Le conseil à l’heure du déconfinement
Entre soulagement et inquiétude, certains cabinets ont rouvert leurs portes à une petite partie de leur staff lundi. Soulagement parce que certaines missions donnaient des signes de reprise depuis que la date de déconfinement avait été fixée au 11 mai.
Inquiétude parce que le mois de mai, comme le mois d’avril, devrait se clôturer sur un recul de 40 % en moyenne de l’activité. Dans ce marasme, certains tirent leur épingle du jeu. D’autres accusent le coup. La vingtaine de clients interrogés par Consultor ne pipe mot. Et la guerre des prix est engagée. En attendant de possibles rapprochements. Enquête sur une drôle de rentrée.
Les bureaux dans lesquels Ylios s’était installé au 1er janvier 2020 au 105 de l’avenue Raymond Poincaré, dans le 16e arrondissement de Paris, ne seront pas restés ouverts très longtemps jusqu’à l’entrée en confinement.
Réouvertures de bureaux
Ils reprennent très doucement vie depuis lundi 11 mai et le début officiel du déconfinement en France. Les consultants qui le souhaitent peuvent en effet y venir travailler.
« Certains consultants n’en pouvaient plus d’être enfermés dans de petits appartements. Nous avons limité les espaces de travail accessibles pour éviter toute concentration de personnes », explique Fabrice Catala, partner chez Ylios.
Ils sont plusieurs cabinets à en faire de même. Chez Cepton, les bureaux ont été rouverts lundi, mais ils sont pour l’heure totalement vides. À terme, 30 % des effectifs devraient y venir, dans des conditions drastiques de sécurité sanitaire.
Chez GSG par KPMG, le télétravail reste la règle absolue pour tous. Mais là aussi les deux étages dans lesquels l’équipe s’est installée en janvier n’avaient pas servi bien longtemps. Ils ont rouvert avec le même cahier des charges que pour tout le staff KPMG : 50 m2 par personne, pas plus de sept consultants et un partner dans les locaux en même temps, deux masques par jour au moins et du gel hydroalcoolique dans tous les coins.
Une soupape de décompression bienvenue pour certains collaborateurs chez qui le compartimentage entre vie professionnelle et vie personnelle est plus dur, voire impossible à tenir en période de confinement. « Certains collaborateurs travaillent H24 et moulinent à jet continu chez eux. Ils ne le vivent pas toujours bien », explique un managing partner qui, pour des raisons politiques vis-à-vis des collaborateurs de son cabinet, n’a pas souhaité être cité pour ces propos.
– 40 % en avril et mai
Pour tous, le déconfinement n’a de reprise que le nom. Dans le baromètre que le Syntec Conseil, qui représente le secteur du conseil en France, établit depuis le 10 mars et actualise tous les quinze jours, le curseur de recul de l’activité se situait à – 40 % en avril. 120 cabinets de tout type de conseil y répondent, dont environ vingt cabinets de conseil en stratégie (notamment Estin, L.E.K, Mars et Bain).
« La réalité est de cet ordre-là et l’étiage devrait être le même en mai. Certes, il y a des missions en réaction au virus, mais elles ne compensent pas du tout celles perdues. À la différence de 2008 où tout le monde n’était pas touché de manière égale par la crise, là 95 % des sociétés de conseil ont mis en place du chômage partiel pour 30 % de leurs effectifs en moyenne. Seules quelques boutiques micro ou hyper spécialisées échappent au ralentissement », détaille Matthieu Courtecuisse, le CEO de Sia Partners et président du Syntec Conseil.
Camaïeu de gris
Des niches à contre-courant, à l’instar de Courcelles Conseil. « De manière étonnante, quoique ce fut déjà le cas en 2008 (le cabinet a été créé en 2004, NDLR), nous n’avons pas été touchés, nous n’avons pas perdu d’activité et avons même vendu des projets au cours du confinement. C’est un résultat qui est très lié à notre taille – nous sommes une vingtaine au total –, et au relationnel direct que nous entretenons avec nos clients », témoigne Pascal Procureur-Chaix, partner chez Courcelles Conseil.
