L’esprit start-up des entrepreneurs du conseil
Fonder un cabinet qui finit par compter sur la place. Un rêve ?
Pas pour ceux que nous avons interrogés. La chance n’est pas étrangère à l’affaire. Mais elle sourit aux audacieux. Il n’y a pas qu’une recette, évidemment. Les témoignages dessinent des visions et des voies très distinctes, qui ont cependant en commun un attachement à une culture propre… et une forte ambition.
La fenêtre de lancement
Olivier Dupin, cofondateur et managing partner d’Ares and Co, spécialisé dans les services financiers, s’est lancé en 2009, quand la planète tremblait encore suite au cataclysme Lehman Brothers. L’idée : une boutique pour faire du sur-mesure. Les hommes : lui et Antoine Desjars, croisé quelques années plus tôt sur une mission pour le secteur aéronautique. L’opportunité : la crise elle-même, qui a provoqué un renouvellement quasi intégral des états-majors, grâce auquel « les chances étaient désormais les mêmes pour tout le monde ». Il a préféré tenter le coup et ne pas s’endormir sur ses lauriers chez Roland Berger, où il était entré comme partner début 2007. « Il n’y a qu’une fenêtre pour le faire, autour de la quarantaine. La seule question, à ce moment-là, c’est : est-ce que mes clients vont me suivre ? Autrement dit, est-ce que j’ai une valeur propre au-delà de celle de la marque que j’ai portée jusque-là ? »
L’ambition ? Délivrer un service avec un haut degré d’expertise, miser sur la stratégie et accompagner les institutions financières dans leur développement international. Cette logique haut de gamme suppose d’avancer pas à pas. « Nous cherchons à avoir entre six et neuf bureaux, qui couvrent les grandes places actuelles et futures. Nous avons démarré à Paris, puis immédiatement après à Londres. Maintenant, nous sommes sur un rythme d’un nouveau bureau tous les trois quatre-ans. Entre deux en Amérique du Nord, deux ou trois en Asie, un dans le Golfe, deux sur d’autres places intermédiaires comme la Russie ou l’Afrique du Sud, on y arrive finalement assez vite. » Non sans un sourire, il ajoute : « normalement, cela nous occupera jusqu’à notre retraite ». Car l’indépendance est aussi une manière de retrouver le plaisir du métier : « dans une petite structure, on se débarrasse des scories, cette couche de travail qui n’est pas toujours agréable, de politique, de complexité, pour se concentrer sur ce qu’on aime faire : apporter de la valeur ajoutée à nos clients. De quoi s’éclater encore pendant quelques années. »
Les nouveaux fabricants du conseil
Un petit groupe de partners, autour de la quarantaine, qui saisissent une opportunité, en sécurisant leurs grands comptes, pour devenir les « rainmakers » de leur propre boîte, plutôt que le quarantième partner parisien parmi les centaines mondiaux d’un McKinsey ou d’un BCG. Dans le conseil aux directions générales et en stratégie, cela semble être le récit type de l’aventure entrepreneuriale. Paris a cependant vu s’imposer dans les années 2000 une nouvelle race de fondateurs de cabinets de conseil : de purs entrepreneurs. « C’était un métier très peu entrepreneurial, qui va le devenir de plus en plus car il va nécessiter plus de capitaux », assure ainsi Matthieu Courtecuisse, à 41 ans jeune président de SIA Partners et auteur d’un livre, La fabrique du conseil, où il résume son expérience.
Avec deux amis, il s’est lancé en 1999, la fleur au fusil, tout juste sorti d’école et passé par la Banque mondiale. Dès 2001, il se donne pour ambition de devenir le numéro 1 des cabinets de conseil en management indépendant. « J’avais 26 ans quand j’ai créé SIA Partners. C’était compliqué de recruter des gens plus expérimentés que soi. Mais à 40 ans, l’avantage quand on est arrivé à cette taille, c’est qu’on a le temps pour développer un vrai projet industriel. » Son cabinet compte aujourd’hui 500 consultants et 12 bureaux, pour 75 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2013. « Dans la plupart des cas, ce sont d’anciens partners ou senior partners qui créent leur cabinet. Pour nous, ça n’était pas un détournement de carnet d’adresse. C’était plus un concours de circonstances. » Il concède avoir eu de la chance : le marché est entré en crise en 2002. Heureusement, SIA avait misé sur les problématiques réglementaires dans le secteur bancaire et l’énergie, au moment même où elles prenaient de l’ampleur – et où l’affaire Enron provoquait un désinvestissement des Big Four dans le conseil.
