« Ne lisez pas que Les Échos ou Le Point, mais aussi Libé ! »
Lire, lire et encore lire, ne pas s’enfermer dans des positions dogmatiques ou partiales, cultiver une longueur d’avance intellectuelle : tels sont quelques-uns des conseils de gestion de carrière que Paul-André Rabate, le fondateur de CVA, donne aux lecteurs de Consultor.

Quel regard jetez-vous sur le métier de consultant en stratégie après plusieurs décennies de pratique ?
Un regard critique. Dans ce métier, il y a à boire et à manger. Tout le monde se fait appeler aujourd’hui conseil en stratégie quand 5 à 10 % des cabinets en font réellement.
À celles et ceux qui voudraient en faire réellement, quels conseils donneriez-vous ?
Qu’on ne demande pas la même chose en conseil en informatique et en conseil en stratégie, les attentes des clients ne sont pas les mêmes. Et qu’au sein même des marques les plus établies, il faut bien faire la part des choses : entre BCG et BCG Gamma, les clients et les sujets abordés n’ont rien à voir par exemple.
Et quand on s’intéresse exclusivement au conseil en stratégie aux directions générales, quelles sont les bonnes pratiques ?
Il n’y a pas, à vrai dire, les 10 commandements du bon consultant en stratégie. On peut raisonnablement donner des ingrédients, qui sont à adapter en fonction des capacités et du caractère de chacun. Je ne donnerais jamais les mêmes conseils à des personnes différentes.
N’y a-t-il pas des points communs aux gens qui choisissent de se lancer dans la strat’ ?
L’ambition, probablement. Dans tous les métiers, il faut être ambitieux. Mais dans le conseil en stratégie, il faut l’être encore plus qu’ailleurs. Parce qu’on s’expose personnellement, parce qu’il faut tenir la route, parce qu’il faut avoir de l’énergie. Vous aurez face à vous des clients et des collègues d’un niveau très élevé vis-à-vis desquels il faut faire au moins jeu égal. C’est aussi une carrière jalonnée d’obstacles et de métamorphoses : les attendus d’un business analyst, l’efficacité et la rigueur, ne sont plus du tout les mêmes pour un profil de partner qui aura pour mission de conseiller des hauts dirigeants, et qui devra être doté d’un pouvoir de conviction et d’un pouvoir de vente. C’est une évolution parfois brutale que peu de gens parviennent à mener à terme.
L’image d’Épinal du consultant qui souffle à l’oreille du patron est celle de quelqu’un qui sait embarquer ses interlocuteurs, sait leur parler, sait leur vendre ses analyses. Cela correspond-il en partie à la réalité de ce que les consultants en stratégie doivent être ?
Le consultant en stratégie qui essaie de vendre tout et n’importe quoi avec du bon « storytelling » est à proscrire. Peut-être y arrivera-t-il deux ou trois fois, mais pas quatre. Personnellement, certains des clients avec lesquels je travaille aujourd’hui étaient déjà dans ma clientèle avant même la création de CVA. C’est ce que je répète à l’envi aux jeunes consultants : mettez-vous dans les chaussures du client. Le conseil en stratégie souffre de vouloir « fourguer » n’importe quoi à ses clients, des produits communs et standardisés, pour faire des honoraires. Cela se fait au détriment du sur-mesure. L’équation du bon stratège est de ne pas pousser à la vente tout en gagnant sa vie à la fin de la journée.
Cette équation, comment parvient-on à la solutionner au mieux ?
C’est un métier que l’on apprend en le faisant, en se mettant dans les traces des meilleurs et en évitant l’obsolescence. Un élément clé de la créativité est de s’enrichir soi-même et d’être en avance par rapport à tout le monde. Il faut lire, lire et lire encore, et éviter à tout prix le copier-coller. La raison d’être d’un bon consultant est d’apporter sa propre vision, résultat des connaissances existantes, mais augmentées de sa propre analyse. Prenez l’intelligence artificielle, le pire est de répéter ce qu’on lit dans la presse. Non, le consultant en stratégie doit savoir dire en quoi l’IA change son client et son métier. Le défi est là : dans la capacité d’absorption de tous les éléments disponibles sur un sujet donné et leur traitement en quelque chose de plus intelligible et plus pertinent pour le client.
Concrètement, comment faites-vous pour y arriver ?
