Le développement international : un long chemin de croix pour les cabinets de conseil français
Une carte du monde tachetée de points, comme autant de bureaux implantés aux quatre coins de la planète. L'image est connue presque éculée. Elle n'en reste pas moins un must have du site Internet de tout cabinet de conseil qui voit grand.
Mais derrière la carte de visite, la réalité est souvent peu reluisante. Le développement international, pour les cabinets français, c'est un nouvel Eldorado : beaucoup l'ont rêvé, rares sont ceux qui peuvent se vanter de l'avoir trouvé.
Une aventure entrepreneuriale avant tout
L'Hexagone paraît vite étroit pour les cabinets qui connaissent le succès. L'envie d'aller voir ailleurs peut chatouiller des partners en mal d'aventure. C'est la situation qu'a connue Vertone. La croissance du jeune cabinet était rapide et linéaire. Le partner responsable de la zone MENA, Raphaël Butruille, le confesse aisément. Créer un nouveau bureau relevait « plus du challenge collectif, de l'aventure entrepreneuriale que d'une réelle priorité stratégique ». L'entreprise part alors à la recherche de nouvelles opportunités, « sans pour autant aller tous azimuts », nuance Raphaël Butruille.
La région Moyen Orient-Afrique du Nord sort en tête du scoring. Tous les indicateurs sont au vert : les perspectives de croissance de la zone, la proximité culturelle, des ressources naturelles à profusion et une concurrence faible. C'est au Liban que Vertone choisit d'établir son hub. Les bureaux sont ouverts en 2010. Le travail préparatif a été bien mené, le succès est rapidement au rendez-vous. « Au début, on a beaucoup vendu », se rappelle Raphaël Butruille.
Un pari risqué
Cette belle réussite sera de courte durée. La situation sociopolitique bascule. En décembre 2010, la Tunisie s'embrase, bientôt suivie par ses voisins de la région. « Après le Printemps arabe, le volant d'affaires a très nettement diminué, la stratégie initiale a été totalement entravée ». Quatre ans plus tard, la croissance du bureau libanais est toujours au point mort. Vertone y fait moins de 5 % de son chiffre d'affaires. L'antenne locale accueille de deux à trois consultants maximum, qui partagent leur temps entre Paris et Beyrouth.
Raphaël Butruille ne regrette pourtant pas l'investissement. « Le bureau s'autofinance, nous n'avons donc aucune raison de le fermer ». Bien au contraire, il voit cette implantation comme un atout, dans la perspective d'une reprise de l'activité. « Notre présence sur place nous permet d'avoir une connaissance approfondie du marché local et des mentalités. » Vertone est dans les starting-blocks. Désormais, Raphaël Butruille « se donne du temps. On attend le gros contrat qui fera appel d'air ».
C'est le client qui choisit le pays
Ses concurrents ont fait le même constat. Ce sont les besoins des clients qui dictent la stratégie d'implantation. « La seule bonne raison d'aller à l'international, c'est de suivre vos clients », affirme Stéphane Eyraud, CEO de Chappuis Halder. Le cabinet a ouvert à Hong-Kong un an seulement après sa création. Au départ, deux clients français étaient intéressés par un accompagnement sur place. Depuis, Chappuis Halder n'a cessé de croître. L'entreprise possède désormais des bureaux sur trois continents différents. Cette évolution rapide, le groupe la doit à une politique volontariste. Suivre les besoins du marché, certes, mais ne pas attendre pour autant d'avoir rempli le carnet de commandes. Pour Stéphane Eyraud, « on ne remplit pas le pipe sans une présence sur place ».
Advancy a connu le même succès, malgré un mode opératoire diamétralement opposé. Le réseau intervient dans une quinzaine de pays à travers le monde, sans pour autant y ouvrir systématiquement un bureau. Pour son fondateur, Éric de Bettignies, c'est le volume d'affaires qui détermine le choix d'implantation. « Si vous faites une mission par an sur une zone, le partenaire local sera suffisant, estime Éric de Bettignies. Mais si vous faites une mission par trimestre ou par mois, il est important d'être complètement intégré ». C'est ce qui explique qu'Advancy, dont la stratégie dès la création passait par l'internationalisation, a attendu cinq à six ans avant d'ouvrir son premier bureau hors de France.
La patience, mère de toutes les vertus
Le processus peut être long, pas question de griller les étapes. Le dirigeant d'Advancy y tient. Il faut prendre son temps pour « s'assurer que le partenaire est à la fois très bon sur son marché et qu'il est en même temps en phase avec la culture Advancy ». Il en va de la qualité du service et donc de l'image du cabinet. Pas question non plus de compter sur des bénéfices mirobolants. « Je n'attends pas de l'Allemagne [NDLR : deux bureaux ouverts en juillet et septembre 2014] qu'elle nous fasse une grosse remontée de dividendes, affirme Éric de Bettignies. Ce que j'attends de ces bureaux, c'est qu'ils servent nos clients au bon niveau ».
Stéphane Eyraud arrive à la même conclusion, « le bureau devient rentable au bout de six mois à un an... si vous avez de la chance ». Cette chance, une fois saisie et concrétisée, peut rapporter gros. Chez Advancy, l'activité en France a progressé de 25 % en 2014. D'après son patron, la moitié du nouveau business n'aurait pas été possible sans son réseau. Chappuis Halder, de son côté, annonce faire 65 % de son chiffre d'affaires à l'international. De quoi ouvrir l'appétit des autres acteurs du marché. Un cabinet plus petit, qui souhaite rester anonyme, assure avoir entendu le message. Sur son site Internet, il annonce plusieurs bureaux hors de France. Après vérification, il s'agit plutôt de points de chute pour les consultants en déplacement. « Il n'y a aucune équipe permanente mais ça viendra un jour, nous avoue l'un des partners. On attend de manière très pragmatique ».
Pour le consultant, « l'internationalisation passe avant tout par le profil des clients et des équipes plutôt que par une présence physique ». L'entreprise confie d'ailleurs avoir plusieurs clients asiatiques, sans avoir aucune représentation locale. Elle songe également à s'implanter outre-Atlantique. Elle multiplie les contacts et commence à travailler sur place. Là encore, la prudence est de mise. Step by step, quitte à être un peu frileux. L'objectif pour le moment, c'est de « planter la petite graine qui va grandir et aboutira, peut-être un jour, sur une ouverture à l'international ». Peut-être, mais rien ne presse. Les voyages forgent la jeunesse des consultants. À leurs partners, ils apprennent la patience.
Gillian Gobé pour Consultor
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