Accenture France : le blues des consultants en stratégie
À l’automne 2023, une grève inédite chez Accenture l’expose au grand jour : le cabinet opère un gel des salaires prolongé, et les promotions y ont fondu comme neige au soleil. Entre manque de reconnaissance, sentiment de dévalorisation et démotivation, des consultants témoignent de maux loin d’être anodins.
Certes, le marché du conseil dans son ensemble a souffert en 2024. Mais le « freeze » qui concerne tous les métiers d’Accenture a commencé il y a plus de 2 ans. Or, malgré un « infléchissement de la croissance des bénéfices de la société en 2023 et 2024, le groupe se porte plutôt bien », estime un senior manager de l’entité Strategy & Consulting souhaitant rester anonyme.
Accenture a clos l’exercice 2024 avec un chiffre d’affaires mondial de 65 milliards de dollars, en hausse de 2 %. Le flot de trésorerie disponible, solide à 8,6 milliards de dollars, a permis de reverser 7,8 milliards de dollars aux actionnaires.
Un bémol néanmoins : selon le dernier rapport annuel du groupe, en dépit d’un chiffre d’affaires resté stable sur l’ensemble de la zone EMEA, l’activité a été en recul en France en 2024.
Une politique salariale passée au rabot
Du point de vue des consultants, le bât blesse en raison de la dichotomie perçue entre une zone Gallia (France, Benelux, île Maurice, Maroc) « qui performe sur les marchés » – modulo l’année 2024 donc – et « le blocage des rémunérations initié dès 2022 ». Lors de la dernière négociation annuelle obligatoire, le seul budget dégagé pour des augmentations a concerné les équipes Technology Strategy, à savoir une centaine de consultants – d’après un délégué syndical préférant rester anonyme – « car il devenait difficile d’attirer et retenir les talents ».
Au global, outre le gel des salaires, les bonus sont très faibles. « 5 ou 6 % pour les profils ayant bien performé, à peine 2 ou 3 % pour les autres, alors que, sur un grade de senior manager, il est possible d’atteindre 20 %. » Et les promotions se font au compte-gouttes.
Plus précisément, selon une consultante voulant rester discrète, il y en aurait eu « une cinquantaine sur cette période », alors que les équipes de Strategy & Consulting comptent 1 500 personnes en France (sur un total de 10 000 salariés environ dans l’Hexagone). Un autre consultant – manager – évoque pour sa part une « unique promotion en 2023 dans son équipe ».
Au sein des 4 grandes marques d’Accenture – Technology, Operations, Song, ex-Interactive, et Strategy & Consulting réunis depuis 2020 –, les bonus et packages d’augmentation sont décidés au niveau mondial. « Les directions régionales n’ont pas la main sur ce qui est pratiqué chez elles. »
À date, selon l’un des consultants interrogés, le top management de la zone Gallia – en plein renouvellement, Olivier Girard ayant été remplacé comme président par Koen Deryckere en septembre 2024 – demande aux équipes de prolonger leurs efforts sur 2 ou 3 ans, dans l’attente d’un retournement économique en Europe et dans le monde. « Cela crée un très fort mécontentement. »
La priorité absolue : préserver les actionnaires
Malgré des fluctuations depuis 2022, le cours de l’action Accenture reste dans une fourchette haute. Qu’en pensent les forces vives hexagonales, hautement mises à contribution dans la « gestion financière prudente » revendiquée par la direction mondiale ?
Bien qu’ils reconnaissent un resserrement de l’activité en France – moins de « bonnes missions de type fusions-acquisitions, plans strat’, redressement ou retournement de situations pour des sociétés, développement de nouvelles offres…, avec un taux de staffing tombé à 45-50 % mi-2024 pour certaines équipes » –, les consultants que nous avons interrogés se perçoivent comme les boucs émissaires d’efforts censés être plus équitablement répartis.
Une régulation RH en berne ?
