« Challenger assumé, liberté de ton… » : les atouts de Roland Berger selon Laurent Benarousse
Roland Berger a annoncé avoir dépassé le milliard d’euros de chiffre d’affaires au niveau mondial en 2023. Facteurs différenciants, place des Français dans la gouvernance mondiale, dimension capitalistique : Consultor a rencontré Laurent Benarousse, managing partner France & Maroc du cabinet.
Consultor : À + 15 %, la croissance mondiale de Roland Berger en 2023 est supérieure à celle de ses principaux concurrents : + 7 % pour McKinsey, + 5 % pour le BCG, + 11 % pour Oliver Wyman. Comment l’expliquer et est-ce lié à certaines géographies ?
Laurent Benarousse : Ces résultats viennent matérialiser nos gains de parts de marché, en adéquation avec notre stratégie initiée il y a 4 ans. Au premier ordre, nous visons à atteindre une masse critique dans les pays et les industries où nous sommes déjà forts et, au deuxième ordre, nous implanter dans de nouvelles zones géographiques et/ou nous lancer sur des secteurs où nous sommes moins actifs. En France en particulier et sur tous nos segments de marché, nous considérons qu’il y a des gains de parts de marché à aller chercher. Mais c’est sans aucun doute la focalisation sur nos forces qui nous a permis de surperformer par rapport à notre marché.
En ce qui concerne les zones géographiques, toutes se sont développées depuis 4 ans, à des rythmes différents. Certaines sont, pour nous, émergentes : l’Amérique du Nord et le Moyen-Orient ; et nous y avons connu des croissances importantes. Sur nos marchés historiques, en Europe et en Asie, nous avons aussi globalement crû plus vite que le marché, et en France, la dynamique a été comparable à celle du marché.
En communiquant sur notre chiffre d’affaires mondial 2023, nous voulons faire entendre le message suivant : Roland Berger a atteint une masse critique dans nombre de ses secteurs d’intervention et sa stratégie, sa gouvernance interne, ainsi que la structure de son partnership fonctionnent. Nous sommes un challenger assumé, sur une trajectoire de gains de parts de marché.
L’inflation a-t-elle eu un impact sur les prix de Roland Berger ?
Oui. La période post-covid a été marquée par une hausse importante des salaires dans notre profession, notamment en 2022. Dans ce cadre, et afin de maintenir notre modèle économique, une partie de cette hausse a été répercutée sur nos clients.
Cet effet inflationniste correspond-il à un mix de missions comportant davantage de private equity, vendues potentiellement plus cher ?
Pas vraiment, car concomitamment à l’augmentation des salaires et des taux, le nombre de transactions a diminué, en France comme à l’étranger.
Au final, en euros, les transaction services sont restés stables, et cette stabilité est soutenue par la puissance de la marque ainsi que par la complémentarité des expertises de nos associés.
Quid du poids des Français à des postes-clés du groupe ?
Nous avons la chance d’avoir parmi nos 3 global managing directors un Français, Denis Depoux, qui a travaillé au bureau de Paris pendant une quinzaine d’années avant de s’établir en Chine.
Par ailleurs, le cabinet est structuré en 4 plateformes sectorielles et 4 plateformes fonctionnelles, et les Français y sont dans ce cadre bien représentés avec Nicolas Teisseyre, co-leader de la plateforme Services (Télécommunication, Médias et Technologie et Financial Services), et Michel Jacob, co-leader de la plateforme Operations. J’ai par ailleurs été mandaté par notre global managing director pour insuffler davantage de synergies à la maille européenne aux côtés de Torsten Henzelmann, managing director pour la zone DACH.
Le caractère européen du cabinet est-il un facteur différenciant pour son développement et/ou en interne ?
Nos racines européennes se traduisent effectivement dans notre culture d’entreprise. Une de nos forces spécifiques réside dans notre fonctionnement, plus décentralisé que celui de la plupart des acteurs de notre industrie. Notre groupe Roland Berger a quelques verticales fortes (finance, RH), mais nos associés disposent d’une grande autonomie dans la gestion de leurs secteurs et de leurs clients. Tout comme nous laissons une grande latitude à nos équipes nationales pour s’adapter aux spécificités culturelles et sectorielles de leur marché. Pour le dire simplement, nous ne sommes pas dans une logique de « one size fits all ».
La seconde spécificité concerne la liberté de ton au sein du cabinet, là encore assez unique au sein des grands cabinets internationaux. Au quotidien, nos échanges sont francs et directs, ce qui nous permet d’identifier sans ambiguïté nos axes de progrès et d’y travailler.
Enfin, sur le plan concurrentiel, notre caractère européen nous confère parfois un avantage auprès de clients, par exemple dans les industries « de souveraineté » — défense, aéronautique…
L’un de vos concurrents a récemment communiqué sur 25 % de conseil en IA : qu’en est-il pour Roland Berger ?
Les technologies de GenAI vont constituer dans les années à venir un levier puissant d’accroissement de l’impact et de l’amélioration de la productivité de nos clients. Pour cela, notre valeur ajoutée en qualité de cabinet de conseil de direction générale consiste à identifier, conjointement avec nos clients, les cas d’usage, puis à « insérer » dans les processus et les organisations actuelles ces nouvelles technologies. La vision prospective des marchés de nos clients dont nous disposons, associée à une connaissance fine de leurs processus métiers, nous permet de les accompagner de manière très concrète dans la capture des opportunités offertes par ces technologies. Et sur les dimensions purement technologiques de ces grands projets de transformation, nous disposons de partenariats avec des structures spécialisées qui complètent nos expertises internes, par exemple en matière d’algorithmique ou de codage.
