Le cost killer Musk fait-il des émules en France ?
Cost killing. Après l’avoir mis en pratique au sein de X, de Tesla et de SpaceX, Elon Musk l’annonce comme sa future success-story à la tête de l’efficacité gouvernementale. Un buzz mondial. La méthode « à la hache » muskienne fait elle des émules parmi les dirigeants français en mal de productivité dans un contexte économique et géopolitique actuel pour le moins instable ? Veulent-ils, peuvent-ils s’en inspirer ? Le point de vue de quatre partners de cabinets intervenants sur la délicate question de réduction des coûts : Alban Neveux d’Advention, Romain Grandjean d’Avencore, Paul-André Rabate de CVA, et Thomas Chevre de Strategia Partners.
Sous quelques semaines, le gouvernement Trump aura un nouveau ministre de l’Efficacité gouvernementale, et pas des moindres. Le milliardaire sud-africain, canadien et américain Elon Musk, à la tête de X (ex-Twitter), de SpaceX et de Tesla, compte bien s’inspirer de ses méthodes radicales de cost killing expérimentées dans ses entreprises afin de réduire de 30 % le budget fédéral américain en 18 mois. « Le système américain est plus développé, beaucoup plus flexible. C’est ce qui fait sa force d’ailleurs. Musk adapte le principe de Schumpeter de destruction créatrice et l’applique avec vigueur. Et ça marche plutôt bien. Mais avec notre casquette sociale européenne, nous regardons cela avec effroi », constate Alban Neveux d’Advention.
Une méthode au scalpel
En effet, en 2018, suite à des problèmes de production de Tesla, Elon Musk veut mettre fin à « l’enfer productif » et campe littéralement durant plusieurs semaines dans deux usines de Tesla pour revoir la totalité des process, au détail près. « Il débarque dans une usine avec trois ou quatre lieutenants passant jour et nuit à observer chaque étape du processus de fabrication avec une obsession : simplifier, accélérer, supprimer. C’est du lean manufacturing à haute intensité, raconte Romain Grandjean d’Avencore. Pas de spécifications, pas de justification technique de la conception : on assemble un nouveau composant, on teste, on observe et on itère. Avec cette approche, un test raté fait partie du quotidien et permet d’avancer. Cette culture du risque, dans laquelle on se relève même d’un lancement raté, rompt avec les habitudes du secteur ».
Une méthode qui a évolué au fil du temps d’après Alban Neveux d’Advention. « Il a eu deux approches, l’une brutale avec Twitter/X (en 2022, lors de son rachat, ndlr) où il a réduit de 80 % le staff, un cas unique. Sur ses autres activités, comme SpaceX, par exemple, la nouveauté, c’est qu’il n’a pas cassé, mais a repensé totalement sa façon de faire les choses à partir d’une feuille blanche. C’est beaucoup plus difficile lorsque l’on s’appuie sur du legacy. » Une nouvelle approche teintée de la classique technique Budget Base 0, donc, « une approche très traditionnelle qui revient et vient compléter d’autres méthodes (benchmarks, comparaison historique…) », selon Thomas Chevre de Strategia.
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Longtemps utilisé en sourdine, le Budget Base Zéro (BBZ) bénéficie d'une attention particulière des entreprises. Dans leur sillage, les cabinets de conseil rivalisent de rapports pour vanter leur méthode.
Trois mois. C’est le temps qu’il aura fallu à une équipe de consultants en stratégie d’entreprise parisiens pour mener à terme une mission de réduction des coûts au sein d’un groupe de médias français. Ce dernier, dont le nom n’est pas dévoilé par nos sources, est tenu de réduire ses structures de coûts pour répondre à un changement de modèle économique commun à tout le secteur : la baisse du lectorat sur papier.
