Lessives, shampoings... les pistes des consultants pour s'adapter à la fin des super promos
Elle est une loi du secteur encadrant le secteur du retail qui a fait couler beaucoup d’encre. La loi dite Descrozaille (ou Egalim 3) a fait sortir de leurs gonds les « têtes de gondole » de la distribution. À la clef, la fin des super-promos dans les rayons droguerie, parfumerie, hygiène et entretien (DPH). L’analyse de partners de deux cabinets qui accompagnent ces acteurs : Martin Crépy de Simon-Kucher, Jean-Marc Liduena et Laëtitia Fouquet-Carpinelli de Circle Strategy.
Après la loi Egalim 1, Agriculture et Alimentation, en 2018, encadrant les promos alimentaires, Egalim 2 en 2021, instaurant la construction du prix des produits alimentaires à partir des coûts de production pour soutenir la rémunération des agriculteurs, c’est au tour d’Egalim 3 ou loi Descrozaille (du nom du député Renaissance qui l’a portée) d’entrer en vigueur, et la disparition des offres « 2 pour le prix d’1 » ou « 1 acheté, 1 offert » en limitant les promos à 34 % maximum en valeur (et 25 % en volume) pour les produits appelés DPH (droguerie, parfumerie, hygiène/entretien).
Deux mesures de la loi EGalim 1 ont été par-là même prolongées : l’encadrement des promos (aux mêmes taux) sur les produits alimentaires dans les grandes surfaces jusqu’en 2026 et le seuil de revente à perte de 10 % minimum au-dessus du prix d’achat des produits alimentaires, sauf fruits et légumes frais, y compris les marques distributeurs.
Une loi retail de plus qui fait bondir
Ainsi, pas moins de « seize lois ont modifié les règles de la grande consommation depuis 2020, ce qui créait déjà des tensions énormes entre fabricants et distributeurs. C’est un vrai problème que de changer la donne tous les ans. Les acteurs sont ainsi dans une nécessaire et perpétuelle adaptation et doivent repenser leur stratégie commerciale », appuie Laëtitia Fouquet-Carpinelli, partner en charge du secteur consumer de Circle Strategy.
Votée un an auparavant, appliquée depuis 3 mois, elle avait pour ambition première de rééquilibrer les négociations entre les fournisseurs de l’agroalimentaire et les acteurs de la grande distribution, mais aussi de soutenir les PME de la distribution en difficulté pour aligner leurs prix sur ceux des grandes surfaces. Une loi mise au pilori par l’ensemble des distributeurs dès sa présentation au Parlement et qui ont tout essayé pour stopper son avancement (dont le moratoire pour cause d’inflation) : « un tsunami de déconsommation » avait prédit le PDG de Carrefour Alexandre Bompard, « c’est du délire », pour Michel-Édouard Leclerc, « une folie » pour le patron de Système U, Dominique Schelcher.
Une très mauvaise nouvelle en effet pour les distributeurs qui avaient vu augmenter leurs promotions en moyenne de 40 % en 2018 à 42 % en 2022, et beaucoup plus pour ces produits DHP : 47,5 % pour les shampooings, 48 % pour les gels douche, et 51 % pour les changes et couches-culottes.
