« Je n’étais pas fan des consultants » : comment Clotilde Delbos a changé d’avis
Clotilde Delbos, 35 ans de carrière chez Pechiney et Renault, a rejoint il y a un an Oliver Wyman en qualité de senior advisor. Et elle en a vu passer des consultants au cœur des directions générales. Pas jusque-là convaincue de leur réelle utilité.

Car le conseil en stratégie, cette DAF, nommée DG par intérim de Renault à la suite de l’affaire Carlos Ghosn, le tenait plutôt à distance, n’ayant jamais été « très fan », pas « convaincue par l’outcome de ce que les consultants apportaient pour l’entreprise » et que « l’argent n’était pas forcément bien investi ».
Et pourtant. En janvier 2024, Clotilde Deblbos, libérée de son dernier mandat exécutif – elle était CEO de la marque Mobilize de Renault entre 2021 et 2022 –, devenue membre de boards à temps plein, pas moins de 4 (Axa, Alstom, Sanofi et Schneider Electric), a bien choisi le conseil en stratégie. « Je sais faire la différence entre telle ou telle mission, et tel ou tel cabinet. Oliver Wyman a la réputation d’apporter de véritables solutions et d’avoir une excellente connaissance de certains domaines, notamment les transports et la mobilité. » Un cabinet avec lequel la dirigeante experte de l’industrie n’avait jamais travaillé. « Je n’avais pas envie de rejoindre un cabinet que je connaissais, préférant partir d’une feuille blanche. »
Une nécessaire prise de recul
C’est une rencontre, décisive, avec le chairman France du cabinet, Hanna Moukanas, « par connaissance interposée », qui l’a convaincue de sauter le pas. « Je savais également que ce cabinet avait un ADN fort. Les consultants sont respectueux dans leur accompagnement des dirigeants. Ils veulent les aider sans vouloir prendre leur place et sans faire de la politique. »
C’est ainsi que Clotilde Delbos, « en pleine phase de recul sur ce que je voulais faire de ma vie professionnelle », accepte ce nouveau rôle de senior advisor, au sein du secteur des transports, de l’automobile et des services. Une façon aussi de pouvoir « rester très au fait de ce qui se passe dans ces secteurs, sans avoir de mandat exécutif, tout en me nourrissant des connaissances que je n’ai pas, et de rendre à l’industrie et aux entreprises françaises ce qu’elles m’ont donné ».
Ces toutes nouvelles fonctions dans le secteur du conseil en stratégie et au sein de boards (depuis 2018) la sortent de sa zone de confort qu’est la direction d’entreprise. « J’y ai des rôles diversifiés et c’est cela qui me plait. »
Les valeurs du rugby comme mantra
Cette dirigeante experte en finance d’entreprises et en affaires aime le mouvement et les défis, en toute passionnée de rugby qu’elle est depuis l’enfance. Clotilde Delbos aime en effet sans pareil les valeurs de son sport fétiche : l’engagement individuel et collectif, le combat, les challenges, mais aussi l’humain. Engagée, cette Lorraine d’origine l’est aussi dans le rugby, fervente supportrice du Racing et trésorière générale de la Fédération française de rugby depuis octobre dernier. Un sport qu’elle a découvert aux côtés de son père, un professeur, assidu téléspectateur de sports en général et du Tournoi des 5 Nations (l’Italie a intégré le tournoi en 2000). Et a aussi transmis le « virus » à deux de ses trois enfants.
Un atout commercial
La senior advisor d’Oliver Wyman intervient ainsi « sur appel en fonctions des missions » pour préparer ou être présente sur les appels d’offres ou encore amener son expérience pendant les missions. « J’ai notamment récemment échangé à bâtons rompus avec un dirigeant d’une entreprise d’un autre secteur que ceux que je connais, le secteur de la mobilité au sens large, sur une mission menée par Marc Boilard. Ce dirigeant était confronté à des problématiques proches du secteur auto. Nous avons échangé notamment sur la gestion des risques et les projets à long terme. » Son rôle, c’est aussi de partager avec les autres seniors advisors d’Oliver Wyman (une dizaine au total) afin « d’améliorer notre fonctionnement et l’utilisation de ces ressources particulières ». Pas d’objectifs commerciaux en revanche, mais pour « apporter mon expérience et mon expertise en amont des projets chez les clients pour appuyer les compétences globales du cabinet. »
Les chiffres en tête
Elle appartient au cercle encore très fermé des dirigeantes de grandes entreprises qui ont réussi à briser ce fameux plafond de verre. Comment cette diplômée de l’emlyon (1989) a-t-elle gravi les sommets de l’industrie ? Un monde ultra-masculin dans lequel les femmes n’avaient pas leur place aux postes-clefs. « J’ai fait mon petit bonhomme de chemin, je n’ai pas fait une “skyrocket career”. Je me suis laissée portée par mes compétences, la facilité avec les chiffres, et par opportunité de pouvoir toujours aller au-delà de ce que l’on me demandait », répond-elle humblement.
