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Automobile : Roland Berger provoque (à nouveau) la colère de salariés

Encore une étude d’un cabinet de conseil en stratégie qui fait bondir les salariés d’une entreprise en difficulté. Et là encore, c’est le travail de Roland Berger qui est dénoncé par les syndicats. Après les fonderies du Poitou en 2021 et le site Bosch de Mondeville en 2024, c’est donc aujourd’hui JTEKT, une filiale de Toyota spécialisée dans les systèmes de direction automobile, qui est au cœur d’une bataille sociale à la suite des décisions prises à l’issue des recommandations du cabinet.

Barbara Merle
07 Avr. 2025 à 14:00
Automobile : Roland Berger provoque (à nouveau) la colère de salariés
© Photocreo Bednarek/Adobe Stock

L’entreprise a en effet annoncé le 26 mars dernier la suppression de près de 200 emplois sur les sites d’Irigny près de Lyon et de Chevigny-Saint-Sauveur près de Dijon (sur un total de 1500 salariés) avec la mise en place d’un nouveau Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) ; le précédent date de 2021.

Et ce, « après avoir supprimé entre 2020 et 2024 près de 500 emplois sur le site d’Isigny… et cédé ses usines de Blois et de Chènevières », comme le rappelle la CGT dans son dernier communiqué de presse. « On n’est pas surpris. Cela fait longtemps qu’on attendait une annonce. Nous sommes dans cette situation, avec des difficultés à être rentable, y compris structurellement. Avec moins de personnes dans les équipes et des exigences fortes, il faudra améliorer l’efficience », commente de son côté dans ce même communiqué leur collègue de la CFE-CGC, Raphaël Vadon.

Cette nouvelle réduction d’effectifs s’inscrit officiellement dans le cadre d’une « organisation industrielle impérative pour assurer la pérennité de l’entreprise en France » d’après Yannick Lacour, directeur exécutif Europe, dans le communiqué de presse du groupe, dans le but « d’optimiser l’activité de production et de restaurer la compétitivité à moyen et long terme de l’entreprise en France ». Une entreprise qui a vu sa production européenne chuter de 4,5 millions de pièces en 2019 à 3 millions en 2024. La société et son directeur exécutif Europe, contactés par Consultor, n’ont pas répondu à notre sollicitation.

Le rapport Roland Berger en question

Ce qui met vent debout les organisations syndicales, et en premier lieu la CGT JTEKT, via l’un de ses représentants, Abdel Yousfi. Le cégétiste, interrogé par Consultor, juge ainsi « incompréhensible le nombre important de postes supprimés et de la fermeture du site de Chènevières du fait de l’expertise réalisée par le cabinet Roland Berger ». Quant au cabinet, également sollicité par Consultor, il répond ne jamais commenter ses missions.

Un diagnostic, réalisé en 2024, décidé après « que nos dirigeants japonais aient rencontré Bruno Le Maire (alors ministre de l’Économie, ndlr), qui leur avait conseillé de mettre en place cette étude ». Les salariés des deux sites ont eu connaissance de la mission du cabinet en avril 2024, dans une note interne signée de la main de Mitsuki Toyohara, le président de JTEKT Europe. « Concerné par ses multiples complexités et après avoir bénéficié d’une recapitalisation d’ampleur en 2023, le management de l’entreprise a missionné le cabinet Roland Bergeret initié une étroite collaboration avec le ministère de l’industrie français d’étudier toutes les possibilités visant à identifier les solutions et optimisations favorables à la préservation de l’activité de JTEKT en France et de poursuivre la trajectoire d’innovation. Aucune des pistes étudiées avec Roland Berger n’envisage un retrait de JTEKT du territoire français. »

Un mois durant, « un mois, c’est une sacrée expertise », ironise Abdel Yousfi, les consultants de Roland Berger sont donc venus sur site, « des consultants qui se sont présentés lorsque je suis allé les voir ». Leur but : visiter les deux sites, et, en premier lieu, étudier les lignes de production, et « rencontrer l’ensemble des managers pour savoir comment ils travaillaient ». Pour Abdel Yousfi et ses collègues, cette présence de consultants posait question. « On nous a répondu qu’ils étaient là pour faire un rapport juste pour améliorer la compétitivité, mais on savait bien qu’on nous mentait. »

Un rapport auquel les salariés n’ont jamais eu accès (l’entreprise n’avait aucune obligation sur le sujet). « Nous avons reçu un refus total, malgré nos demandes insistantes et répétées à la direction, mais aussi à la région et à l’agglomération, et nous n’en avons eu que des bribes et de simples explications pas convaincantes, déplore Abdel Yousfi. Hormis quelques chiffres sur les ventes et la nécessité de céder des sites, c’est que Roland Berger a mis en avant un besoin de restructurer l’entreprise avec amélioration des services rendus, à l’exemple des services achats qui devaient se recentrer sur un seul secteur. Elles ne nous permettent pas de croire aux explications de notre direction ni au sérieux de la possibilité que ce PSE conséquent puisse résoudre la situation de JTEKT en France. »

Ce que le délégué syndical croit fermement, c’est que le diagnostic réalisé par Roland Berger était « orienté, juste pour confirmer la politique que Toyota souhaitait mettre en place ». Et des affirmations de la direction « contestables et contestées » selon la CGT pour qui il suffirait de relire le rapport sur les comptes sociaux de l’exercice 2023 (clos au 31 mars 2024) pour s’en convaincre. « Les cessions ne sont pas par exemple justifiées, car le marché aura toujours besoin de directions assistées. Et puis, il est important que le savoir-faire issu de Renault ne soit pas délocalisé », appuie Abdel Yousfi.