Ce segment d’activité est donc bien entendu important et en croissance, mais aux côtés de plusieurs autres, car l’IA n’est pas la seule préoccupation des directions générales.
Nous menons par ailleurs des projets pour nous-mêmes, car l’intelligence artificielle peut aussi « augmenter » les consultants ! Et même si je ne crois pas à une « disruption » du modèle d’intervention auprès de nos clients, je suis convaincu que ces nouvelles technologies permettront à nos consultants de se focaliser encore davantage sur les expertises à forte valeur ajoutée : réduction de la complexité des problématiques de l’entreprise par des analyses 80/20, capacité d’écoute active et de synthèse, aide à délivrer des informations signifiantes lors d’ateliers de travail avec nos clients ou d’interviews, élaboration d’idées « pas de côté »…
Sur la parité du partnership, le cabinet est à la peine : 10 % contre 17 % dans l’ensemble des cabinets selon les derniers chiffres Consultor. Quels objectifs et quelle échéance vous fixez-vous pour avancer ?
Sur notre effectif parisien, nous avons un taux de féminisation d’environ 40 %. Et même si nous ne sommes pas encore à la parité, nous avons bien progressé ces dernières années : la part de consultantes a progressé de 7 points en l’espace de 3 ans.
Néanmoins, en ce qui concerne les associés, avec 3 femmes partners parmi nos 32 associés à Paris, nous, et la profession en général, avons encore de gros progrès à faire.
Si, au sein de Roland Berger, nous recrutons depuis longtemps déjà autant de femmes que d’hommes, notre enjeu consiste désormais – et c’est le cas dans la profession en général encore une fois – à réduire l’attrition des femmes que nous observons en particulier au passage au niveau chef de projet.
Pour cela, nous avons à la fois retravaillé en profondeur l’organisation de nos équipes projet pour renforcer l’équilibre pro/perso et mis en place les outils permettant de mesurer et de piloter cet équilibre, à la maille du projet. Nous avons aussi rallongé significativement les congés maternité et paternité pour permettre à nos jeunes parents de prendre le temps de profiter de ces moments précieux et de réorganiser leur logistique personnelle sereinement.
Grâce à ces actions, la parité progresse continûment au sein de notre pyramide.
Cette transformation va d’ailleurs s’accélérer, car plus nos plus jeunes consultantes auront de « role models » seniors féminins dans le cabinet, plus elles se projetteront durablement chez nous.
L’autre levier est de recruter des femmes partners : comme ce problème est systémique dans le conseil en stratégie, la tâche est rude.
Concluons par les remous qu’a connus Roland Berger sur le plan capitalistique : le cabinet a-t-il retrouvé la sérénité ?
Nous avons inscrit l’indépendance du cabinet comme pierre angulaire de notre stratégie en 2019 et nous avons reconduit en 2023 nos global managing partners pour un second mandat afin de poursuivre ce même plan stratégique.
Notre modèle de développement et la structure de notre partnership fonctionnent. Par ailleurs, l’atteinte de ce seuil symbolique du milliard d’euros de chiffre d’affaires acte le fait que nous avons la taille critique pour continuer à grandir en restant indépendant. En revanche, si à un moment donné nous avons besoin de financement externe, nous n’excluons pas d’envisager différentes options.
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaires (1)
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France
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.
- 15/10/24
Début octobre, deux nouveaux partners ont disparu de la liste des associés de la Firme : Guillaume de Ranieri, poids lourd du cabinet où il évoluait depuis 24 ans, et Xavier Cimino, positionné sur une activité stratégique.
- 07/10/24
Doté d’un parcours dédié presque exclusivement au conseil (BCG, Kearney, Accenture - entre autres), Mathieu Jamot rejoint le bureau parisien de Roland Berger.
- 03/10/24
Depuis avril 2024, les arrivées se succèdent : après Jean-Charles Ferreri (senior partner) et Sébastien d’Arco (partner), Thierry Quesnel vient en effet renforcer les forces vives, « pure strat » et expérimentées, d’eleven.
- 02/10/24
Minoritaires sont les cabinets de conseil en stratégie à avoir fait le choix de s’implanter au cœur des régions françaises. McKinsey, depuis les années 2000, Kéa depuis bientôt 10 ans, Simon-Kucher, Eight Advisory, et le dernier en date, Advention… Leur premier choix, Lyon. En quoi une vitrine provinciale est-elle un atout ? La réponse avec les associés Sébastien Verrot et Luc Anfray de Simon-Kucher, respectivement à Lyon et Bordeaux, Raphaël Mignard d’Eight Advisory Lyon, Guillaume Bouvier de Kéa Lyon, et Alban Neveux CEO d’Advention, cabinet qui ouvre son premier bureau régional à Lyon.
- 23/09/24
Retour sur la dynamique de croissance externe de Kéa via l’intégration capitalistique de Veltys – et le regard du PDG et senior partner de Kéa, Arnaud Gangloff.
- 23/09/24
Astrid Panosyan-Bouvet, une ancienne de Kearney, et Guillaume Kasbarian, un ex de Monitor et de PMP Strategy, entrent dans le copieux gouvernement de Michel Barnier, fort de 39 ministres et secrétaires d’État. Bien loin des 22 membres du premier gouvernement Philippe ; ils étaient 35 sous le gouvernement Attal.