Les directions achats, bientôt incontournables ?
Pour Sylvie Noël, chief procurement officer chez Covéa et présidente de l’Association des directeurs et responsables achats (Adra) qui regroupe 160 directrices et directeurs achats de diverses organisations françaises (BPCE, Agirc-Arrco, Vivarte, Pierre et Vacances…), la tendance est claire.
L’informalité qui règne encore largement sur les achats de missions de conseil en stratégie – souvent décidés par relations interpersonnelles d’un directeur avec un partner dans un cabinet X ou Y – ira en diminuant au fur et à mesure des avancées de la législation.

Directrice achats de Covéa depuis 2012, à la tête d’une équipe de 38 personnes
Senior purchasing officer de 2010 à 2012
Chief procurement officer de 2004 à 2005
Directrice commerciale de Capgemini de 1997 à 2004
Quel est le rôle de l’Adra en ce qui concerne les achats de missions de conseil en stratégie ?
Sylvie Noël (S. N.) : L’Adra a été créée par quatre directrices et directeurs des achats et fête son dix-septième anniversaire. La logique est de nous fédérer et de promouvoir notre profession. En ce qui concerne les achats de missions de conseil en stratégie, ils constituent une part minoritaire, voire infime, des achats que nos membres supervisent. Ces achats sont souvent plus fréquents dans les services que dans l’industrie, où ils restent souvent la chasse gardée des directions générales.
Justement, c’est l’un des paradoxes de ces achats : ils échappent aux services achats. Pourquoi vos membres n’ont-ils qu’un droit de regard encore très restreint sur les missions de conseil en stratégie ?
S. N. : En effet, nous sommes encore régulièrement contournés. Ce qui n’est pas agréable. D’autant moins que les achats ont eu tendance à se professionnaliser et que nous estimons notre rôle utile pour des achats de prestations intellectuelles qui ne sont jamais évidents à effectuer.
Pourquoi les cabinets de conseil en stratégie ne font-ils pas plus appel à vous ?
S. N. : Parce que la pratique n’est pas ancrée. Le point de départ d’une mission de conseil en stratégie est un peu toujours le même : un déjeuner entre une direction d’entreprise et un cabinet. Des idées sont lancées autour de la table et donnent lieu à un ping-pong intellectuel. Les consultants font ensuite parvenir à l’entreprise une proposition qui est itérée quelques fois et, voilà, la mission commence.
Mais souvent, les besoins des entreprises n’étaient pas clairement définis et les résultats de la mission peuvent être décevants. Évidemment, les consultants ont l’art et la manière, d’autant plus subtilement qu’ils sont meilleurs, de faire passer une Peugeot pour une Rolls Royce. En réalité, peut-être que le besoin réel de conseil en stratégie de la direction était une Clio. Notre job est de vérifier l’existence d’un véritable besoin, de la qualité et l’exhaustivité des livrables.
À quelle fréquence arrivez-vous à exercer ce job dans des conditions que vous jugez satisfaisantes ?
S. N. : Chez Covéa, nous classons les 17 000 achats annuels de conseil, d’IT ou de médias du groupe dans trois catégories : ceux où le process d’achat est respecté, ceux où une régularisation intervient en cours de route, ceux qui restent sous le radar et qui ont été faits a posteriori.
Quelle est la part de chaque catégorie sur le total ?
S. N. : Ce sont des chiffres que nous ne communiquons pas. En l’état, nous n’avons pas les moyens d’agir sur la troisième catégorie et commençons à sensibiliser les acheteurs de la deuxième catégorie sur les vertus des achats normés.
Est-ce entendu ?
S. N. : L’évolution de la réglementation va de moins en moins laisser le choix aux donneurs d’ordres. Ces achats doivent déjà obéir à plusieurs critères : celui des formalités administratives, à savoir les documents légaux que les cabinets de conseil en stratégie doivent nous fournir avant la conclusion de chaque mission comme n’importe quelle autre entreprise depuis l’entrée en vigueur de la loi sur la vigilance en 2012 ; ou celui du taux de dépendance que nous, acheteurs, représentons vis-à-vis d’eux, qui ne doit pas dépasser 20 à 30 % du total de leur chiffre d’affaires.
Et pourtant, l’informalité des achats de conseil en stratégie perdure…
S. N. : Cela ne durera qu’un temps. Le renforcement des processus d’achats en fera un sujet de conformité et obligera les entreprises à changer de posture. La loi Sapin II est un bon exemple du niveau croissant de pression législative qui s’applique à tous les achats dans les entreprises qui peuvent encore s’apparenter à du copinage. Les missions de conseil en stratégie n’y couperont pas.
Propos recueillis par Benjamin Polle pour Consultor.fr
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