Boom du conseil interne : + 48 % d’adhérents en 3 ans pour l’association dédiée
Médiatisé récemment dans sa version « secteur public », le conseil interne intégré aux entreprises connaît aussi un développement significatif selon l’Association française du Conseil interne (AFCI). Éclairage de son président et autres éléments d’analyse.
Si son activité reste moins connue que celle des cabinets n’ayant pas de « maison-mère » et servant différents clients, quelques lignes directrices sont aisément identifiables quand on pense au conseil interne. Ses entités tout d’abord appartiennent à de très grandes entreprises, majoritairement du CAC 40. Certains secteurs y sont surreprésentés : la banque et l’assurance, l’énergie, le secteur public. Autre élément notable, il est presque toujours envisagé « en regard » de son homologue externe, sans doute à cause de son essor encore récent.
Une structuration progressive et l’affirmation du conseil interne comme un véritable métier
Si les premières entités françaises de conseil interne ont vu le jour dans les années 1990 — celle de Renault par exemple, sous le nom d’Institut Renault de la Qualité en 1989 —, il a fallu attendre 2012 pour qu’une association se constitue, l’AFCI. À l’époque, elle ne comporte que trois adhérents : La Poste, Thales et la Société Générale. À la même période en Allemagne, un type de réseau similaire, l’Inhouse Consulting Network (ICN), se met en place.
Se nourrissant de bonnes pratiques et de retours d’expériences, l’AFCI travaille aujourd’hui avec le réseau allemand précité qui regroupe 24 entités distinctes — dont celles de la Deutsche Bahn (ferroviaire), Volkswagen (automobile), BASF (chimie) ou Merck (pharma – chimie) —, soit 1 700 consultants environ dans toute l’Allemagne. Au niveau mondial, l’AFCI échange régulièrement avec l’Association of Internal Management Consultants (AIMC, États-Unis) qui regroupe les structures de conseil interne de sociétés classées au Fortune 500 — Chevron (énergie) ou IBM (tech) entre autres. Toutes ces associations revendiquent le caractère de métier à part entière du conseil interne.
Sébastien Delahaie, à la tête de l’AFCI depuis octobre 2023 et par ailleurs manager de Conseil Interne & Organisation (CIO), l’entité dédiée du groupe Mutex, l’exprime ainsi : « Bien qu’évoluant dans des entreprises différentes, les consultants internes exercent le même métier, lequel s’appuie sur des fondamentaux communs. Cela nous conduit à partager des services, notamment des formations. »
Dans cette perspective, l’AFCI organise aussi des conventions, des événements. Répartis en groupes de travail, les adhérents de l’association réfléchissent de concert « à la RSE, à la data/IA ou au people development ». Sur la data/IA par exemple, « quand des consultants internes d’Axa, Orange, Allianz, Total Énergies — autant d’organisations ayant beaucoup investi sur ces sujets-là — réfléchissent ensemble, la fusion des énergies produit quelque chose ». Idem pour la RSE avec de grands acteurs industriels ou des transports, ou via le pôle Talents.
Une croissance accélérée depuis 2021 qui se répercute sur le nombre d’adhérents de l’AFCI
De trois à l’origine, l’Association française du Conseil Interne est passée à 23 adhérents en 2021. Elle en compte 34 mi 2024, soit une hausse de 48 % en 3 ans. Ces 34 entités emploient entre 1 200 et 1 300 consultants, sachant que certaines sont encore toutes petites et/ou en train de se développer, tandis que d’autres dépassent les 100 consultants (BNP Paribas — CIB Consulting & Transformation, SG Consulting & Transformation, Engie Consulting, Conseil interne du groupe BPCE…).
Parmi ses adhérents, on trouve donc SG Consulting & Transformation, le cabinet de conseil interne de la Société Générale, doyen du modèle puisqu’il a été créé il y a 50 ans. Si cette entité ou le Conseil interne de Renault déjà cité font figure de précurseurs, une bonne partie des membres de l’AFCI disposent d’une certaine séniorité : Safran Consulting est né en 2004 et SNCF Consulting en 2007, par exemple.
Les 34 membres de l’AFCI sont issus principalement des secteurs banque et assurance, des transports et de l’énergie, mais aussi de la grande distribution, de l’automobile, l’aérospatial, la défense et la sécurité — avec des entités telles que BMP Conseil (Allianz) ou la Direction Transformation Office d’Axa, RATP Consulting, le Conseil interne des Mousquetaires, celui de Michelin ou encore Thales Consulting.
Si les « maisons-mères » du CAC 40 sont majoritaires, elles ne sont pas exclusives. Les structures mutualistes et publiques sont nombreuses également : MGEN (Projets et Transformation Opérationnelle) et Matmut (Conseil interne de la Matmut) entre autres, ou la DITP (Agence de conseil interne de l’État) et Bpifrance (Conseil aux Directions et Lean Management).
Au-delà de la dynamique de croissance à laquelle « contribuent les récents messages de l’État » selon Sébastien Delahaie, l’AFCI se montre proactive en allant à la rencontre des organisations disposant de structures de conseil interne pour leur proposer de partager leurs pratiques avec leurs consœurs.
Quant à ses adhérents, s’ils développent des entités de conseil interne en leur sein, ce n’est pas uniquement pour réduire leurs dépenses de conseil externe d’après le président de l’AFCI, même si cela reste l’un des objectifs. « Souvent, dans les entreprises, le passage dans une structure de conseil interne constitue un tremplin pour les collaborateurs » — et une richesse pour l’organisation. Le prix du conseil interne reste toutefois un gros avantage (sur la stratégie, moitié moindre par rapport à la tarification des MBB), alors qu’il n’a pas « à rougir de la qualité de ses livrables sur ses offres de service », selon Sébastien Delahaie.
