Pourquoi l'Institut Montaigne est un haut lieu des stratèges
Advancy, Kearney, McKinsey, Roland Berger, le BCG, KPMG, ces cabinets de conseil en stratégie ont choisi d’être partenaires de l’Institut Montaigne. À ce titre, les cabinets réalisent, entre autres, des notes et des rapports, dont le dernier en date sur le 9-3, porté par Agnès Audier du BCG, est plutôt explosif.
Quels sont les liens, et l’intérêt mutuel, entre cet institut jugé plutôt libéral et les cabinets de conseil en stratégie ? Nous avons posé la question à l'institut et aux cabinets.
Les cabinets de conseil en strat’ collaborent très régulièrement aux documents de cet institut (près de 6 millions d’euros de budget par an), créé en 2000 par l’ancien patron d’Axa, Claude Bébéar, qui se présente comme le « lanceur d’alerte » de l’action publique.
Derniers rapports et notes en date auxquels les consultants ou ex-consultants ont participé, E-santé : augmentons la dose ! en juin dernier, dont l’un des trois présidents était Thomas London, directeur associé chez McKinsey Paris, le rapport détonant de mai dernier porté par la senior advisor du BCG, Agnès Audier, Seine-Saint-Denis : les batailles de l’emploi et de l’insertion (dont nous avons fait écho ici), ou encore la note de mars 2020 à laquelle a participé l’ancien consultant de Roland Berger, Hakim El Karoui, Retraites : pour un régime équilibré. Chez Kearney, deux rapports d’ampleur ont été rendus ces dernières années : sur la spécificité du mutualisme en France et du tourisme (avec notamment Jean Boschat et Patrick Rabbat, partner et principal au bureau de Paris). Deux rapports sont en cours de réalisation sur les sujets très tendance de mobilité dans la ville et d’énergies renouvelables.
Montaigne, un institut très politique
L’Institut Montaigne, groupe de réflexion étiqueté capitaliste et néolibéral, est présidé depuis 2016 par un autre homme d’affaires français très influent, Henri de Castries, successeur de Bébéar chez Axa jusqu’en 2016, aujourd’hui président des activités européennes du fonds d’investissement américain General Atlantic. Il est financé par des entreprises du CAC 40, GDF Suez, Total ou Vallourec ; il est considéré comme la voix des grandes entreprises.
Ce groupe de réflexion a été par ailleurs très présent dans la campagne d’Emmanuel Macron, comme l’a expliqué un article de Libération en 2017. Il regroupe des cadres d'entreprises, de hauts fonctionnaires, des universitaires, des représentants de la société civile, et des consultants donc, avec l’objectif de concilier les enjeux de long terme de compétitivité et de cohésion sociale, notamment en matière de politiques publiques françaises et européennes. Ils sont quinze membres au comité directeur, aucun représentant des cabinets de conseil en strat’, mais des dirigeants ou ex-dirigeants de grandes entreprises, Engie, Airbus, Renault, Dassault Système, La Poste… et l’ancienne ministre, Fleur Pellerin, fondatrice CEO du fonds d’investissement Korelya Capital. Ce comité directeur est officiellement en charge « de la cohérence des publications et de la qualité scientifique et éditoriale des travaux ».
Pour Kearney, le positionnement droitier de Montaigne est cependant plus complexe qu’il n’y paraît. « Les fractures sont plus compliquées que de simples prises de position. Dans la réalité des leviers, par exemple l’école, l’Institut permet de faire exprimer des sensibilités différentes avec le souhait du renforcement du rôle de l’État pour aider les plus défavorisés », souligne Nicolas Lioliakis, partner et chairman France chez Kearney.
Un cinquième des rapports rédigés avec la participation de consultants
Ils sont donc aujourd’hui six cabinets de conseil en stratégie à être partenaires de cet institut plus qu’actif et productif – il publie en moyenne un long rapport (jusqu’à deux cents pages de contenu rédigées par les quinze à vingt membres qui constituent ce groupe de travail) et une ou deux notes par mois.
« L’adhésion à l’Institut est ouverte à toutes les entreprises qui le souhaitent et elle est soumise au comité directeur de l’Institut Montaigne. Entre juillet 2019 et juillet 2020, sur cinquante travaux publiés (notes, rapports, études), 20 % ont été réalisés avec la participation de consultants », confirme Alice Baudry, directrice du marketing et de la communication de l'Institut Montaigne.
Le cabinet Advancy vient de mettre en place le partenariat, une relation donc très – trop – récente selon le fondateur associé d’Advancy Éric de Bettignies pour pouvoir en parler tout en tenant à mettre en avant « le professionnalisme des personnes de l’Institut Montaigne ». Chez Kearney, en revanche, les relations sont plus anciennes, le cabinet en est membre depuis une dizaine d’années.