Clotilde Delbos débute comme auditrice interne au sein de l’entreprise King Bearings en Californie, entreprise de distribution (fabrication de paliers de moteur), puis entre chez PwC, en qualité d’auditrice pour la firme, et ce, durant 18 mois. « J’en suis partie très vite, car je n’avais pas envie de donner de conseils aux autres. »
« 20 ans d’alu »
C’est en 1992 que cette « as des comptes » entre chez Pechiney, pour y évoluer durant 20 ans : contrôleur de gestion de la division Bauxite et Alumine et des activités de négoce et du réseau international de Pechiney, responsable Financement, responsable Corporate finance en charge de l’ensemble des activités corporate finance & M&A pour la partie Emballage du groupe Pechiney. À la suite de l’acquisition de Pechiney par Alcan, puis d’Alcan par Rio Tinto, elle devient VP & Business Finance Director des produits de seconde transformation de l’aluminium.
Puis, après la session de cette activité à Apollo durant un an, Clotilde Delbos est CFO à la tête de l’entité Risques de Constellium à Paris, entreprise leader mondial de produits et solutions en aluminium. « Après 20 ans d’aluminium, ma filiale a été vendue à un fonds d’investissement, et je ne partageais pas les mêmes valeurs que les associés du fonds. Christel Bories en était partie également [ex-CVA, DG de Constellium un an en 2011, depuis 2017, PDG d’Eramet, ndlr]. »
Renault face à ses crises
C’est alors que Clotilde Delbos a l’opportunité d’entrer chez Renault en 2012 comme contrôleuse en cheffe du groupe, et à ce titre, membre du comité de direction. « J’ai choisi Renault, même si je n’étais pas très voiture, pour sa dimension internationale notamment grâce à l’alliance avec Nissan. Et j’ai adoré les 10 années passées chez Renault, y compris durant les périodes de crise, l’évasion et l’arrestation de Carlos Ghosn, la fusion avortée avec Fiat, la DG après Ghosn… Une entreprise qui s’est montrée d’une résilience à toute épreuve. » C’est dans un contexte mouvementé que la CFO (depuis 2016) est nommée PDG par intérim en 2019, « en attendant de trouver un DG issu de l’automobile », et, ce, durant près d’un an. Une expérience marquante à la tête de pas moins de 180 000 collaborateurs. « Eh bien, j’ai géré comme je pouvais. Je savais qu’on allait dans le mur sur la stratégie, qu’il fallait remettre ce paquebot dans le droit chemin et que ce serait long. Et puis, nous avons vécu le Covid. Pendant 9 mois, il a fallu communiquer et expliquer ce qu’il se passait et ce que l’on faisait. Il a fallu annoncer la perte de près de 10 milliards d’euros de cash pendant cette période et la potentielle fermeture de sites. La chance que j’aie eue, c’était que j’étais connue des syndicats comme directeur financier. Et que l’État nous a soutenus. »
Début 2021, Clotilde Delbos est nommée CEO de Mobilize, la marque transverse dédiée aux enjeux de mobilité durable du groupe Renault. « Une expérience passionnante, une façon de prendre du recul sur la stratégie dans un monde nouveau. Nous sommes partis d’une feuille blanche en termes stratégiques, d’équipe, de feuille de route, de R&D, de voitures produites. » Pour cela, la DG s’est fait accompagner par un cabinet de conseil en stratégie, « une petite équipe senior de 2 ou 3 consultants qui nous a permis de réaliser un benchmark, d’être disruptifs, de trouver le bon positionnement. »
Un board, « ça ouvre les chakras »
Son départ de Renault fin 2022 est survenu dans un contexte de réorganisation du groupe et un plan de redressement lancé en 2021. Il était temps pour la tête de Mobilize de « sortir la tête du guidon » et d’apporter son expertise différemment, sans mission exécutive. Depuis 2024, la nouvelle senior advisor d’Oliver Wyman est aussi membre du conseil d’administration de Sanofi et de Schneider Electric (après Alstom en 2018, et Axa en 2021). « J’ai choisi des sociétés françaises leaders de leur secteur avec de gros challenges. Tout senior leader devrait au moins s’impliquer dans un board, ça ouvre les chakras de regarder une industrie différente de la nôtre et de voir les techniques de management, de gestion des risques. » Une façon également de prendre du recul intellectuel, « même si on n’a pas la satisfaction de voir les résultats ».
Des consultants de conseil en stratégie, Clotilde Delbos en a vu passer au sein de ses 10 années passées chez Renault. Les habitués du groupe : EY-Parthenon, mais surtout le BCG, à tous les étages. Au point qu’en 2019, le DG Thierry Bolloré a été démis de ses fonctions pour gestion brutale et un recours trop important aux consultants externes.
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Vendredi 11 octobre, Thierry Bolloré a été démis de ses fonctions de directeur général de Renault. On lui reproche une attitude cassante vis-à-vis de Nissan, une méfiance quasi ouverte à l'encontre de Jean-Dominique Senard après la fusion avortée de Renault et Fiat Chrysler, une gestion brutale de l’entreprise et aussi un recours poussé à des consultants externes.
Une critique rarissime dans un grand groupe où les achats de missions de conseil en stratégie sont monnaie courante.
Depuis un an, Clotilde Delbos découvre ainsi de l’intérieur le monde du conseil en stratégie. A-t-elle fondamentalement changé d’avis sur la véritable plus-value des consultants ? « J’ai découvert un autre côté du spectre, avec des consultants très engagés, très impliqués, qui souffrent quand l’entreprise souffre et cherche comment aider. Je vois aussi comment une bonne stratégie, une bonne mise en œuvre, les bons choix peuvent véritablement influer sur une organisation. »
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