Le marché auto européen a augmenté de 4,9 % et projette une moyenne de progression de 3,4 %. « En 2023, le marché automobile de l’Union européenne a terminé avec une solide expansion de 13,9 % par rapport à 2022, atteignant un volume annuel de 10,5 millions d’unités… Tous les marchés de l’UE ont progressé au cours de l’année écoulée à l’exception de la Hongrie », argumente le communiqué de presse de la CGT. Et pour les collaborateurs, Toyota, l’un des principaux actionnaires de JTEKT, qui livre notamment des pièces pour Stellantis, se porterait bien : la société a réalisé, en 2024, un chiffre d’affaires de 11,6 milliards d’euros et un bénéfice net de 245 millions d’euros.

Et finalement, qu’a repris la direction de ce rapport de Roland Berger ? C’est Lionel Meca, directeur des opérations France de JTEKT, qui tente de l’exprimer à la suite d’une question directe lors d’un Comité social économique d’établissement en septembre 2024. « Certaines choses nous semblent difficiles à prendre. Du jour au lendemain, diviser par deux les conducteurs de ligne sur les lignes pignon… Des sujets où ils disent [Roland Berger, ie] : “Cela, il faut externaliser”, on dit non. Par exemple, l’outillage… C’est une force, la preuve, le Japon nous le dit… Pour autant, leur modèle disant “y a-t-il un intérêt ?”, nous répondons : “C’est une bêtise, parce que c’est une réelle force.” »

Roland Berger régulièrement missionné dans ce secteur en crise

Le cabinet Roland Berger est très actif dans le secteur automobile auprès des directions générales, à l’instar de McKinsey, le BCG, ou encore Oliver Wyman, Alvarez & Marsal et Advancy.

Un marché européen en baisse depuis plusieurs années sur les voitures neuves (les utilitaires sont en augmentation), de plus en plus fortement concurrencé par la Chine (et dépendant des composants chinois). Les sous-traitants souffrent particulièrement dans ce secteur de l’automobile fortement bousculé, particulièrement depuis la période post-covid.

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Après un – éphémère - regain d’activité post-covid, le secteur automobile connait un gros coup de frein en cette année 2024. Pour une partie des sous-traitants des constructeurs, c’est une période particulièrement critique. Avec, à la clef, l’annonce de cessations d’activités, de fermetures de sites et de licenciements. Quels sont les leviers pour ces incontournables du secteur pour sortir de cette crise ? Les analyses de trois partners dédiés : Marc Boilard d’Oliver Wyman, Markus Collet de CVA et Fabrice Vigier d’Avencore.

Avec des plans sociaux à la clef : Michelin a fermé deux usines et supprimé plus de 1200 emplois, Valeo prévoit de supprimer près de 1 000 postes en France, La Fonderie de Bretagne (dépendante de Renault), est menacée de fermeture (350 emplois), pour laquelle Advancy a effectué une revue stratégique

Roland Berger avait aussi effectué en 2020 une contre-expertise à la demande du gouvernement français après l’annonce du groupe allemand Daimler AG sur sa volonté de vendre le site de « Smartville », l’usine mosellane d’Hambach où étaient fabriquées les Smart en France. Un rapport visant à évaluer la viabilité du projet du conglomérat britannique Ineos pour la production du 4x4 Ineos Grenadier, notamment en ce qui concerne l’emploi et l’impact sur les sous-traitants locaux ; un projet officialisé en décembre 2020.

L’espoir est très mince du côté des salariés et des représentants syndicaux de JTEKT, comme le confirme Abdel Yousfi de la CGT. « Le PSE d’aujourd’hui donne l’impression qu’on va en avoir un autre en 2027, voire qu’on va nous annoncer la fermeture des sites. » Quant à l’accès au rapport de Roland Berger, Abdel Yousfi ne compte pas baisser les bras. De nouvelles demandes officielles devraient être effectuées, histoire de ne rien lâcher…

Roland Berger
Barbara Merle
07 Avr. 2025 à 14:00
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commentaires (2)

But your are french !
10 Avr 2025 à 15:39
je ne comprends pas qu'il n'y ait pas une once de remise en cause sur le recours à des cabinets non français sur ces problématiques (sans parler de ce qui touche à la défense et des secteurs souverains, la c'est juste de l'inconséquence des clients). Sans remettre en cause compétences et analyses réalisées, les biais d'analyse sont forcément présents

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Lucent
08 Avr 2025 à 01:41
Un peu comme Alcatel. Les machines outils partent en un w-e. Mais il ne faudra pas finir comme Northvolt, juste 1 gus qui sait faire tourner la ligne. Dédicace à Renault Automation

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automobile - mobilités

Adeline
automobile - mobilités
JTEKT, filiale Toyota, Roland Berger, PSE, étude, PSE, automobile, suppression d’emploi, syndicats, CGT, restructuration
14428
Roland Berger
2025-04-07 13:54:47
2
Non
JTEKT : les syndicats dénoncent une étude de Roland Berger
Une nouvelle étude de Roland Berger est pointée du doigt par les syndicats de JTEKT, filiale de Toyota.
Un PSE a été annoncé, près de 200 suppressions de postes étant prévues. Les sites d’Irigny et de Chevigny-Saint-Sauveur sont directement concernés.
La CGT évoque une mission (de Roland Berger) qui aurait été orientée vers la réduction des effectifs dès le départ.
La direction justifie ces choix par une stratégie de compétitivité industrielle.