Même son de cloche, dans une moindre mesure, chez INDEFI : « Nous étions sur des taux de staffing qui pouvaient ponctuellement dépasser 100% avant la crise, nous sommes à plus de 90% aujourd'hui. Nous n'avons pas réellement connu de baisse d'activité, plutôt un ralentissement de notre croissance, qui était soutenue ces dernières années. Même dans un contexte difficile lié au confinement et qui ne facilite pas le développement commercial, des missions démarrent », témoigne Agnès Lossi, partner chez INDEFI.
Une certaine résilience « pour plusieurs raisons, selon Julien Berger, managing partner d’INDEFI : la diversité des acteurs que nous servons, gros institutionnels, sociétés de gestion d’actifs généralistes, boutiques de private equity ; la nature des projets, dans un contexte de crise, nous accompagnons nos clients sur des missions de réflexion sur leur positionnement, sur leur développement post crise et sur la meilleure manière d’intégrer la dimension 'sustainability' dans leur approche d’investisseur. Par ailleurs, dans l’univers du non coté, les corporates poursuivent leurs acquisitions sur des cycles temporels moins contraints et moins dépendants du marché du financement, tout particulièrement dans des secteurs qui devraient prouver leur capacité de résistance comme l’éducation, l’édition de logiciels, la santé, l’agroalimentaire et bien sûr les services financiers ».
D’autres entérinent plus franchement une baisse d'activité, qui s'est avérée temporaire. « Sur la période, les choses ont bougé très vite : mise en suspens de projets corporate, arrêt de certains deals private equity : la prise de commandes nettes de fin mars n'aura franchement pas été bonne », lâche Éric de Bettignies, partner et cofondateur d’Advancy.
Un léger soulagement
Pourtant, depuis que la date de déconfinement a été fixée au 11 mai, le marché est sorti d’une certaine torpeur. C’est le cas chez Cepton. Après deux mois où le cabinet a vu son activité reculer sensiblement et creuser un manque à gagner qui devrait se chiffrer à – 30 % de chiffre d’affaires en fin d’année, de nouvelles missions se font jour. « Stratégie, R&D, lancement de produits : après la sidération du début du confinement où plus rien ne se passait, les clients sortent la tête de l’eau », témoigne Jean Reboullet, managing partner de Cepton.
« Pour le mois de mai, nous voyons un retour petit à petit vers l’activité de l’année dernière en prise de commandes, ce qui est une belle performance même si encore en deçà de notre forte croissance de début d’année », appuie aussi Éric de Bettignies.
Un « retour petit à petit » que l’associé d’une unité de conseil en stratégie d’un Big Four explique du fait que « les directions d’entreprise avaient la tête dans le guidon et ont maintenant pris leurs dispositions sur le déconfinement. Il y a moins d’attentisme, on en revient à des questions à six ou neuf mois : Est-ce que je dois revoir mon plan stratégique ? Conserver ou diminuer mes investissements ? Pas plus tard que lundi, un client nous demandait de l’aider à estimer si ses capacités de production sont les bonnes. Idem de cet autre grand corporate qui réfléchit à un plan de transformation de son activité qu’il veut annoncer d’ici trois semaines ».
L’amorce d’une nouvelle dynamique que nous confirme enfin un des très rares acheteurs de missions de conseil qui a accepté de nous répondre, dans un des principaux fonds de private equity français.
