Français ou anglais : gare à ne pas paumer les clients
Coup sur coup, chez Airbus et Renault, deux embrouillaminis linguistiques montrent que l’anglais, présumé évidente langue des affaires de la part des consultants en stratégie, peut irriter les clients. La place est unanime : le sur-mesure est la règle.
Conseil en stratégie = anglais bilingue couramment utilisé avec les collègues et avec les clients. Il ne semblait pas y avoir de sujet.
Pourtant, plusieurs actualités récentes font preuve du contraire.
Quand l’anglais fait tiquer les clients
À l’automne 2020, un confidentiel de deux lignes dans le magazine Challenges indiquait que « l’inspection du travail a mis en demeure Stratorg (TrustManagement) mandaté par les élus d’Airbus, de rédiger ses expertises en français ».
Mi-février 2021, une longue enquête d’une page parue dans Le Monde en remettait une couche. L’article est alors consacré au rôle prépondérant de consultants du Boston Consulting group (BCG) de 2018 à fin 2019 dans le groupe Renault. Un cadre de la régie cité anonymement brocardait de la part des consultants « des montagnes de PowerPoint plein de mots anglais fourre-tout ».
Deux histoires qui n’ont rien à voir – si ce n’est un fort prisme international des entreprises clientes –, mais qui ont un point commun éloquent, celui d’interroger le rapport des consultants à la langue anglaise lorsqu’ils travaillent en France.
Depuis plus d’un quart de siècle, la France n’est-elle pas le pays qui a sa loi « relative à l’emploi de la langue française » ? Cette fameuse loi de 1994 de Jacques Toubon qui vise notamment à assurer la primauté de l’usage de termes francophones face à l’usage croissant d’anglicismes.
Au sein de TrustManagement, partenaire de longue date d’Airbus, on se refuse à commenter le sujet. On souligne, un peu gênés, que « c’est une non-information, qu’il n’y a pas matière à polémiquer ». Idem chez des représentants syndicaux du groupe aéronautique qui minimisent, sans doute soucieux de ne pas attirer la lumière sur ce genre d’affaires.
Si tous les cabinets interrogés par Consultor.fr soulignent en tout cas ne pas avoir connu de différends langagiers avec leurs clients, quel idiome utilisent-ils au quotidien face aux clients ? Quelles règles appliquent-ils ?
Le client est roi
Qu’en est-il côté scène dans les échanges avec les clients ?
« Les dirigeants des grandes entreprises françaises ont des origines, des formations et des parcours de plus en plus internationaux », commente Stéphane Bazoche, qui a pris les fonctions de managing director France de Monitor Deloitte le 1er septembre dernier (relire notre article).
En d’autres termes, les présentations et recommandations se font souvent en anglais, car les comités exécutifs ont un excellent niveau d’anglais et les entreprises des visées internationales. Pour autant, « le français demeure la norme dans certains secteurs. C’est le cas par exemple pour la banque, le secteur public ou les grandes entreprises avec une composante étatique », ajoute celui qui est passé également par McKinsey et le BCG.
L’importance des « ressorts culturels »
Un constat que partage l’associé de PMP Conseil, Philippe Curt, qui œuvre auprès des industries culturelles, logiquement très sensible au respect de la langue de Molière. « Une bonne partie de nos clients est extrêmement sensible à l’utilisation du français, car la langue porte beaucoup d’éléments avec elle », explique-t-il. Le stratège nuance toutefois au regard des différentes practices de son cabinet : « Cela dépend totalement de notre client, il faut parfois jongler. »
« Les présentations se font quasi exclusivement en langue anglaise », relève pour sa part Olivier Abtan, senior managing director de Publicis Sapient. Pour ce spécialiste de l’industrie du luxe qui a longtemps travaillé au sein du BCG, il est là encore crucial de prendre en compte les différences culturelles afin de mieux faire comprendre les nuances des recommandations stratégiques.
« Les ressorts culturels sont importants, la langue maternelle est quand même essentielle. Il nous arrive donc de faire des “explications de texte” entre les présentations », indique-t-il, évoquant des commentaires oraux en version originale pour être plus précis.
Au sein du bureau parisien du cabinet Oliver Wyman qui revendique une présence mondiale dans trente pays, la philosophie est quasi similaire. « Les études et recommandations que nous produisons pour le compte de nos clients sont en français et/ou en anglais selon la demande spécifique du client, les destinataires internes, les intervenants ou participants aux réunions », nous indique-t-on.
Et d’ajouter : « Nous nous accordons toujours avec les clients sur la langue utilisée pour les délivrables en début de projet et certains peuvent effectivement être traduits à la demande. »
Quand l’anglais devient la langue officielle en interne
Quelques règles et mille souplesses en fonction du client : voilà pour la photographie d’ensemble.
La langue peut en définitive davantage être un sujet d’interrogation en interne, à nouveau, que lors de communications réglées comme les présentations aux clients. Le sujet se pose par exemple chez PMP dans une phase plutôt expansive à l’international.
« On se pose beaucoup de questions sur la langue à utiliser en interne », reconnaît Philippe Curt alors que le cabinet se développe en Afrique du Nord, au Benelux, au Canada, mais surtout à Londres. La société envisage ainsi que la langue du quotidien en interne devienne l’anglais.
Pierre-Anthony Canovas pour Consultor.fr
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commentaires (2)
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France
- 18/11/24
L’un des ténors du BCG en France, Guillaume Charlin, 54 ans, patron du bureau de Paris entre 2018 et 2022, serait en passe de quitter le cabinet.
- 15/11/24
Toutes les entités de conseil en stratégie ne subissent pas d’incendies simultanés, comme McKinsey, mais chacune peut y être exposée. La communication de crise dispose-t-elle d’antidotes ? Éléments de réponse avec Gantzer Agency, Image 7, Nitidis, Publicis Consultants - et des experts souhaitant rester discrets.
- 15/11/24
Le partner Retail/Consumer Goods d’Oliver Wyman, Julien Hereng, 49 ans, a quitté tout récemment la firme pour créer son propre cabinet de conseil en stratégie et transformation, spécialisé dans les secteurs Consumer Goods, Luxe et Retail, comme il le confirme à Consultor.
- 13/11/24
À l’heure où les premiers engagements d’entreprises en termes d’ESG pointent leur bout du nez (en 2025), comment les missions de conseil en stratégie dédiées ont-elles évolué ? Toute mission n’est-elle pas devenue à connotation responsable et durable ? Y a-t-il encore des sujets zéro RSE ? Le point avec Luc Anfray de Simon-Kucher, Aymeline Staigre d’Avencore, Vladislava Iovkova et Tony Tanios de Strategy&, et David-Emmanuel Vivot de Kéa.
- 11/11/24
Si Arnaud Bassoulet, Florent Berthod, Sophie Gebel et Marion Graizon ont toutes et tous rejoint le BCG il y a plus de six ans… parfois plus de dix, Lionel Corre est un nouveau venu ou presque (bientôt trois ans), ancien fonctionnaire venu de la Direction du Trésor.
- 08/11/24
Trois des heureux élus sont en effet issus des effectifs hexagonaux de la Firme : Jean-Marie Becquaert sur les services financiers, Antonin Conrath pour le Consumer, et Stéphane Bouvet, pilote d’Orphoz. Quant à Cassandre Danoux, déjà partner Stratégie & Corporate Finance, elle arrive du bureau de Londres.
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.