Je lis énormément d’articles. Je bombarde les équipes d’articles, de bonnes analyses que je grappille ici et là.
Où précisément ?
The Economist, Foreign Affairs… Je choisis toujours quelques sources qui me semblent les plus pertinentes et avec des analyses les plus solides sur le plus long terme. L’écueil est de n’avoir qu’un son de cloche dans ses lectures qui sont très polarisées et de se priver de toute une partie des faits. Aux États-Unis, par exemple, si vous n’êtes branchés qu’au New York Times, sans être branché au côté trumpiste du pays, vous allez passer à côté d’une grande partie des choses. En France, ceux qui lisent Le Point ou Les Échos doivent aussi s’astreindre à lire Libé !
En quatre décennies d’exercice du métier, y a-t-il des missions qui vous ont particulièrement marqué ?
J’ai plusieurs missions préférées, bien sûr. Pour commencer, déjà, j’applique un principe immuable : je passe toujours 50 % de tout mon temps avec un nouveau client la première année de notre collaboration. Cela dit, mon travail sur le sujet de l’approvisionnement en uranium en France m’a particulièrement intéressé dans la mesure où il est pluriel. Il recouvre des enjeux géostratégiques, économiques, techniques et politiques.
Vous disiez que le bon consultant en stratégie doit être tout entier attelé à sa tâche de s’informer, de faire émerger une connaissance pointue et différenciante, cela lui laisse-t-il le temps de manager les équipes avec lesquelles il travaille ?
Un bon manager ne fera pas forcément un bon consultant en stratégie, c’est vrai. Ne pas faire comme tout le monde et chercher à apporter une réelle créativité à ses clients implique parfois de ne pas être des plus organisés du point de vue des ressources humaines. Il faut chercher les meilleurs équilibres.
Du point de vue humain, de quelles qualités faut-il faire montre pour espérer faire son trou ?
Le conseil est un métier de confiance, ce qui, comme chacun sait, ne se décrète pas. Un consultant en stratégie doit inspirer confiance et doit avoir énormément confiance en soi. En comex, avec des gens qui ont 20 ans de plus que vous, il n’est pas possible de se cacher derrière son petit doigt. Cette confiance se construit.
De quelle manière ?
En se forgeant des convictions : vous n’aurez pas envie de vous confier aux soins d’un chirurgien qui hésitera à poser son diagnostic. Un client fera de même avec un consultant incertain. C’est une juste posture à trouver, en évitant les deux extrêmes : celui du pleaser et celui du professeur. Le pleaser dit ce que le client a envie d’entendre. Le professeur lui fait la leçon. La juste ligne est de convaincre votre client avec des arguments forts et travaillés qui reposent sur trois éléments : les écritures, ce sont les savoirs fondamentaux ; les paraboles, ce sont les histoires, les cas concrets et les miracles, ce sont les résultats.
Le conseil en stratégie est connu pour ses durs horaires. Comment fait-on pour tenir le coup et pour ne pas claquer la porte ?
C’est un métier de service qui n’est pas plus compliqué qu’un autre métier de service. On ne doit pas être l’esclave de ses clients, on ne doit pas être l’esclave de ses supérieurs. Si vous êtes efficace, vous ne le serez pas. Si vous ramez, il ne faut pas compenser par un surcroît de besogne. Ce n’est pas un métier de besogneux : ceux qui dérapent sont ceux qui veulent compenser. La passion et le plaisir doivent rester au cœur et c’est ce que le client retient. Si vous prenez plaisir à ce que vous faites, le client prendra plaisir à travailler avec vous.
Est-ce un métier que l’on choisit pour faire fortune ?
Non, dans ce cas, faites du trading. Le conseil en stratégie n’a pas l’argent pour premier driver.
Vous avez créé votre propre cabinet : recommandez-vous de faire de même ?
Absolument, mais le parcours est semé d’embûches ! C’est un marathon avec beaucoup de sprints. Le prérequis est d’avoir des éléments nouveaux à apporter. Sinon rien ne sert de se lancer.
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Il a fondé le cabinet Advancy avec Sébastien David il y a près de 25 ans. Éric de Bettignies, ingénieur des Mines, consultant chez Arthur Andersen et Kearney, a voulu faire de sa « boutique » un cabinet face aux mastodontes du secteur.
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
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