en externe.
Très rares sont les cabinets qui reconnaissent leur non-engagement RSE. L’avouer n’est plus du tout politiquement correct ! La grande majorité d’entre eux font le job. « La RSE est un facteur clé de réussite de notre métier, car elle nous permet de nous aligner, de ne pas avoir de dissonance entre l’interne, ce que nous sommes, et l’externe, ce que nous conseillons », souligne David-Emmanuel Vivot, senior partner de Kea, un cabinet historiquement engagé dans cette vision vertueuse de l’entreprise.
L’affichage RSE est important à plusieurs égards. Il est un facteur d’attractivité vis-à-vis des clients qui demandent aux cabinets de conseil de les accompagner dans le verdissement de leur stratégie, dans la formulation d’une raison d’être… La politique RSE est également importante pour les nouveaux collaborateurs, les millenials, qui seraient, selon les cabinets interviewés, très pointilleux sur le sujet lors de leurs choix professionnels.
Selon une étude de l’Edhec de 2019, 46 % des quelque 2 700 étudiants interrogés déclarent souhaiter une transformation de l’entreprise dans le respect des principes du développement durable et de la RSE. C’est ce que confirme Paul Ropars, étudiant en 2e année de Centrale Lille, président du consulting club de l’école (relire notre article sur les consulting clubs) : « Les cabinets insistent beaucoup sur le bien-être au travail. Personnellement, je suis plus sensible aux contenus des missions et aux valeurs des clients. Respectent-ils l’environnement ? Dans quoi vont-ils investir ? », affirme ce centralien qui s’est initié à la finance responsable chez KPMG.
Paul de Calonne, autre élève de l’école d’ingénieurs nordiste, en première année, reconnaît, lui, qu’il est difficile de faire la fine bouche alors que chaque année, un à deux étudiants de cette école seulement intégreraient le top des cabinets de conseil en stratégie.
Force initiatives des cabinets
Pourtant, les initiatives des cabinets pour soigner leur RSE sont nombreuses. À l’instar du cabinet Ares & Co qui a mis en place un engagement collectif de RSE depuis 2017. Il porte sur des sujets aussi divers que l’éthique des affaires ou les achats responsables auprès de fournisseurs choisis. « Nous sommes très sensibles au travail des handicapés via les ateliers protégés. En 2020, 84 % de nos dépenses de fournitures et achats divers ont été réalisés auprès de fournisseurs employant des personnes handicapées », atteste Mehdi Messaoudi, chief operating officer chez Ares & Co.
Même démarche avant tout sociétale pour Oliver Wyman qui affiche dix années d’engagement RSE. « Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet, avant que ce soit à la mode, par une très forte mobilisation des collaborateurs au travers de nos différents collectifs de salariés à l’instar de GrOW (ndlr, engagement environnemental), WOW (ndlr, diversité et féminisation) et GLOW (ndlr, Diversité et Inclusion), etc. », confirme Jacques-Olivier Bruzeau, l’office leader du bureau parisien d’Oliver Wyman depuis 2009.
Kearney structure de son côté depuis un an une practice sustainability et développe avec son réseau interne We Kare une grille d’évaluation dédiée à l’impact des missions. « Ce n’est pas qu’une question de greenwashing, mais bien d’amélioration réelle », assure Nicolas Bienvenu, le dircom du bureau de Paris.
À chaque cabinet de conseil, sa recette RSE, navigant entre actions internes et externes, plus ou moins originales et innovantes, et obtention de labels (relire notre article ici). Des actions qui vont des plus simples, comme des actions RH (parité-diversité…), aux plus abouties, telles que de véritables plans stratégiques RSE.
Kea & Partners est par exemple devenu le premier cabinet de conseil en stratégie européen à adopter le statut de société à mission, créé par la loi PACTE en 2019 (relire ici). Mawenzi Partners a, lui, préféré mettre la main sur Sustainway, un cabinet spécialiste de la stratégie sociale des entreprises. Quand Cylad Consulting publie son premier rapport d’activité RSE en 2019 et un code de conduite éthique en 2020. Cette année, les dirigeants du cabinet s’engagent dans l’élaboration de leur COP (Communication On Progress) comme le prévoit l’adhésion au Global Compact des Nations unies. Eight Advisory est lui en début de démarche RSE officielle depuis un an : engagement sur les achats responsables, diminution des capacités de stockage des données, amélioration du bien-être des salariés… « La demande de nos collaborateurs est la première raison de notre engagement, la demande client viendra plus tard », atteste le DG d’Eight Advisory, Éric Demuyt.
La dérive com’ de la RSE
De (très) bonnes intentions certes… Mais ni vraiment cadré ni réglementé, l’univers RSE est devenu pléthorique. Ses plus anciens promoteurs tirent la sonnette d’alarme et appellent à faire la part des choses.
À l’instar d’Olivier Dubigeon, créateur de Sustainway, une méthodologie qui s’affiche comme une vraie alternative à la RSE. « Tout est devenu durable. Ça fait chic de parler de RSE des entreprises. On parle d’actions mises en place mais pas d’impacts sur le bien commun. »
Agacée également, la consultante Geneviève Férone, à la fois une grande défenseuse de la RSE et très critique sur ses actuelles dérives. « C’est devenu une vaste campagne de communication, de la cosmétique, de l’enfumage ! Il n’y a qu’à voir les super rapports RSE de certaines grandes firmes ultra-polluantes qui feraient presque croire à leur sincérité ! » alerte-t-elle.
Engagement RSE vs missions non responsables : le grand paradoxe
Les cabinets de conseil en strat’ ont eux-mêmes leurs propres paradoxes. Comme quand d’un côté ils échafaudent des actions RSE et de l’autre accompagnent des organisations qui sont tout sauf vertueuses. Les exemples ne manquent pas. Sans aller vers ces exemples extrêmes, n’y a-t-il pas un fossé éthique entre la démarche RSE interne des cabinets et leurs missions auprès de grands groupes générateurs d’impacts sociétaux et environnementaux conséquents, des entreprises polluantes à celles qui licencient à tour de bras ?
La réponse des cabinets face à ce paradoxe est unanime. Le rôle des consultants serait aussi d’accompagner ces entreprises vers plus de responsabilités en proposant des méthodes alternatives… Chez Kea ou chez Mawenzi, défendent ces cabinets, la sélection se ferait naturellement. Les entreprises peu soucieuses de leurs impacts ne viendraient tout simplement pas frapper à leur porte.
Barbara Merle pour Consultor.fr
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