Conséquence, chez Tesla, il n’a réduit « que » de 10 % ses effectifs au premier trimestre 2024…
La recette Musk, c’est une centaine de microdécisions par jour, une dérobotisation quand elle est jugée nécessaire et un « algorithme » en cinq étapes :
– remettre en question toutes les instructions et spécifications ;
– enlever un maximum de composants et de procédures ;
– simplifier ce qui reste ;
– accélérer chaque procédure ;
– automatiser.
Et ce, afin de doubler les cadences et de conserver son titre de premier producteur et vendeur de voitures électriques au monde. « La méthode fonctionne, Musk l’a très bien fait. Il a bien compris ce qui dans la chaine de valeur ajoute de la vraie valeur au client. Et puis, il a pris des paris, notamment pour SpaceX en ponctionnant ce qui était bien à la NASA une grande bureaucratie, et en en faisant une NASA lean. En revanche, chez X, par exemple, il a modifié la proposition de valeur », pointe le fondateur de Corporate Value Associates, Paul-André Rabate.
Un pur modèle made in USA
Ce qui fait aussi la spécificité de cette méthode à la fois de stratégie industrielle et d’innovation, pour Romain Grandjean d’Avencore, c’est que « l’intégration verticale de SpaceX permet d’importants gains d’efficacité grâce à l’élimination des interfaces client/fournisseur, particulièrement complexes dans le spatial. Au contraire, le spatial européen est marqué par un découpage horizontal de la chaine de valeur, d’où une multiplication des risques aux interfaces et un empilement des marges. Par ailleurs, maitriser la chaine de valeur permet de faire d’importants raccourcis dans les cycles de développement, en testant de nouveaux matériaux et de nouvelles géométries à un rythme soutenu. »
Un sujet redevenu prioritaire en France
Ce modèle radical de réduction des coûts donne-t-il des idées aux patrons français ? « On n’a pas attendu Musk pour que les entreprises françaises se mobilisent », tonne Alban Neveux d’Advention. Pour Thomas Chevre de Strategia, « les plans d’optimisation de ressources s’accélèrent au cours des derniers mois ». Et ce qui remet ce sujet sur le devant de la scène en France comme en Europe, c’est un effet de billard à trois bandes, avec une baisse constante de la productivité horaire depuis 2019, ce qui a fait chuter les rendements des coûts, et donc les marges. « Avec les incertitudes macro-économiques et géopolitiques que nous connaissons, la croissance ralentit et les marges se compressent. Certaines entreprises cherchent donc à retrouver des marges de manœuvre via une baisse différenciée des investissements, une optimisation des coûts structurels et une coupe dans les moyens moteurs des activités à plus faible potentiel, pour pouvoir maintenir les ressources dans les activités les plus porteuses », ajoute le cofondateur de Strategia.
Et la situation est extrêmement diverse selon les secteurs pour Romain Grandjean d’Avencore, qui observe « différents niveaux de maturité sur la compétitivité des coûts. Par exemple, le secteur automobile est très mature depuis longtemps, avec le Design-to-Cost intégré dans ses pratiques de conception. En revanche, d’autres secteurs de produits complexes sont moins matures d’un point de vue industriel et de compétitivité des coûts, comme la défense, le spatial, le nucléaire. Dans ces secteurs, il existe encore des gisements importants de compétitivité, car la pression sur les coûts est plus récente ».
La recette Musk à la sauce française ?
