Jérémy Hodara : un « McKinsey sous stéroïdes » à l’assaut de l’e-commerce africain
À tout juste 36 ans, Jérémy Hodara a déjà eu plusieurs vies. Et pas des moindres : après sept années passées chez McKinsey, jusqu'à devenir engagement manager, il est depuis 2012 le cofondateur de l’Amazon africain, Jumia.
Jumia fait partie des très nombreux sites d’e-commerces lancés depuis qu’il a rejoint en 2011 l’usine allemande à start-up digitales, Rocket Internet, dont les méthodes de clonage de sites existants ont été maintes fois critiquées. L’un des ses fondateurs, Oliver Samwer, est resté célèbre pour avoir demandé à ses recrues – de préférence d’anciens McKinsey, de Bain et de Roland Berger – de travailler comme des « McKinsey sous stéroïdes ». Jérémy Hodara est l’un d’eux. Portrait.
Il est désormais rare de voir Jérémy Hodara en France. Les quelques minutes accordées sur la terrasse d’un café parisien ont été assez difficiles à planifier avec celui qui, depuis la création l’Amazon africain Jumia, sillonne l’Afrique de part en part.
Fondé en 2012 par l’ex-consultant en tandem avec son acolyte de l’époque McKinsey Sacha Poignonnec, Jumia s’est en effet imposé depuis six ans comme le leader du commerce en ligne en Afrique. Il est présent aujourd’hui dans quatorze pays parmi lesquels le Nigéria, le Maroc, le Kenya, l’Égypte, la Tanzanie, l’Afrique du Sud ou encore la Côte d’Ivoire.
« C'est là que se trouve la plus grande population Internet et où cela faisait sens de s’implanter », résume Jérémy Hodara en souriant, le regard bleu pétillant derrière ses lunettes. Désormais, l’heureux entrepreneur passe donc la moitié de son temps au Nigéria, vaisseau amiral de Jumia, et partage le reste de son temps entre les autres marchés de l’e-entreprise et Dubaï, où il réside avec sa famille.
Touche-à-tout à HEC, il choisit le conseil à la sortie de l'école
Son goût pour l’éclectisme et le mouvement ne date pas d’hier. Après une enfance à Paris entre un père ingénieur et une mère professeur de droit, il est reçu à HEC après un bac scientifique. Pour lui, hors de question de se diriger vers une hyper-spécialisation et de s’enfermer dans le carcan d’une carrière toute tracée et trop prévisible.
« J’avais envie de me lancer dans des études où l’on pouvait toucher un peu à toutes les matières, et HEC répondait à ce besoin et à ma nature curieuse », se souvient Jérémy Hodara. Très vite, à l’occasion d’un stage chez L’Oréal en Malaisie, il développe également un attrait pour les contrées lointaines et les pays émergents.
Des pays dynamiques et cosmopolites où tout est à construire pour qui a un profil entrepreneurial et n’a pas peur de se retrousser les manches. « Lorsque je suis sorti de HEC, je me suis demandé quel métier me ferait voyager et toucher à plusieurs choses à la fois », poursuit-il.
« Le conseil répondait plutôt bien à cela, avec notamment la possibilité d’être en contact avec plusieurs industries, problématiques et sujets différents. Par ailleurs, la mobilité y est plus aisée que dans d’autres sociétés. »
Digital et distribution chez McKinsey : les prémices de Rocket Internet sont là
Parcours d’excellence encore au moment de débuter sa carrière en 2006 : ce sera McKinsey où il se spécialise assez vite dans la distribution et le digital. Au gré des opportunités, il trouve déjà le moyen de naviguer de bureau en bureau, de Bombay en passant par New York.
C’est au cours de cette année passée dans la Grosse Pomme que germe l’idée de créer son propre business. « Nous souhaitions avec Sacha Poignonnec partir construire quelque chose de concret, qui ne soit pas une niche, mais qui réponde à un vrai besoin profond », raconte Jérémy Hodara.
L’Afrique, qui ne comptait à l’époque aucun acteur du e-commerce et ne répondait pas aux besoins d’une classe moyenne qui « gagnait en pouvoir d’achat mais pour laquelle l’offre se résumait à des produits très chers, difficiles d’accès et de mauvaise qualité », représente alors le terrain de jeu idéal…
Quelques mois après leur retour de New York, le 17 juin 2012 très exactement, Jérémy Hodara et Sacha Poignonnec se lancent. Derrière eux, Rocket Internet, l’incubateur des frères allemands Samwer. « L’usine à clones » se traîne une sale réputation. Le groupe allemand s’est fait une spécialité de copier-coller ultra rapidement des modèles commerciaux en ligne, pour in fine les revendre au site d’origine.