« En tant que membre de ce think tank, nous avons abondé financièrement afin de lui donner les moyens de produire des études réputées agnostiques avec des perspectives sur des secteurs en rupture ou la problématisation de plus vastes enjeux macro-économiques ou sociaux. Notre partenariat actif récent permet de lui apporter une assistance sectorielle, par exemple sur les mobilités urbaines, les énergies renouvelables, les enjeux du tourisme. Nous avons un rôle de coordonnateur et de formalisateur des travaux en soutien de leurs équipes », précise Nicolas Lioliakis de Kearney.
Les rouages des collaborations entre l'institut et les cabinets de conseil en stratégie
Dans ce cadre, c’est du ressort de l’Institut Montaigne de trouver l’idée d’une étude sur laquelle les cabinets peuvent se positionner. « Le programme de travail est adopté par le comité directeur de l’Institut Montaigne, l’équivalent de conseil d’administration. Les propositions de travail sont préalablement instruites par la direction des études et l’équipe de direction sur la base de comités d’engagement qui se tiennent quatre à six fois par an », atteste Alice Baudry de l’Institut.
À charge au cabinet de conseil qui s’est vu confier le dossier de définir les thématiques, les personnes à interviewer, de détacher une équipe dédiée pour coordonner et produire in fine un rapport, « si les sujets sont dans notre champ de la transformation des entreprises et des secteurs, dans une approche œcuménique », selon Nicolas Lioliakis. « Notre métier, c’est d’être un révélateur d’intelligence collective. Notre philosophie, c’est de toujours créer les conditions d’une réflexion collégiale, que les questions soient opérationnelles et/ou fondamentales », appuie Nicolas Bienvenu, directeur communication de Kearney.
L’adhésion à l’Institut Montaigne (dont Consultor n’a pas pu obtenir un quelconque tarif) permet, selon la source officielle, aux quelque 180 entreprises adhérentes et cabinets de conseil de recevoir les travaux (des travaux rendus publics sur le site !) et ouvre l’accès à des événements exclusivement réservés aux entreprises adhérentes.
« Elles sont également invitées à rejoindre les groupes de travail qui préparent les rapports publiés par l’Institut Montaigne. Ces groupes sont composés de participants issus de l’entreprise, de la fonction publique et du monde de l’expertise au sens large, comme l’enseignement supérieur et la recherche. Leur composition précise est toujours communiquée dans chaque rapport et sur notre site internet », précise Alice Baudry de l’Institut Montaigne. Des travaux qui ne sont jamais monnayés.
« La plupart des rapports de l’Institut Montaigne donnent lieu à des groupes de travail dont le rapporteur est très souvent un associé de cabinets de conseil mis à disposition pro bono par les cabinets partenaires de l’Institut. Il n'y a pas de monétisation ou de contractualisation », affirme l’ancien consultant de Roland Berger, Hakim El Karoui, fondateur de son propre cabinet de conseil Volentia (dont nous avions réalisé le portrait ici). Des missions uniquement pro bono confirmées également par Kearney.
« Pour nous, elles sont l’occasion d’être en contact avec des acteurs très différents sur l’ensemble des thématiques du sujet traité, c’est passionnant comme consultant et comme citoyen. Et les formats sont intéressants, car ce sont des sujets sur lesquels il n’y a pas d’opinion dominante (que penser d’Airbnb ? Quelles nouvelles énergies pour demain ?) et pour lesquels nous interrogeons des personnes qui ne se parlent pas forcément habituellement », assure le partner et chairman France de Kearney, Nicolas Lioliakis.
Un puissant lieu de réseau
Pour l’Institut, cet apport à titre gracieux d’un vivier de ressources représente sans conteste une véritable plus-value. Toutefois, pour éviter tout potentiel conflit d’intérêts, l’Institut a mis en place un certain nombre de règles. De même, pour les cabinets, il pourrait être délicat d'associer leur marque avec institut assez marqué politiquement. Mais personne n’y trouve à redire. Ces partenariats sont sans conteste une belle façon de construire un solide réseau au plus haut sommet du pouvoir, économique et politique. Avec, comme dit Nicolas Bienvenu, le dircom de Kearney, « des opportunités de rencontres évidemment importantes ».
Barbara Merle pour Consultor
Crédit photo : Tony Blair l'ancien Premier ministre britannique lors d'une invitation par l'Institut Montaigne (https://www.institutmontaigne.org/evenements/echanges-avec-tony-blair)
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