Délits d'initiés McKinsey-Galleon : modèle économique terni aux Etats-Unis, 'non-sujet' en France
Rajat Gupta, ancien managing director de McKinsey, a été reconnu coupable de fraudes boursières et se verra infliger une peine de prison ferme. Anil Kumar, autre ancien partner impliqué, écope d'une peine avec sursis.
Un coup sérieux porté à la marque McKinsey - sans aucune conséquence en France, affirme-t-on dans le giron du cabinet.
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Trois partners domiciliés aux États-Unis impliqués dans les délits d'initiés, deux condamnations
Les deux jugements new yorkais de Rajat Gupta et Anil Kumar, respectivement les 15 juin et 19 juillet derniers, mettent un terme juridique à l'implication d'anciens associés McKinsey, le plus fameux et le plus discret des cabinets de conseil en stratégie, dans les affaires de délits d'initiés tentaculaires tous liés au fonds d'investissement Galleon. Son fondateur, Raj Rajaratnam, avait lui-même été condamné à plusieurs amendes d'un total de 156 millions de dollars et à 11 ans d'emprisonnement en octobre et novembre 2011, ainsi qu'à renoncer à 53,8 millions de dollars acquis via des opérations boursières frauduleuses.
C'est à la constitution de ce pactole par la divulgation d'informations non publiques qu'ont contribué Rajat Gupta, l'ancien managing director de McKinsey entre 1994 et 2003, devenu entre-temps membre du conseil d'administration de Goldman Sachs et Procter and Gamble, et Anil Kumar, "Mecky" depuis 1986 et associé du cabinet jusqu'à son licenciement fin 2009. Ce dernier y a notamment créé les bureaux de McKinsey en Inde (New Delhi, 1993), et aux États-Unis (Silicon Valley, 1986) et a contribué à l'explosion des activités de conseil en e-commerce du cabinet, qui ont pesé jusqu'à un tiers du chiffre d'affaires global du cabinet, avant l'éclatement de la bulle Internet.
Ces deux condamnations comptent parmi une soixantaine d'autres, qui pourraient encore se multiplier dans les mois à venir, menées par le FBI contre des prises de participation illégales à Wall Street.
Rajat Gupta et Anil Kumar se connaissent très bien : tous deux indiens d'origine, ils ont monté ensemble la Indian School of Business à Hyderabad en Inde et Kumar était devenu le protégé de Gupta, tout au long de ses trois mandats à la tête du cabinet. Entre ces dates, la croissance tant de l'activité que du nombre de consultants a été critiquée par certains comme trop rapide, empêchant la culture McKinsey d'être conservée. En 2010, McKinsey a encore effectué 2 000 recrutements. Entre 1994 et 2001, le nombre de consultants est passé de 3 300 à 7 700.
Rajat Gupta a été condamné pour quatre des six chefs d'inculpation de fraude boursière. Il sera fixé sur la durée de sa peine de prison à la mi-octobre. Anil Kumar, lui, a été mis à l'essai pendant deux ans. La très étroite collaboration qu'il a menée avec les enquêteurs, après son arrestation en octobre 2009, a plaidé en sa faveur.
David Palecek, un dernier associé de McKinsey, en charge de la practice semi-conducteurs à Paolo Alto en Californie, aurait également pris part aux délits d'initiés. Son nom a été mentionné par Rengan Rajaratnam, frère de Raj et ancien camarade de classe de David Palecek. Dans l'enregistrement d'une conversation téléphonique diffusé au procès de Raj Rajaratnam, Rengan indique que Palecek lui aurait dit "d'acheter autant d'actions AMD que possible et aussi vite que possible". Des propos fermement dénoncés par des proches de David Palecek, lui-même décédé prématurément en 2010.
L'intégrité de la marque McKinsey en prend pour son grade
Rappelons ce qui leur est reproché. Anil Kumar, alors encore associé en fonction, a transmis à Raj Rajaratnam au moins trois informations auxquelles il n'avait accès que par ses fonctions chez McKinsey. Elles concernent le rachat d'ATI Technologies par Advanced Micro Devices en 2006, l'annonce plusieurs mois avant sa réalisation en octobre 2008 d'un investissement de six milliards de dollars par un fonds d'investissement domicilié à Abu Dhabi dans ce même AMD, et la vague de licenciements à prévoir chez ebay, un week-end avant qu'elle ne soit rendue publique.
Anil Kumar plaide coupable de délit d'initié en janvier 2010 et se met d'accord avec la Security Exchange Commity – l'organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers – pour rendre 2,8 millions de dollars injustement touchés de la part du Galleon Fund.