Quels champs d’interventions pour le conseil interne ?
Historiquement, il s’est concentré sur « l’opérationnel, le lean et l’amélioration de la performance », comme en témoignait le DG de l’entité-conseil interne de Renault en 2012 sur Consultor.
Aujourd’hui, le marché du conseil interne porte essentiellement sur la transformation, l’excellence opérationnelle et l’accompagnement du changement. Selon l’enquête annuelle réalisée par l’AFCI auprès de ses adhérents, en 2023, la stratégie a ainsi représenté 9 % des projets, contre 36 % pour l’organisation et la transformation. « Certaines entités commencent toutefois à être à la manœuvre de la stratégie de leurs organisations, comme BNP Paribas — CIB Consulting & Transformation, clairement positionné dessus et souvent très bien placé dans les classements », fait observer Sébastien Delahaie.
Par ailleurs, au niveau du modèle économique, toujours selon l’enquête annuelle de l’AFCI, « un tiers des entités de conseil interne sont des centres de profit [avec proposition et facturation de leurs services, comme un cabinet de conseil externe, ndlr] et deux tiers des centres de coût [ne pratiquant pas de facturation de leurs services, ndlr] ». Côté rattachement, certaines entités sont reliées à la DRH, d’autres au pôle financier et d’autres encore à l’IT.
Type de profils et « passerelles » internes
Le passage du conseil externe au conseil interne semble fluide, comme en témoigne le parcours de l’ancien responsable de BNP Paribas CIB Consulting & Transformation, Cosmin Dragan (de 2015 à 2023), qui avait fortement contribué au développement de l’entité à partir de 2010. Sachant que, de 2007 à 2010, il était manager chez CVA, après avoir débuté sa carrière comme consultant au sein du bureau de Bucarest de Roland Berger.
Pour Sébastien Delahaie, « le fait que des consultants externes rejoignent les entités internes contribue à la richesse des équipes. La complémentarité externe/interne s’exprime dans le staffing, soit via des profils de personnes ayant exercé un métier dans la banque, l’assurance, etc., avant de se tourner vers le conseil interne, soit via des profils de consultants externes déjà rompus à l’approche et à la méthodologie du consulting. Toutefois, certaines structures recherchent exclusivement des profils en interne ».
Par ailleurs, dans les entités de conseil interne, un engagement de 3 ans est fréquemment mis en place, au terme duquel la consultante ou le consultant doit rebondir. Ainsi, « la montée en compétences sur de l’excellence opérationnelle, de la conduite du changement ou de la gestion de projet peut ensuite être diffusée plus largement au sein d’une structure opérationnelle, commerciale ou financière », par l’ex-consultante ou consultant. L’itinéraire de Cosmin Dragan, déjà mentionné, le montre : il est désormais responsable de la transition ESG au sein de BNP Paribas CIB « tout court » (Global Banking).
Quid de l’attraction des talents ? « Sans être les Big Four ni les MBB, les entités de conseil interne de Société Générale, Engie, Axa, Allianz, BPCE, BNP Paribas, SNCF, Michelin, Safran ou Total Énergies peuvent capitaliser sur leur nom, leur savoir-faire et les parcours qu’elles proposent. » Si cet aspect « parcours » est accentué au sein des structures de taille significative, les petites donnent aussi la possibilité de rebondir. Selon Sébastien Delahaie, c’est le cas de Conseil Interne & Organisation (CIO), l’entité dédiée de Mutex qu’il pilote et qui ouvre ensuite à des carrières chez les différents acteurs du groupe VYV dont Mutex fait partie (Harmonie Mutuelle, MGEN…).
Au-delà de l’existence de ces passerelles, le niveau de rémunération n’est pas le même dans le conseil interne ou externe, et l’équilibre des temps de vie non plus. Le métier lui-même n’est pas axé sur la vente en interne. Bref, il y a des points forts et des points faibles, auxquels les jeunes recrues doivent réfléchir en amont en fonction de leurs aspirations.
Le conseil interne est-il l’avenir du conseil tout court ?
En ce qui concerne l’État, malgré les efforts en cours et les redéploiements opérés (les Inspections générales pouvant être mobilisées pour leur expertise-conseil, au-delà de la seule Agence de conseil interne de l’État), l’interne n’a pas vocation à répondre à l’ensemble des besoins, mais plutôt à faire du conseil externe un « dernier recours » — ou un appui, avec des équipes mixtes de chargés de projet (conseil interne) pilotant des consultants externes. C’est ce que révèlent l’étude des fiches de poste publiées par l’Agence en question et/ou les propos de sa responsable, Clotilde Reullon. Le fait que les cabinets de conseil privés n’aient pas réduit de façon drastique leurs équipes Secteur public — d’après les informations qu’ils partagent — plaide aussi en ce sens. Il n’en reste pas moins que l’AFCI a été contactée par un premier ministère ces derniers mois, puis par un second tout récemment, « lesquels montent ou vont monter leur cellule de conseil interne », indique Sébastien Delahaie.
Quant aux cabinets de conseil interne intégrés aux grandes entreprises privées ou publiques, leur essor ne rend pas non plus caduque la mobilisation du conseil externe. Selon l’enquête 2023 de l’AFCI déjà évoquée, 65 % des entités de conseil interne adhérentes déclarent avoir « travaillé avec un cabinet de conseil externe en 2023 ». En cas de projets communs, les configurations observées sont, dans 85 % des cas, des équipes mixtes conseil interne/externe. Sébastien Delahaie souligne que cela permet « un apport extérieur — quand il y a des problématiques de charges/capacités ou de compétences spécifiques sur certains sujets —, une montée en compétences des équipes internes comme déjà évoqué, et une continuité une fois la mission achevée ».
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