Google aura-t-il la peau du conseil ?
« Internet est un tsunami qui n’épargne aucun métier : hier les libraires et les disquaires, aujourd’hui les chauffeurs de taxi, demain les chargés de clientèle bancaire... Il est impératif de s’adapter sous peine de rejoindre le dodo sur la liste des espèces éteintes. »
Voilà aujourd’hui en substance le discours tenu par bon nombre de consultants à leurs clients. Mais eux-mêmes ont-ils suffisamment intégré la menace que fait planer la « digitalisation » sur leur métier ? Sont-ils disposés à remettre en cause certains des fondamentaux qui, depuis près d’un siècle, leur assurent un très rémunérateur succès ?
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Des certitudes rassurantes… mais illusoires
L’idée d’un client intimant à Lycos* « cherche ma stratégie, cherche ! » a de quoi faire sourire plus d’un partner. Ce n’est pas demain la veille, pensent-ils sans doute, que des « machines » produiront une recommandation stratégique sur un clic, concevront un programme de transformation à grande échelle… ou épongeront les angoisses d’un dirigeant du CAC40 sous pression de ses actionnaires. Le consulting est un art noble, pratiqué par une élite intellectuelle, sélectionnée et formée avec un soin minutieux. R2D2 consultant, c’est de la science-fiction !
Attention, car les dirigeants d’autres secteurs économiques se sont fourvoyés avec ce type de raisonnement, ne réalisant leur erreur que trop tard.
Dans une interview publiée par HBR France cet été, Jorge Cauz, le président d’Encyclopædia Britannica, livre ce témoignage sur la disruption de son métier par Internet : « comme bon nombre de producteurs de contenus, nous avions attribué une valeur à notre produit, sur la base de son contenu et des coûts de production. Mais les consommateurs étaient en train de changer. Ils pouvaient obtenir un contenu « suffisamment bon » pour un prix considérablement moins élevé, parfois même gratuitement. »
Et de fait, tous les professionnels qui ont échoué à anticiper l’impact d’Internet sur leur activité ont commis la même erreur : celle de ronronner doucement, bercés par l’idée apaisante qu’Internet ne pourrait jamais fournir un produit ou un service équivalent au leur. Ils avaient parfaitement raison sur ce point, mais se trompaient de prémisse. Internet « tue » une industrie en fournissant un produit ou un service moins bon. Mais juste un peu moins bon… et pour une fraction infime de son prix initial. Les premiers MP3 codés en 64 kbit/s, téléchargés sur Napster, n’égalaient certainement pas la qualité sonore d’un CD. Mais ils étaient gratuits, quand un CD coûtait « 100 balles ». Idem si l’on compare la qualité de ciblage d’un Meetic, tributaire de la sincérité des déclarations (et des photos), à celle que proposaient les agences matrimoniales haut de gamme. Mais l’abonnement au premier revient à une quinzaine d’euros par mois, quand les services des secondes se payaient plusieurs centaines d’euros.
Il y a disruption lorsque le client décide qu’il peut se contenter de la version « low cost » d’un produit ou d’un service.
Demain, « l’algorithme m’a tuer » ?
La perspective d’un basculement identique pour certains services de Conseil n’a plus rien d’invraisemblable – elle a même fait l’objet d’une analyse remarquée de Clayton Christensen, professeur d’innovation à Harvard. A l’avenir, c’est bien l’accès aux informations et la capacité à les analyser qui seront le nerf de la guerre dans les services professionnels. Et la puissance de travail et les capacités cognitives des consultants – bien qu’exceptionnelles – pourraient fort bien se trouver dépassées par celles des algorithmes de Google ou d’autres challengers.
Prenons un acteur français du luxe qui souhaiterait sélectionner une dizaine de villes d’Amérique latine où investir dans l’ouverture de nouvelles boutiques. Bain ou McKinsey se feront un plaisir de lui offrir l’accès à leurs bases de données, ainsi qu’aux partners locaux spécialistes du secteur. Une équipe de juniors et un chef de projet formaliseront pour lui une recommandation dans un powerpoint tiré au cordeau. Le tout moyennant des honoraires de quelques dizaines de milliers d’euros. Approche alternative : faire mouliner Google Trends pour savoir dans quelles villes les internautes brésiliens effectuent le plus de recherches sur les sacs à mains griffés, les carrés de soie, ou toute autre donnée corrélée à leur pouvoir d’achat et leur propension à consommer du luxe. Un algorithme agile saura bien vite établir des prédictions pertinentes, tout comme il peut aujourd’hui anticiper les évolutions d’une épidémie de grippe mieux que le réseau de médecins Sentinelles. Et le tout pour un coût marginal proche de zéro.
Autre type de mission classique pour les cabinets de Conseil : l’optimisation de processus opérationnels, chez des industriels par exemple. Aujourd’hui, une telle mission implique une phase d’observation sur site (le fameux consultant chronomètre en main sur la chaîne de production), une comparaison à des « benchmarks », avant la formulation de recommandations. Mais bientôt, chaque machine de la chaîne de production sera connectée à Internet. Chaque produit issu de cette chaîne le sera aussi. L’industriel disposera alors d’une vision complète, instantanée, du cycle de vie du produit et de la chaîne de production étendue, fournisseurs et distributeurs inclus. La détection des écarts de qualité, des stocks superflus et autres gaspillages pourra là aussi être largement automatisée et l’optimisation sera permanente.
Resteront évidemment des missions ne pouvant être confiées aux circuits imprimés : conduire le changement, mobiliser, influencer… Mais ce sont là des rôles dans lesquels – aux dires des clients – les consultants français sont traditionnellement moins à l’aise que dans la résolution de problèmes et l’analyse pure.
L’adaptation passe par une révolution culturelle
En définitive, si la technologie ne tuera sans doute pas tous les consultants, elle risque néanmoins de faire disparaître la variante du consultant autiste léger au QI hypertrophié, au profit d’un consultant plus empathique et « coach ». Le premier, assumant ses tendances geek, pourra se reconvertir avec profit comme concepteur d’algorithmes chez Google. Recruter et former le second demandera à beaucoup de cabinets de Conseil un travail de fond sur la diversité et la culture de la performance.
Charles René** pour Consultor le 17 septembre 2014.
(*) : « Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans etc. »
(**) : Charles René contribuera au gré de ses humeurs au site consultor.fr. Fin connaisseur du conseil de direction générale et encore partie prenante dans le secteur, il signe ses billets d'un pseudonyme.
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commentaires (3)
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France
- 30/01/25
Cela a été annoncé il y a quelques jours par la gouvernance. Béatrice Malasset est nommée directrice de la communication de Neoma Business School. Une école qui pointe en 2025 à la 7e position des classements des écoles de commerce du Figaro et de L’Étudiant (6e pour celui de Challenges).
- 28/01/25
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Publiée début décembre, l’étude consacrée « aux impacts des trafics de produits du tabac » a été menée par EY-Parthenon et l’IFOP pour Philip Morris France et Japan Tobacco International France.
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Anne Dhulesia, partner au sein de la practice Life Sciences Europe de L.E.K., revient en France et devient managing partner du bureau de Paris.
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