Un eBay bis revendu à 43 millions dollars après deux mois d'activité
En 2001, les trois frères futurs fondateurs de Rocket Internet, Oliver, Alexander et Marc Samwer font leur premier coup : le 1er mars de cette même année, ils mettent en ligne Alando.de, une copie d’eBay dont ils avaient repéré le modèle lors d’un voyage dans la Silicon Valley. Le 17 mai, Goldman Sachs appelle les entrepreneurs berlinois pour leur faire part de l’intérêt d’eBay. Le 30 mai, le deal – à 43 millions de dollars tout de même – est bouclé avec le fondateur d’eBay, Pierre Omidyar.
Depuis Rocket Internet, qui a été fondé à Berlin en 2007, a répété ce modèle aux quatre coins du monde et compte des participations dans pas moins de 130 start-up du web. Quand il s’est agi d’étendre Rocket Internet en France, le groupe allemand jette alors son dévolu sur les deux jeunes Français. Leur profil convient à Oliver Samwer, l’un des trois fondateurs de Rocket Internet et aujourd’hui principal dirigeant du groupe allemand.
« McKinsey sous stéroïdes »
Dans un e-mail de 2011, divulgué par Tech Crunch et resté célèbre à cette époque, ils demandaient à chaque nouveau dirigeant de start-up de Rocket Internet de travailler comme un « McKinsey sous stéroïdes » et de conduire le développement commercial de chaque start-up à la façon d’un « Blitzkrieg ». Les profils d'ex-consultants en stratégie, type McKinsey, Bain et Roland Berger, sont particulièrement appréciés. Jérémy Hodara et Sacha Poignonnec répondent bien à la fiche de poste. Objectif : « un site par mois ».
Puis vient Jumia, une marketplace sur laquelle des milliers de vendeurs proposent désormais leurs produits sur tout le continent africain, des vêtements aux produits électroniques en passant par des denrées alimentaires. En quelques mois seulement, l’entreprise connaît une croissance très rapide et se développe dans plusieurs pays.
Aujourd’hui, outre l’investisseur Rocket Internet, Jumia est également soutenue par de prestigieux actionnaires tels que Goldman Sachs, Orange, Axa ou encore le groupe de téléphonie mobile suédois Millicom.
Organisation carrée et esprit orienté solutions : les héritages de la vie de consultant
Le quotidien de Jérémy Hodara désormais ? « Rencontrer tous les vendeurs de Jumia afin de comprendre leur business et leur permettre de proposer les bons produits aux bons prix, passer du temps avec les clients pour mieux cerner leurs besoins et leurs attentes, partir au contact des différents influenceurs à travers le continent en vue de permettre la promotion de Jumia et de ses produits sur les réseaux sociaux, et organiser le travail des équipes en interne. »
Des activités à la fois variées et cycliques, au déroulement millimétré pour lequel leur précédente expérience de consultants en stratégie est aujourd’hui un véritable atout. « Le conseil nous a donné une certaine confiance dans la manière d’aborder les problèmes, quels qu’ils soient ; il n’y a aujourd’hui pas un seul sujet sur lequel on ne se sent pas capable de travailler et d’essayer de trouver des solutions. Par ailleurs, nous avons acquis une façon de nous organiser au quotidien et de manager les personnes autour de nous qui nous permet d’éviter constamment la surchauffe. »
Jérémy Hodara admet bien volontiers que ses sept années passées chez McKinsey resteront à jamais gravées et lui ont permis d’envisager sans crainte les étapes suivantes. « Mais le cycle du conseil est assez court et prédictible, ajoute-t-il. Aujourd’hui, le rythme est différent et tout s’accélère enfin dans ma vie. Je suis bien incapable de dire où je serai l’année prochaine, ce que je ferai, si cela sera plus gros, plus fort, différent... » Un passé de consultant qui ne lui manque pas du tout : d’ailleurs chez l’e-commerçant africain on se passe de leurs services.
Chloé Enkaoua pour Consultor.fr
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