« Nous n’avons pas arrêté de travailler avec des consultants parce que la crise est intervenue : les missions en cours ont été poursuivies et de nouvelles ont été lancées. C’est la nature des travaux qui a changé. Nous nous sommes davantage concentrés sur de l’optimisation et moins sur des acquisitions. Très probablement que certains deals que des banquiers auraient pu nous présenter en temps normal ne nous ont pas été proposés. Par conséquent, nous avons lancé moins de due diligences avec des consultants. A contrario, certains sujets pompiers, tels que l’optimisation de trésorerie, de P&L ou d’accélération du digital, des axes identifiés de manière ancienne, sont devenus plus centraux et immédiats. Cet équilibre change à nouveau depuis une semaine ou deux et nous pouvons à nouveau refaire un peu plus de stratégie, parce qu’un certain nombre d’opportunités sont en train de se rouvrir », analyse cette source.
Voguer secteur par secteur et sujet par sujet pour ne pas couler
L’embellissement ne sera que ponctuel pour le moment, tant la tendance structurelle du marché restera encore en berne pour de longs mois. « L’équation des mois à venir est la suivante : arrêt des mesures de chômage partiel au 1er juin, recul de l’activité que nous attendons encore à 40 % en mai puis, à partir du mois de juin, reprise de 5 à 7 % par mois avec un retour à la normale en octobre », anticipe Matthieu Courtecuisse.
Ce sera donc ensuite du cousu main secteur par secteur, sujet par sujet – comme dans les jeux vidéo ou le retournement – pour bien se positionner.
« Par exemple, dans la banque, l’augmentation très importante du risque lié aux crédits accordés aux entreprises du fait des mesures de soutien à l’économie décidées par le Gouvernement va générer une forte contraction budgétaire, beaucoup plus nette que dans l’assurance. Les compagnies d’assurance ont bénéficié d’une très faible sinistralité automobile, quoique l’assurance-vie a pâti d’une moindre épargne », analyse par exemple Pascal Procureur-Chaix chez Courcelles.
« Dans les transports et le tourisme, les équipes des entreprises acheteuses sont dans leur immense majorité au chômage partiel. Dans ces secteurs-là, de toute évidence, tous les consultants ont du mal à trouver des mandats parce que leurs interlocuteurs ne travaillent pas. Pareil dans l’hôtellerie, marasme ! Dans l’automobile, c’est moins sévère que ce que j’avais envisagé : des missions sur l’innovation et l’investissement continuent à courir », dit encore Matthieu Courtecuisse.
Prévoir donc un été, un automne puis un hiver des plus rigoureux. Ce qui ne surprendra personne. « Nous ne sommes pas naïfs. Nous savons que les “reprévisions” budgétaires des clients à la rentrée de septembre vont probablement avoir un effet sur les dépenses de conseil et qu’il y aura des ajustements. Mais pour l’instant, nous n’avons aucun signe avant-coureur », confirme Fabrice Catala.
« La vague deux, ce sera en septembre quand vont se matérialiser les mesures d’économies que nos clients vont prendre. Chaque fois que l’on assiste à ces crises, les dépenses les plus faciles à couper sont les dépenses externes, dont le conseil fait partie. À ceci près cette fois que la généralisation du télétravail a marqué les esprits. Certaines entreprises rogneront peut-être aussi sur les dépenses immobilières en réduisant la superficie de leurs locaux », pondère Pascal Procureur-Chaix.
Nervosité ambiante
En attendant, une certaine nervosité plane dans l’air. Parce que bien malin celui qui pourrait dire quand une vraie reprise pourrait se dessiner, dans un contexte sanitaire si volatil. « + 5 % par mois, difficile de se positionner au mois le mois, mais sur les prochains trimestres, cela me semble une vision optimiste de la reprise. Dans le non coté, le volume de transactions ne devrait pas retrouver un niveau normatif avant mi-2021 au plut tôt » avance Julien Berger chez INDEFI.
En coulisses, beaucoup de discussions ont lieu – pas toujours des plus agréables. Parce que si nombre de missions se sont arrêtées pendant le confinement, certains arrêts brutaux n’ont pas toujours été bien compris. « Les clients ont suspendu nombre de missions indiquant qu’elles reprendraient lors du déconfinement. Mais comme le déconfinement a lieu sans avoir lieu, les clients restent très prudents », explique Matthieu Courtecuisse.
