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Les consultants en stratégie sont-ils nuls en finance ?

Là où les pères fondateurs du conseil en stratégie disposaient d’une expertise financière aiguisée, celle des consultants actuels serait nettement plus light. Out of the loop, vraiment ?

Lydie Lacroix
17 Fév. 2025 à 14:00
Les consultants en stratégie sont-ils nuls en finance ?
© Matthew/Adobe Stock

Pour faire le point et comprendre ce que recouvrent ces compétences dans le cadre du conseil en strat’ et comment elles sont engagées ou développées au sein des équipes, Nicolas Cohen-Solal d’Eight Advisory Strategy & Operations, Thomas Chevre pour Strategia Partners et Martial Thomazo de Strategy&, partagent leur analyse.

Des consultants en strat’ ignorant les niveaux d’EBITDA de leurs clients ?

Comme le rappelle en préambule Martial Thomazo, associé de Strategy&, co-leader de la practice Finance Strategy & Deals, « la volonté des fondateurs des premiers cabinets de conseil était de mieux comprendre la profitabilité des entreprises et comment l’améliorer. James McKinsey était d’ailleurs professeur de comptabilité ».

Or, selon le patron d’Eight Advisory S&O Nicolas Cohen-Solal, qui a développé l’activité Strat’ et Opérations au sein du cabinet à l’ADN très financier, le périmètre d’intervention des cabinets de conseil en stratégie comporte désormais aussi bien des éléments « de repositionnement ou de développement marketing que d’analyse de marché pour déterminer les cibles de croissance ».

Un point sur lequel Thomas Chevre, associé fondateur de Strategia Partners – un cabinet qui a toujours eu « une colonne vertébrale assez forte sur la finance, laquelle s’avère critique pour ses missions » – rebondit. Selon lui en effet, quatre grands métiers constituent aujourd’hui le conseil aux directions générales.

« Le premier, c’est l’accompagnement des clients dans le cadre d’une décision d’investissement majeur à opérer au niveau d’un groupe, d’une activité, d’une business unit ou d’un pays. » Cette décision comporte nécessairement une dimension financière. Pour les consultants, il faut pouvoir saisir « les mécanismes de création de valeur, les principaux agrégats financiers au niveau du P&L, du bilan et des cash-flows, les interactions entre lesdits agrégats et les indicateurs stratégiques ». Nul besoin en revanche « d’une expertise financière aussi pointue que celle des cabinets de conseil financiers ».

Le conseil aux directions générales porte aussi sur les opérations, l’organisation et la transformation, dont la part est en hausse depuis plusieurs années par rapport au « pur » conseil stratégique. Or, ces trois métiers requièrent d’autres compétences que des aspects purement financiers, comme des expertises fonctionnelles (industrielles, logistiques…) ou transverses (gestion de projet…). Exit ou presque les compétences financières. D’ailleurs, selon un ancien du conseil souhaitant rester anonyme, « il n’est pas rare que des consultants ayant travaillé dans des cabinets généralistes connaissent à peine les niveaux d’EBITDA ou les CAPEX des clients pour lesquels ils ont œuvré ». Ce qui n’aurait rien d’anormal selon lui au regard des missions qu’ils ont pu mener.

Certains cabinets, au conseil principalement orienté opérations, ne s’estiment d’ailleurs par concernés par le sujet de la compétence financière, alors que leurs missions visent pourtant à augmenter l’EBITDA.

La montée en puissance des clients sur les sujets financiers

C’est notamment le cas en période de crise. Comme le souligne Nicolas Cohen-Solal d’Eight Advisory S&O : « Nos clients sont de plus en plus précis dans le suivi analytique de leurs états financiers pour prendre des décisions éclairées et, de ce fait, dans leurs exigences à l’égard des consultants sur les éléments financiers. » Selon l’associé, il n’est pas rare de voir des managers « suivre dans le détail leurs comptes de résultats, bilans ou flux de trésorerie ». Sachant que, lorsque les consultants en strat’ ont à échanger finance avec des dirigeants ou actionnaires, il ne s’agit pas de « comptabilité générale », mais de « performance financière ou de création de valeur ». Les échanges concernent « le business lui-même, mais aussi les conséquences sur les indicateurs financiers pour mesurer sa rentabilité, sa liquidité, son efficacité opérationnelle ou sa valorisation ».

Quelles situations de conseil nécessitent de bien comprendre la finance ?

Si l’on revient au premier métier des cabinets de conseil en stratégie, l’objectif est souvent d’établir un diagnostic stratégique. « Il est alors indispensable d’avoir une compréhension des P&L, des cash-flows, des différents postes de coûts, d’être capable de localiser les effets d’échelle dans les métiers – nationaux, mondiaux, locaux – et de regarder les coûts de croissance en Capex/Opex ou la génération de cash et la rentabilité des investissements passés », indique Thomas Chevre de Strategia Partners.

La comparaison des business models offre un bon exemple des compétences à mobiliser. La stratégie d’investissement passée, le niveau d’intégration dans la chaîne de valeur, le niveau d’externalisation, la propriété ou location des actifs, les règles comptables spécifiques d’un pays… peuvent biaiser la comparaison entre deux actifs au niveau de l’EBITDA, et ainsi fausser l’analyse de compétitivité et les implications stratégiques associées. Pour Thomas Chevre, « comprendre les différences entre EBITDA, EBIT et ROCE [Return on Capital Employed, ndlr] est clé ».