Le tableau est le même pour Rajat Gupta, sauf que lui n'était plus en fonction chez McKinsey. Rajat Gupta a été reconnu coupable d’avoir fourni en 2008 des informations confidentielles à Raj Rajaratnam concernant l’investissement de 5 milliards de la holding de Warren Buffet, Berkshire Hathaway, chez Goldman Sachs, ainsi que sur les résultats trimestriels de la banque.
Autant dire que la charge est plus que lourde pour le cabinet qui a bâti sa réputation sur son sens extrême de la discrétion et son aptitude à collecter des informations sectorielles stratégiques dans plusieurs entreprises, tout en assurant la parfaite confidentialité et sans que ses collaborateurs puissent en tirer profit. C'est notamment Marvin Bower, le gourou des Meckies et managing director entre 1950 et 1967, qui avait fait de l'intégrité intellectuelle des consultants une valeur cardinale du cabinet.
"Vous devrez tirer la sonnette d'alarme à chaque fois que vous aurez le sentiment que nous détériorons les valeurs de notre approche professionnelle, ou que nous les laissons s'abîmer par simple inattention", écrivait-il d'ailleurs dans un mot d'adieu aux partners du cabinet, en 1967.
"L'accumulation et le partage d'informations privilégiées sont constitutifs de la manière avec laquelle ces cabinets fonctionnent, et ils ne peuvent pas se permettre de voir leurs clients, entreprises et gouvernements, refermer leurs coquilles. Comme le dit Christopher McKenna, professeur à Oxford, "les consultants apportent de l'information sectorielle cruciale en arrivant dans l'entreprise mais en prennent aussi en partant ; c'est au client de décider lequel de ces deux flux vaut le plus". Le consultant est le courtier qui amasse tellement d'informations que toute entreprise se voit dans l'obligation de l'engager, même si la démarche le met mal à l'aise", écrivait John Gapper, journaliste au Financial Times, à la suite de l'affaire.
En France : des nouvelles règles de confidentialité, mais "un non-sujet"
Trois règles internes dictaient d'ailleurs toute prise de participation des consultants avant l'affaire : interdiction de jouer en bourse sur des informations non publiques, interdiction d'acheter les actions d'un client du cabinet mais aussi interdiction d'acheter les actions d'un prospect. Une liste formelle d'entreprises cotées dont les consultants ne peuvent acheter les actions a été créée depuis l'affaire. S'y sont ajoutées de nouvelles règles de confidentialité et une définition étendue des documents qui ne peuvent en aucun cas être communiqués. À tel point que certains clients s'offusquent de la difficulté qu'ils ont à accéder aux études commandées. Un test annuel sur la bonne utilisation des données confidentielles serait désormais administré aux consultants. Ceux qui n'y répondent pas à 100% correctement se verraient privés de leur bonus salarial.
Contacté pour répondre de la réelle application de ces mesures dans l'Hexagone, le bureau de McKinsey à Paris se contente d'indiquer que l'affaire a suscité "un impact jusqu'en France. Ces comportements sont aux antipodes des valeurs et de la culture du cabinet".
RAS, disent pour leur part plusieurs anciens du cabinet. L'un explique ne même pas avoir entendu parler des procès. "C'est un non-sujet même si bien entendu tout le monde connaît l'affaire Gupta, et que ça ne fait plaisir à personne. Les différents consultants McKinsey que j'ai pu rencontrer en juin et juillet n'ont même pas évoqué la question. Nous sommes tenus à un certain devoir de réserve sur une affaire qui se passe loin de la France, d'autant plus que les délits d'initiés n'ont pas la même définition aux Etats-Unis et sont sans doute plus répandus qu'ici", explique Dominique Langlois, partner chez EIM et passé par la Firme entre 1974 et 1982, joint par Consultor.
Bis repetita chez AT Kearney
Une analyse qui tendrait à être vérifiée par le récent aveu d'un délit d'initié similaire dans un autre cabinet de conseil en stratégie d'origine américaine. Sherif Mityas, ancien partner et vice-président AT Kearney à Chicago, a reconnu en mars dernier sa culpabilité dans un délit d'initié lié à l'acquisition par Carlyle de NBTY Inc, finalisée en juillet 2010 pour un montant de 3,8 milliards de dollars. Consultant pour le compte de Carlyle, il apprend au cours d'une réunion téléphonique tenue en mai par les dirigeants du fonds d'investissement qu'ils envisagent de racheter NBTY Inc., producteur de suppléments nutritionnels. Sherif Mityas réalisera un gain personnel de 25 000 dollars sur un achat anticipé d'actions. Il risque 20 ans de prison.
Par Benjamin Polle pour Consultor, portail du conseil en stratégie- 10/08/2012
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