Le soutien RH ne serait pas du tout au rendez-vous, selon nos témoins. « Aucune “compensation” n’a été mise en œuvre ! » La souplesse dans l’organisation personnelle qui prévalait précédemment est même remise en cause. « On nous demande de faire moins de télétravail, une partie du management associant le travail à distance à un manque de productivité. »
La stratégie locale serait-elle de pousser les consultants vers la sortie de façon insidieuse ? C’est le sentiment de ceux que nous avons interrogés. Une dimension insidieuse déjà à l’œuvre dans le cadre de la Rupture conventionnelle collective visant les fonctions support (dont les équipes RH), selon la déléguée syndicale groupe DClic CGT Yamina Nebhi, chez Accenture depuis 2000. « Les départs devaient se faire sur la base du volontariat, mais certains salariés ont subi de fortes pressions pour partir. »
Fin décembre 2023, la CGT n’a pas signé cet accord, contrairement aux autres syndicats du groupe, CFE-CGC, CFDT et CFTC. Un refus de la CGT motivé, selon Yamina Nebhi, par le manque de transparence de la direction – aucun plan d’adaptation partagé en CSE – et l’absence de certitude quant au maintien du même nombre de postes pour ceux voués à être délocalisés.
Alors qu’une bonne partie des équipes RH a été relocalisée en Roumanie, tout comme la finance, les consultants évoquent donc leur malaise avec « des amis ou membres des équipes » dont ils font partie. Certains restent silencieux par crainte de tenir « des propos trop acerbes ».
L’alerte rouge de la médecine du travail
Au-delà des conditions salariales, les collaborateurs d’Accenture France sont-ils en souffrance ? Yamina Nebhi nous a confié un extrait du dernier rapport trimestriel de la médecine du travail.
Les anomalies suivantes y sont répertoriées : « départs non remplacés avec charge de travail majorée ; manque de moyens logistiques, voire humains ; manque de marges de manœuvre ; difficultés à la suite de la réorganisation des fonctions support : HRP, process… ». Le « manque de reconnaissance » ainsi qu’un « sentiment de dévalorisation et une perte de motivation » y sont également mis en exergue. Des « conflits de valeur » en résulteraient, un « climat d’insécurité » étant décrit en raison de « l’incertitude sur l’avenir et du manque de perspectives d’évolution ».
Autant d’éléments tempérés par le délégué souhaitant rester anonyme. « Par essence, la médecine du travail pointe ce qui va mal », souligne-t-il tout en reconnaissant « des tensions dans de nombreux services, mais pas de dysfonctionnement majeur ». La pluralité des problématiques soulevées dans le rapport oriente toutefois vers une situation de souffrance au travail manifeste – bien qu’impossible à quantifier.
Une direction avisée des problèmes de terrain
Pour dépeindre la situation chez Accenture aussi fidèlement que possible, les commentaires de la direction d’Accenture Strategy & Consulting auraient été nécessaires. Nos sollicitations réitérées sont malheureusement restées vaines.
Si les canaux de communication avec les salariés semblent défaillants, l’équipe dirigeante – de S&C et du groupe dans son ensemble – a été alertée par les résultats de la dernière enquête Great Place To Work. En effet, Accenture France n’a pas été certifié en 2024, alors qu’en 2022, l’entité figurait dans le top 10 des Best Workplaces dans l’Hexagone. Les « points faibles » les plus mis en exergue par les répondants sont un « manque de reconnaissance lié particulièrement à la rémunération », ainsi qu’un « manque de confiance envers les promesses de la direction ». Une enquête interne a d’ailleurs été diligentée dans la foulée de ces résultats.
De meilleurs jours dès 2025 ?
Selon le délégué syndical anonyme, « une seconde NAO – d’une certaine façon – devrait avoir lieu avec des annonces sur les salaires et les promotions en juin ». Il reconnaît s’attendre à ce que cela concerne « très peu de monde ».
En parallèle, le nouveau président de la zone Gallia, Koen Deryckere, a évoqué la nécessité de « réduire les coûts opérationnels » de la région lors de sa prise de fonction. « Ce qu’il reste des RH en France, les commerciaux intervenant en back-office et la formation » pourraient être visés, selon l’un de nos témoins. « Des réorganisations d’équipes – de consultants – pourraient aussi intervenir, moyennant certains décloisonnements. »
Et si le « freeze » des salaires et promotions devait se poursuivre ?
À date, selon les consultants interrogés, l’impact du mécontentement se traduit davantage dans le désengagement que par des départs – le contexte étant peu favorable aux mouvements, entre baisse des offres sur les jobboards et moindres propositions des cabinets de chasse. « Une dizaine de senior managers au minimum » auraient toutefois quitté Accenture pour la seule année 2023. Et d’autres seraient sur le point de le faire.
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