Le développement durable, parent pauvre du conseil en stratégie ?
À l’heure où le gouvernement planche sur une éventuelle réforme de l’objet social des sociétés, quelle place occupe aujourd’hui le développement durable dans la stratégie des entreprises françaises et dans les missions des cabinets de conseil en stratégie ? État des lieux.
Alors que le président Emmanuel Macron a délivré dans son discours à Davos fin janvier un véritable plaidoyer pour une croissance plus inclusive, où en sont les entreprises françaises sur le terrain du développement durable ?
Fini le green washing ?
« En l’espace de cinq ans, dans les grandes entreprises et les grosses PME, on est clairement passé dans ce domaine de l’amélioration des process existants à la reconfiguration des modèles économiques, avec des changements qui peuvent être radicaux, explique Fabrice Bonnifet, directeur Développement durable & Qualité-Sécurité Environnement (QSE) du Groupe Bouygues. Les entreprises ont pris conscience, en particulier les conseils d’administration, de la nécessité d’adopter des modèles tournés vers la frugalité et le partage et des modes de développement plus respectueux des écosystèmes et des inégalités. Je pense que la transition va prendre un peu de temps, que nous allons devoir cohabiter encore quelque temps avec les deux modèles, l’ancien et le nouveau, mais qu’il n’y aura pas de retour en arrière. »
« Il y a encore une dizaine d’années, le développement durable n’était pas perçu comme un élément fondamental de la stratégie de l’entreprise, c’était surtout un sujet de communication et de marketing, voire de réglementation et de reporting, la dimension économique était peu prise en compte et il était donc assez difficile de vendre du conseil en stratégie dans ce domaine, relève Emmanuel Julien, ancien directeur industriel d’Air Liquide, directeur général d’ENEA Consulting depuis 2012, cabinet spécialisé dans la transition énergétique. Cela a complètement changé à partir du moment où le développement durable a été perçu comme une opportunité – ou un risque – économique. »
Un engagement à dimension variable
La portée réelle de cet engagement demeure néanmoins très variable. « 35 à 40 % des entreprises ne s’y intéressent que pour être en conformité avec la réglementation, pour ne pas se laisser distancer par leurs concurrents, et pour donner le change, au marché et aux clients, explique Didier Livio, associé responsable de Deloitte Développement Durable depuis le rachat en 2015 du cabinet qu’il avait fondé, Synergence, par Deloitte. Mais pour une autre catégorie – de plus en plus importante – d’entreprises, le développement durable constitue aujourd’hui une brique importante de leur stratégie globale. Et on observe depuis trois ou quatre ans l’émergence d’une troisième catégorie d’entreprises – encore très minoritaire – dont toute la stratégie est repensée via le prisme du développement durable, ce qui suppose souvent une modification radicale de leur modèle économique sur des temps de transformation longs. »
Si certains secteurs connaissent depuis plusieurs années une forte pression réglementaire (le bâtiment, les transports) ou sociale plus récemment (l’agroalimentaire, le retail), une nouvelle demande de conseil émane aujourd’hui des institutionnels, banques et fonds d’investissement qui – à l’instar des géants du secteur, BlackRock et le fonds souverain norvégien – souhaitent faire du développement durable un élément clé de leur stratégie d’investissement.
« Les nouvelles réglementations sur l’empreinte carbone des portefeuilles conduisent tous les fonds à le prendre en compte, souligne Didier Livio. Dernièrement, des fonds de private equity ont recruté des directeurs du développement durable. »
Une offre protéiforme
Face à cette demande, comment s’articule l’offre de conseil en stratégie sur le marché français ? « Il y a de plus en plus de monde sur ce terrain et on y trouve toutes les typologies d’acteurs du conseil », relève Emmanuel Julien, chez ENEA.
À commencer par les grands cabinets de conseil généralistes, et notamment les Big Four, dont les équipes de reporting extra-financier ou de conseil en finance responsable ont développé des offres de conseil en stratégie.
On y trouve aussi « des cabinets à l’origine plutôt positionnés sur le volet technique et scientifique et qui ont migré vers la stratégie, poursuit Emmanuel Julien. « Quelques petits cabinets spécialisés, qui ne cessent de grossir » – et parmi lesquels on trouve des pionniers tels qu’Utopies ou Des Enjeux et des Hommes –, des consultants en solo ou en équipe très réduite, « qui sont souvent d’anciens directeurs de la RSE », et parfois également « de grands cabinets de conseil en stratégie ».
Une offre protéiforme, donc, et un domaine où les grands cabinets de conseil en stratégie brillent… par leur discrétion.
« Les grands cabinets de conseil en stratégie ont complètement raté le virage »
Selon le président du Collège des directeurs du développement durable – qui regroupe une centaine de directeurs dédiés à ce sujet dans de grands groupes privés (mais aussi Benoît Gajdos, associé en charge du développement durable chez Kea & Partners) –, Fabrice Bonnifet, « les grands cabinets de conseil en stratégie ont complètement raté le virage et sont disruptés par des cabinets bien plus petits, mais beaucoup plus compétents sur les enjeux à long terme. Aujourd’hui, une stratégie d’entreprise qui ne prend pas en compte le développement durable, c’est une imposture », ajoute-t-il.
« Les grands cabinets de conseil en stratégie ont intégré au sein de leurs équipes des compétences en matière de développement durable, mais je pense qu’ils n’ont pas assez pris en compte son côté éminemment stratégique », reprend Didier Livio, associé responsable de Deloitte Développement Durable qui, avec son équipe « de 140 personnes » a réalisé « 15 millions de chiffre d’affaires » en 2017.