Des consultants circonspects
Pour certains des consultants des cabinets de conseil en stratégie accompagnant les acteurs du retail, si l’intention était louable, la loi Descrozaille pose question. « Dans l’absolu, ce n’est pas une mauvaise loi, car lorsque certains produits étaient en promotion tout le temps, cela n’avait plus vraiment d’effet sur les achats et cela posait la question de la vraie valeur du produit. Les retailers ont besoin de promos importantes afin de générer du trafic. Limiter le volume de promo avait aussi du sens comme argument de préservation de la filière en amont, car quand il y a des promos en magasins, ce n’est pas Leclerc ou Carrefour qui les paient. Mais une question me semble centrale : pourquoi cette loi ne concerne qu’une partie du portefeuille produits ? », pointe Martin Crépy, directeur Monde de la practice consumer de Simon-Kucher. Le senior partner interroge aussi sur les contrôles de ces promotions. « Si la remise maximum de 34 % en valeur est facilement contrôlable, le contrôle est beaucoup plus difficile sur les limitations de 25 % de promos en volume. Comment les taux sont-ils calculés, sur les volumes sell-in, sell-out ? »
Le patron de Circle Strategy, Jean-Marc Liduena, est encore plus critique sur cette nouvelle réglementation. « Comme d’habitude, la France légifère. Le modèle politico-économique qui légifère sur tout n’est pas bon. Le cadrage des négociations entre les acteurs, avec ses calendriers, a déjà montré ses limites. Les lois EGalim promeuvent à la base l’égalité. Mais parlons de “l’égalité” au sein du marché alimentaire en prenant l’exemple du lait : l’augmentation du prix du litre en rayon entre 2001 et 2022 a été accompagnée d’une baisse de 4 % de valeur (marge brute) pour l’agriculteur, vs une hausse de +64 % côté fabricants et transformateurs, et de +188 % pour les distributeurs… »
Selon cet expert retail, les profits en aval avaient ainsi crû de 61 % entre 2018 et 2021. Inégalité aussi du côté consommateur pour Jean-Marc Liduena, pour qui dans un contexte récent d’hyperinflation, « qui frappe durement les consommateurs et les agriculteurs, qu’est-ce qui justifie un plafonnement des promos à 34 % par la loi EGalim ? À qui cela profite-t-il vraiment ? »
Une « erreur de focale » également d’après Laëtitia Fouquet-Carpinelli qui illustre : « Plutôt que de viser les objectifs, on a visé les moyens, à l’instar de l’encadrement des loyers dans le secteur du logement qui a été totalement contre-productif. Finalement, le poids des distributeurs dans la négociation est encore plus important. »
Une loi plutôt perdant/perdant
Y a-t-il des bénéficiaires ? Pas sûr. Cette mesure est aussi une mauvaise nouvelle pour les consommateurs, particulièrement dans un contexte ultra-inflationniste. Les clients n’ont même pas pu anticiper l’entrée en vigueur de la loi avec les multiples super promos de 2023 proposées par les distributeurs. « Il n’y a pas eu d’effet de stockage en amont de l’application de la loi », confirme le senior partner de Simon-Kucher Martin Crépy. Et depuis, les consommateurs continuent de manquer à l’appel dans les rayons. « Nous avons déjà vu en 2023 une déconsommation de -5 % en volume sur les produits alimentaires, pas forcément sur les grandes marques emblématiques, mais plutôt sur les produits frais ou moins essentiels, le marché de la glace, par exemple », appuie la partner de Circle Strategy.
Et puis, cette loi, visant d’abord à protéger les acteurs en amont de la filière, les fournisseurs, en premier lieu les agriculteurs, a un autre effet contre-productif, pour Martin Crépy de Simon-Kucher, car « comme il y a moins de promos, il y a aussi moins de volumes ». Pour faire la différence, selon ce senior partner consumer, ils doivent travailler « sur leurs coûts et la hausse du prix des matières premières sans baisser leur marge, mais aussi sur l’optimisation de la supply chain, les nouveaux canaux de vente, et le développement sur les marchés en forte croissance (Asie/Afrique) ».
L’efficacité des précédentes lois EGalim a été entaillée par deux rapports d’information du Sénat de 2019 et 2022 qui notent « une illustration emblématique du ruissellement théorique… » et « une hausse des prix pour les consommateurs finaux, le retour aux agriculteurs semblait inexistant, ce qui implique de s’interroger sur l’usage qui a été fait de ce surcroît de marges, évalué selon les sources à 600 millions d’euros ».
Les nouveaux leviers des distributeurs
Une chose est sure, la loi EGalim 3 rend difficile la différenciation par la promotion. Seul lot de consolation pour les retailers, cette loi ne leur fait pas « perdre d’avantage compétitif entre eux, car tous travaillaient sur le business model promotionnel, mais avec des promos moins visibles, l’image de l’enseigne est impactée. Leurs armes pour fidéliser les clients sont avant tout aujourd’hui les programmes de fidélité et le cagnottage », notifie le senior partner de Simon-Kucher. Pour les retailers, il y a aujourd’hui deux grands sujets à approfondir d’après Laëtitia Fouquet-Carpinelli de Circle Strategy : le pricing (pour résoudre notamment l’écart actuel entre la perception prix et le véritable positionnement prix-produit) et l’offre marque distributeur.