Autre exemple, une mission pour un groupe réunissant des métiers structurellement distincts d’intensité capitalistique variable, dont il faut élaborer la stratégie d’allocation de ressources. « Un métier industriel peut faire 15 % d’EBITDA, 10 % d’EBIT et avoir une rotation des capitaux engagés de 1, ce qui donne 10 % de ROCE. Un autre métier peut faire 3 % d’EBIT avec une rotation des capitaux engagés de 5 : il est alors plus rentable. Utiliser ces indicateurs est nécessaire. »

Autre situation, une introduction en Bourse. « Les consultants doivent avoir un mindset financier avancé, explique Martial Thomazo. Dans un contexte de due dil, même opérationnelle, la compréhension des impacts financiers des points clés que l’on a identifiés est indispensable. Y compris pour une PMI IT, il faut pouvoir détecter les synergies, des transition costs, des one-off costs »

Les missions peuvent aussi porter sur la définition d’options stratégiques. Pour les comparer, la question du développement de l’attractivité intrinsèque de l’entreprise – dans une perspective stratégique – est cruciale. Mais la finance joue également un rôle dans la caractérisation de ces options, « via la définition des niveaux de création de valeur et d’investissements associés, et l’analyse de la sensibilité à des facteurs externes ». L’interaction entre la stratégie et la finance est alors extrêmement forte.

Faut-il repérer les profils « financiers » dès le stade du recrutement ?

Une bonne partie des nouvelles recrues du conseil en strat’ sont issues de grandes écoles de commerce ou titulaires d’un MBA comportant un volet « finance ». Et il n’est pas rare que les ingénieurs qui s’engagent dans cette voie aient renforcé leur formation principale sur cette dimension-là. Les cabinets ayant de fortes exigences en la matière ont-ils, malgré tout, besoin de détecter des aptitudes particulièrement aiguisées lors de leurs sessions de recrutement ?

Du côté de Strategy&, bien que tout dépende du type de profil recherché, les études de cas comportent régulièrement des sujets « liés à de la profitabilité. Pour élaborer une recommandation stratégique, le candidat est poussé à réfléchir à l’impact sur la profitabilité de la société ou sa valeur ». L’idée à ce stade est d’évaluer ses capacités de raisonnement et de s’assurer qu’il dispose des « fondamentaux de gestion ». Sachant qu’une partie des profils les plus seniors a exercé, en début de carrière, « plusieurs métiers financiers au sein de grands groupes ou de cabinets ».

Si Strategia Partners n’adresse pas vraiment cette dimension lors du recrutement, le cabinet regarde « les premières expériences, les stages effectués dans différents domaines, dont le private equity, le conseil, les banques d’affaires… ». La formation opérée auprès des nouvelles recrues fera le reste, car « c’est une technique qui s’acquiert ».

Chez Eight Advisory Strategy & Operations, l’objectif est avant tout de s’assurer que les candidats ayant suivi ce type de formations ou issus de parcours en corporate « disposent de fortes compétences analytiques et synthétiques ». Et c’est ensuite via un parcours de formation interne que les nouvelles recrues seront formées à la finance. Les consultants bénéficiant de modules dédiés provenant de l’expertise financière plus large du cabinet. Sachant qu’une partie des équipes ne sont pas des juniors, l’une des particularités d’Eight étant d’intégrer des experts provenant du monde du corporate ou de cabinets spécialisés – en supply chain, en achats, en IA… – désireux également de monter en compétence sur des enjeux de direction générale.

Une expertise qui s’aiguise on the job

Dans le cadre de certaines missions – quand une modélisation financière est demandée par exemple –, une équipe Stratégie intégrée à un cabinet disposant d’expertises plus larges peut travailler main dans la main avec des consultants d’autres entités ou de l’entité mère.

« Sur des sujets de deals ou de restructuration, il arrive qu’il y ait déjà d’autres équipes financières d’Eight Advisory sur le projet. Dans ce cas, l’idée est de créer un continuum : pour un business plan par exemple, les équipes financières analysent la performance passée et les hypothèses du business plan, et nous travaillons sur la vision, et la définition d’initiatives et leviers stratégiques à mettre en place », confie Nicolas Cohen-Solal. Grâce à cette proximité, les consultants en stratégie affinent et peaufinent leur « bagage complémentaire ».

Même mode opératoire chez Strategy&, qui peut mobiliser des équipes mixtes d’expertises en fonction des besoins de ses clients. « Pour un sujet ayant un impact structurant sur de la communication financière au marché, les consultants en stratégie vont travailler de concert avec un expert en la matière de PwC. Sur des sujets très techniques, la diversité d’expertises du cabinet est un atout, y compris au sein même de Strategy& où certains profils sont plus financiers que d’autres », souligne Martial Thomazo.

Quant à la mobilisation de l’IA/GenAI, sujet récurrent dans le conseil en strat’ pour « augmenter » l’expertise des consultants et/ou les faire gagner en efficacité, ce n’est pas sur la partie « technique financière » qu’elle s’avère, à date, le plus utile – conclut Thomas Chevre.

Eight Advisory - strategy & operations Strategia Partners Strategy& Martial Thomazo Nicolas Cohen-Solal Thomas Chevre
Lydie Lacroix
17 Fév. 2025 à 14:00
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conseil en stratégie, finance, compétences, EBITDA, ROCE, diversification, missions, directions générales, création de valeur, modélisation financière
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Eight Advisory - strategy & operations Strategia Partners Strategy&
Martial Thomazo Nicolas Cohen-Solal Thomas Chevre
2025-02-17 19:46:34
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