La transition durable n’est toutefois pas absente des grilles d’analyse des consultants des autres cabinets. Ainsi, « l’accompagnement de la transformation responsable de nos clients est une de nos priorités en termes d’innovation et de développement, affirme David-Emmanuel Vivot, associé chez Kea & Partner. Une de nos convictions profondes est que l’heure de l’entreprise responsable a sonné et que cette dimension doit être intimement imbriquée dans la stratégie globale, et c’est pourquoi elle doit être assimilée par l’ensemble de nos consultants et non pas confiée à une équipe dédiée. »
Le développement durable, oui, mais pour les entreprises qui se portent bien
Reste que l’exercice, qui implique « d’envisager des horizons à moyen ou long terme », n’est pas toujours facile à opérer dans « les entreprises soumises à une très forte pression du court terme », poursuit l’associé de Kea.
Et c’est pourquoi « on constate que les entreprises qui investissent le plus dans le développement durable sont celles qui ont un bon équilibre économique parce qu’elles ont davantage de marge de manœuvre pour se préoccuper du long terme ».
Ainsi, « ce sont souvent les leaders de leur secteur, tels que L’Oréal, Schneider, Danone, Saint-Gobain ou Michelin, qui investissent massivement dans la RSE et qui ne voient plus ce sujet comme une contrainte, mais comme une opportunité de création de valeur stratégique ».
Et ce, via des politiques généralement portées par des dirigeants très convaincus. Car c’est là que réside une autre des grandes difficultés de l’exercice, pointe David-Emmanuel Vivot : « Comment, dans le cadre de l’exercice stratégique classique, passer du périmètre de l’entreprise à celui de son écosystème et de ses parties prenantes, voire de la planète ? »
Autrement dit, comment amener les comités de direction à reconsidérer les priorités entre ce qui est bon pour l’entreprise et ce qui est bon pour son écosystème et ses partenaires ?
Pas du désintérêt, mais de la sémantique ?
Enfin, si le sujet n’apparaît pas en tête des préoccupations des cabinets de conseil en stratégie, c’est aussi parce qu’il souffre d’un handicap de nature sémantique : « Je pense que les cabinets de conseil en stratégie y travaillent, mais sans nécessairement l’appeler “développement durable” en raison de la connotation parfois négative que l’on peut y associer – suspicions liées aux effets d’annonce, volet certification – ou de la relation avec l’écologie au sens politique du terme, tout le monde s’est un peu éloigné de ce vocabulaire, estime Thomas Croisier, responsable de Monitor Deloitte à Paris.
Vient ensuite « la difficulté pour les entreprises de se donner les moyens à moyen et long terme », une problématique plus générale qui dépasse la seule question du développement durable. Est-ce que les lignes sont en train de bouger ?
« Oui, je trouve que ça bouge, observe-t-il. Nous assistons à un retour de la recherche du sens à long terme qui fait contrepoids à la culture du court-termisme, du “tout maintenant”. Et cela ne provient pas uniquement de quelques directions “inspirées” qui tracent la voie. Il y a aussi un phénomène beaucoup plus bottom up avec les nouvelles générations, y compris les juniors de nos propres équipes. Ce sont des générations qui aspirent à cela, qui se posent la question de l’impact que leur travail peut avoir sur l’écosystème dans lequel ils évoluent et sur les écosystèmes des clients pour lesquels ils travaillent. »
Des générations qui se retrouvent probablement dans la réflexion que le gouvernement vient de confier au groupe de travail sur la réforme de l’objet social des sociétés : redéfinir les missions fondamentales de l’entreprise dans la société et leur articulation avec l’intérêt général.
Miren Lartigue pour Consultor.fr
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France
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.
- 15/10/24
Début octobre, deux nouveaux partners ont disparu de la liste des associés de la Firme : Guillaume de Ranieri, poids lourd du cabinet où il évoluait depuis 24 ans, et Xavier Cimino, positionné sur une activité stratégique.
- 07/10/24
Doté d’un parcours dédié presque exclusivement au conseil (BCG, Kearney, Accenture - entre autres), Mathieu Jamot rejoint le bureau parisien de Roland Berger.
- 03/10/24
Depuis avril 2024, les arrivées se succèdent : après Jean-Charles Ferreri (senior partner) et Sébastien d’Arco (partner), Thierry Quesnel vient en effet renforcer les forces vives, « pure strat » et expérimentées, d’eleven.
- 02/10/24
Minoritaires sont les cabinets de conseil en stratégie à avoir fait le choix de s’implanter au cœur des régions françaises. McKinsey, depuis les années 2000, Kéa depuis bientôt 10 ans, Simon-Kucher, Eight Advisory, et le dernier en date, Advention… Leur premier choix, Lyon. En quoi une vitrine provinciale est-elle un atout ? La réponse avec les associés Sébastien Verrot et Luc Anfray de Simon-Kucher, respectivement à Lyon et Bordeaux, Raphaël Mignard d’Eight Advisory Lyon, Guillaume Bouvier de Kéa Lyon, et Alban Neveux CEO d’Advention, cabinet qui ouvre son premier bureau régional à Lyon.
- 23/09/24
Retour sur la dynamique de croissance externe de Kéa via l’intégration capitalistique de Veltys – et le regard du PDG et senior partner de Kéa, Arnaud Gangloff.
- 23/09/24
Astrid Panosyan-Bouvet, une ancienne de Kearney, et Guillaume Kasbarian, un ex de Monitor et de PMP Strategy, entrent dans le copieux gouvernement de Michel Barnier, fort de 39 ministres et secrétaires d’État. Bien loin des 22 membres du premier gouvernement Philippe ; ils étaient 35 sous le gouvernement Attal.