Et les distributeurs doivent trouver d’autres leviers que l’effet promotion. « Il leur est nécessaire de retravailler le pricing à la baisse dans un monde inflationniste, ce qui est complexe. Ils doivent aussi travailler la notion de perfect store (une approche complète de l’expérience client qui va de la disposition optimale des produits à une gestion optimale des stocks, en passant par les outils de communication et technologiques, ndlr) », ajoute Martin Crépy de Simon-Kucher. Il y aurait même, selon Jean-Marc Liduena de Circle Strategy, « une forme de morosité ambiante sur le pricing, voire de procrastination ».
À la clef, de multiples questions autour du cœur du réacteur « prix » pour les distributeurs, comme le détaille Laëtitia Fouquet-Carpinelli de Circle Strategy : « Comment travailler la stratégie prix ? Où appliquer des baisses chirurgicales de prix ? Comment travailler d’autres leviers en termes d’assortiment, une offre moins sensible au prix ? » Et tout cela, dans une logique de contraintes liées au développement durable qui augmentent nécessairement les coûts…
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaire (0)
Soyez le premier à réagir à cette information
grande consommation - luxe
- 04/12/24
Luca Lo Curzio, 5 ans chez Bain, prendra les rênes de la marque française début 2025. Permira Growth Opportunities II entre à son capital à hauteur de 40 %.
- 02/12/24
Audrey Wolfovski Barthuel, 38 ans, chez Bain & Company de 2010 à 2016, puis chez BlablaCar jusqu’en 2023, où elle a notamment été responsable du marketing, est aujourd’hui une cheffe d’entreprise. Elle dirige depuis 18 mois le site de yoga en ligne YogaEasy et a cofondé récemment une entreprise, The One Paris, une marque de bijoux dessinés et fabriqués en France, dont la première collection vient d’être lancée.
- 19/11/24
La nouvelle destination au sein de LVMH de l’ancien project manager de McKinsey, Charles Delapalme, était encore inconnue il y a quelques semaines, lorsque sa successeuse, Benedetta Petruzzo, ex-consultante de Bain & Company, avait été annoncée à la tête de Dior Couture.
- 25/10/24
Samuel Cazin, alumni de Kearney ayant ensuite rejoint le groupe Nestlé notamment, devient partner au sein de l’entité de conseil en stratégie de PwC France & Maghreb.
- 21/10/24
Le président de la filiale Vins et Spiritueux de LVMH depuis 2017, Philippe Schaus, aurait été débarqué par le groupe.
- 06/09/24
C’est une Italienne, Benedetta Petruzzo, ancienne consultante de Bain & Company, qui vient d’être promue chez Dior Couture (LVMH) en qualité de directrice générale déléguée. Un poste qu’elle va occuper à partir du 15 octobre prochain.
- 14/06/24
Elles se sont connues en prépa et ne se sont presque plus quittées depuis : les deux cofondatrices de Gimmy (ex-Foodjer), ex-BCG, partagent avec nous leur itinéraire, leur projet et leurs ambitions.
- 06/06/24
S’il est un marché qui semblait résilient face aux crises, c’est bien le secteur du luxe. Le seul segment clé des biens personnels affichait 362 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023, en croissance de 4 % sur un an (à taux courants). Pourtant, certaines maisons emblématiques connaissent un revers depuis la période faste post-covid, à l’instar de Gucci et de sa maison-mère, Kering. L’analyse de consultants dédiés, Céline Pagat Choain et Paolo Cassio, associée et directeur de Kéa, et Laurence-Anne Parent, senior partner d’Advancy.
- 22/05/24
The French Bastards, l’entreprise dirigée par Victor Muraille, alumni de McKinsey, vient de voir arriver un nouvel investisseur, Experienced Capital (ECP) dédié « aux marques premium », comme le site du fonds d’investissement le précise.