Pourtant, « couper à la hache » de façon indiscriminée et rapide dans la chaine de valeur serait « ridicule », selon Paul-André Rabate de CVA. Cette méthode serait applicable dans un contexte très précis, une urgence vitale absolue, à l’instar de la « chirurgie de guerre » lorsque la situation d’une entreprise est gangrénée, la gouvernance ayant tardé à agir. Mais pour ce consultant de 45 ans d’expérience, et un cabinet qui réalise un tiers de son chiffre d’affaires dans l’amélioration de la productivité, « cela ne veut pas dire des coupes drastiques dans les coûts », mais plutôt « des cycles de baisse de coûts réguliers inscrits dans une vision de pérennité à long terme ». Les États-Unis, la France, deux mondes, deux cultures. Ce cost killing à la « sauce » Musk ne pourrait pas s’appliquer à l’identique en France pour Romain Grandjean d’Avencore. « Dans ses entreprises, le turn-over est très fort, mais les salaires sont attractifs. En France, ces pratiques ne sont pas compatibles avec le Code du travail ou, du moins, coûteraient beaucoup plus cher – sans parler de l’aspect éthique, pour lequel chacun se fera son avis. » Last but not least, un chiffre circule sur la quantité d’accidents du travail chez Tesla, qui serait 30 % supérieure à la moyenne du secteur. Inenvisageable en France.
Cette méthode radicale ne peut pas s’appliquer en France, confirme Alban Neveux d’Advention, « au vu des contraintes réglementaires et sociales, pour le meilleur et pour le pire ». En revanche, quelques ingrédients peuvent être exportés selon ce partner, avec plusieurs leviers de réduction des coûts pour les entreprises, comme la gestion RH avec réduction des effectifs, l’optimisation du temps de travail et l’implication des collaborateurs, la rationalisation des achats, la baisse des coûts immobiliers, ou encore l’externalisation/mutualisation de fonctions. « Mais cela nécessite de la transparence, et il est aussi possible de rapprocher certaines initiatives de réduction de coûts, comme la baisse des dépenses d’énergie avec les enjeux de transition énergétique. Et un réel accompagnement humain, un véritable change management pour en limiter les conséquences, une bonne communication interne et externe pour expliquer les impacts positifs de cette réduction de coûts », clarifie Alban Neveux d’Advention. Et ce, afin d’anticiper les mouvements sociaux et les retombées médiatiques bien loin du buzz à la Elon Musk.
Une pincée de sel muskienne ?
Alors qu’est-ce qui pourrait être applicable de cette méthode musclée d’Elon Musk ? Dans un contexte instable et tendu rend plus que nécessaire une approche drastique de réduction des coûts, une question même fondamentale de survie pour certaines entreprises à court terme comme à moyen terme. Et ce, dans tous les secteurs. D’abord, une meilleure maitrise de la chaine de valeurs en la verticalisant et en la simplifiant. « Nous y avons travaillé pour plusieurs de nos clients, en particulier dans le spatial, en développant un satellite pour la première fois avec un schéma industriel beaucoup plus intégré », confirme Romain Grandjean d’Avencore. Et en rendant la supply chain davantage résiliente, notamment en travaillant son indépendance vis-à-vis de la Chine.
Mais aussi, à l’instar du modèle auto du design for manufacturing, travailler à un modèle intégré de réduction des coûts à tous les cycles de développement. Ou encore, dans certains cas, dérobotiser. « Il arrive que certains industriels soient allés trop loin dans la robotisation : des machines onéreuses, peu utilisées, chères à maintenir, et pesant lourd dans les dotations pour amortissement. Il ne faut pas avoir de dogme : si la machine peut être revalorisée et que le business case de cessions se tient, il faut stopper l’hémorragie », confirme Romain Grandjean d’Avencore. Et enfin, un autre levier qui pourrait inspirer l’Europe, selon ce partner, une politique salariale attractive, car il n’y a pas assez « de culture de la performance et du résultat, et des parcours de carrière pas suffisamment financièrement attractifs ».
Le cost killing à la Musk ne s’exportera donc pas tel quel en France, et c’est tant mieux, au moins socialement. Et l’on ne saura certainement jamais si le jeune ministre (en sursis) de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian (un ancien manager de PMP Strategy), qui avait « hâte de partager » avec son « homologue » Elon Musk, « les meilleures pratiques pour lutter contre l’excès de bureaucratie », aurait pu réellement mettre en œuvre la recette Musk pour « dégraisser le mammouth ».
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