Conséquence immédiate pour les missions qui se poursuivent ou sont nouvellement signées : la pression sur les prix est maximale. « Nous avons vu des confrères baisser leurs prix de 70 % et en plus prétendre à leurs clients que c’était par solidarité pour eux en “ne leur facturant pas de marges en ce moment de crise pour tout le monde mais juste les coûts”. N'est-ce pas un manque de respect pour eux-mêmes autant que pour leurs clients ? », tance Éric de Bettignies.
Le phénomène n’est pas isolé comme tous nos interlocuteurs nous l’ont confirmé. À l’exemple de cette mission close en janvier sur laquelle un client au moment de la régler récemment demande 20 % de remise. « Je préfère garder un lien avec certains clients quitte à revoir sensiblement nos tarifs à la baisse pour le moment », confesse même anonymement un associé.
Avec pour ceux qui n’y arriveraient pas de possibles réductions d’équipes à la clé – quoiqu’aucun cabinet n’envisage cette option dans un futur proche. Ou des absorptions d’entités fragilisées par celles qui tiendraient mieux la route. De possibles mouvements de marché que tout le monde anticipe. « Les rapprochements ont toujours été dans le champ des possibles, ni plus ni moins qu’avant », pour Julien Berger chez INDEFI.
Du moins, une chose est claire : pas d’embauches à prévoir avant un bail : « La stratégie pour tous est de remettre un maximum des équipes actuelles au travail avant d’embaucher de nouveaux collaborateurs », prévient Matthieu Courtecuisse.
Comme chez Ylios où consultants et consultants seniors, le bas de la pyramide hiérarchique, resteront au chômage partiel deux jours par semaine le plus longtemps possible. Pour se donner du temps.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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commentaires (1)
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France
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.
- 15/10/24
Début octobre, deux nouveaux partners ont disparu de la liste des associés de la Firme : Guillaume de Ranieri, poids lourd du cabinet où il évoluait depuis 24 ans, et Xavier Cimino, positionné sur une activité stratégique.
- 07/10/24
Doté d’un parcours dédié presque exclusivement au conseil (BCG, Kearney, Accenture - entre autres), Mathieu Jamot rejoint le bureau parisien de Roland Berger.
- 03/10/24
Depuis avril 2024, les arrivées se succèdent : après Jean-Charles Ferreri (senior partner) et Sébastien d’Arco (partner), Thierry Quesnel vient en effet renforcer les forces vives, « pure strat » et expérimentées, d’eleven.
- 02/10/24
Minoritaires sont les cabinets de conseil en stratégie à avoir fait le choix de s’implanter au cœur des régions françaises. McKinsey, depuis les années 2000, Kéa depuis bientôt 10 ans, Simon-Kucher, Eight Advisory, et le dernier en date, Advention… Leur premier choix, Lyon. En quoi une vitrine provinciale est-elle un atout ? La réponse avec les associés Sébastien Verrot et Luc Anfray de Simon-Kucher, respectivement à Lyon et Bordeaux, Raphaël Mignard d’Eight Advisory Lyon, Guillaume Bouvier de Kéa Lyon, et Alban Neveux CEO d’Advention, cabinet qui ouvre son premier bureau régional à Lyon.
- 23/09/24
Retour sur la dynamique de croissance externe de Kéa via l’intégration capitalistique de Veltys – et le regard du PDG et senior partner de Kéa, Arnaud Gangloff.
- 23/09/24
Astrid Panosyan-Bouvet, une ancienne de Kearney, et Guillaume Kasbarian, un ex de Monitor et de PMP Strategy, entrent dans le copieux gouvernement de Michel Barnier, fort de 39 ministres et secrétaires d’État. Bien loin des 22 membres du premier gouvernement Philippe ; ils étaient 35 sous le gouvernement Attal.