Survivre à la phase de lancement n’est pas tout. Matthieu Courtecuisse s’est mis à rêver tout haut de bâtir un Roland Berger français. Un objectif très ambitieux qui demande des efforts sur deux axes. La diversification, d’abord, à laquelle il a fallu s’atteler très tôt. « Il s’agit de diversifier son offre. Cette étape est plus difficile encore. Le tropisme monosectoriel de la plupart des boutiques qui se créent les rend très fragiles. » Sa priorité va désormais à l’internationalisation. « Le principal défi au stade où nous en sommes, c’est de devenir vraiment binational, en atteignant la centaine de consultants sur un autre marché que la France. Nous n’y sommes pas encore. A Paris, nous en avons plus de 300, à New York, notre deuxième bureau, 40 seulement. » Diversification et internationalisation sont quoi qu’il en soit intimement liées : « il faut incuber des practices sectorielles en France et les déployer sur notre réseau. En revanche, tout n’est pas possible depuis Paris. Par exemple, il y a un marché high tech énorme aux États-Unis qu’il n’y a pas en France. »
A ce stade, la croissance exige donc des capitaux. Le private equity ? Les fonds d’investissements entrés au capital de cabinet ont rarement laissé de bons souvenirs. Une IPO ? « Une sortie en bourse n’est pas évidente. » Restent donc les banques, difficiles à convaincre du fait de la volatilité des revenus dans le secteur. SIA les a décidées grâce à sa rentabilité. « Nous sommes parvenus à faire un LBO sans fonds d’investissement, en levant 15 millions d’euros de dette bancaire. Il y a même des solutions intermédiaires, comme l’a montré notre levée de trois millions d’euros auprès des salariés. Il faut sortir de la dichotomie entre entreprise et profession libérale. Un cabinet, ça se pilote comme une entreprise classique, avec une vision à long terme et un projet industriel. » Une fois trouvé le carburant, encore faut-il avoir le bon moteur. « La structure actionnariale nous permet d’avoir une vraie dynamique industrielle. Même si nous sommes 16 partners-actionnaires, je suis majoritaire. Je suis à la fois investisseur, financier et dirigeant. Dans d’autres cas, c’est parfois difficile de convaincre tout le monde quand il faut sortir vingt millions d’euros pour créer un bureau à l’étranger. »
Partenaires entrepreneuriaux
Valérie Ader, présidente de Colombus consulting, témoigne d’un autre parcours. Cette équipe a crû avec régularité, depuis sa fondation, elle aussi en 1999, pour atteindre aujourd’hui 130 consultants et 23 millions d’euros de chiffre d’affaires. Encore une fois, le besoin de capitaux s’est rapidement fait sentir. « L’objectif était double pérenniser le cabinet et résister aux convoitises, parce qu’on voulait que le cabinet continue un jour sans les principaux associés-fondateurs. » La solution finalement trouvée est originale.
Un fonds ? Non, surtout pas. Une banque, donc ? Mieux ! Un partenaire qui entre au capital et mise sur l’entreprenariat. « Neurones nous avait déjà fait plusieurs propositions. D’abord ce n’était pas le moment, puis nous étions persuadés qu’il voulait tout racheter. En fait, ce n’était pas du tout son modèle. Il a pris la majorité des parts en 2008. Il fait le banquier, en nous aidant à faire monter nos nouveaux associés au capital. Nous restons les rois chez nous. Et il en tire un retour évident : cela valorise leur cours de bourse, comme les autres sociétés qu’ils possèdent. La seule différence pour nous, c’est qu’on est consolidés chez eux. Il n’y a pas de recherche de synergies : c’était une condition sine qua non. Ce n’est pas un mécène. Le modèle de Luc de Chammard, le principal actionnaire de Neurones, c’est l’entreprenariat. »
Le développement n’est pas toujours le problème le plus difficile à gérer. Comme nous le confie Valérie Ader, « l’autre grosse problématique des cabinets, c’est le changement de génération. » Un partner d’un cabinet parisien souligne à ce sujet l’importance de perpétuer l’esprit collectif initial de l’aventure entrepreneuriale, à l’opposé de certains cabinets où le fondateur devient trop « solaire » et se révèle incapable d’organiser sa succession. Valérie Ader croit elle-aussi indispensable d’entretenir cette culture collective. « Nous sommes les héritiers d’Altis, un cabinet qui a été racheté par Ernst et dont provenaient la plupart de nos associés fondateurs. Pendant une grande partie de notre histoire, nous n’avions aucun grade. La liberté donne la responsabilité. On a gardé un peu de cet aspect décalé. L’environnement de travail est une pâte à modeler dans les premières années d’un cabinet. Chacun en arrivant va déformer le modèle, construire une aile. A partir, de 100-120 consultants, ça se retravaille. »
Jérémy André pour Consultor, portail du conseil en stratégie
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