Toujours plus cher : les consultants aident les marques de luxe à augmenter leurs prix
Pour ces hausses très stratégiques, les géants du luxe font appel à des consultants.
Les marques de luxe ne cessent d’augmenter leur prix. L’un des sacs les plus vendus de Chanel, le 2.55, coûtait 6 050 euros en décembre 2020, 7 800 euros en novembre 2021, et désormais 8 990 euros depuis août 2022.
Chez Louis Vuitton, Hermès ou encore Rolex, même ascension jusqu’ici sans fin : la célèbre marque de montres a, par exemple, augmenté ses prix de 5 % en Europe au dernier trimestre 2022, tandis que le maroquinier Hermès a annoncé en décembre des hausses de prix comprises entre 8 et 10 %, soit davantage que l’inflation trimestrielle en France, d’environ 6 %.
Or, dans le luxe, le prix est une composante essentielle de la désirabilité de la marque, laquelle « est au centre de tous les projets », comme le souligne Laure Charpentier, principal spécialisée dans la distribution et les biens de consommation chez Oliver Wyman.
Les consultants en stratégie doivent donc manier le paramètre du prix et de son augmentation. « Est-ce que j’ai les bons produits ? Est-ce qu’ils sont bien déclinés sur toute la gamme de prix ? Et est-ce que les prix doivent être augmentés ? » : telles sont les questions avec lesquelles les maisons peuvent solliciter les cabinets, selon un associé d’un autre cabinet.
Ce dernier souligne : « L’augmentation des prix est un facteur essentiel de la croissance des maisons. » Par conséquent, vendre plus cher est l’un des principaux objectifs pour les géants du luxe.
Et, pour l’instant, cette stratégie profite aux géants du luxe. Le 26 janvier, LVMH communiquait ainsi des résultats qualifiés de « records » par son actionnaire de contrôle Bernard Arnaud : des ventes de 79,2 milliards d’euros, en hausse de 23 % par rapport à l’année précédente – et le résultat opérationnel, de 21,1 milliards, a augmenté du même pourcentage. Mais jusqu’où peut-on augmenter ses prix ?
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C’est un secteur qui fait rêver, à plusieurs titres. En pleine expansion au niveau mondial depuis la fin des années 1990, résilient face aux crises, ce secteur fait aussi « son marché » parmi bon nombre d’anciens consultants qui se plaisent à endosser les habits managériaux de grandes maisons… Et si le luxe a été très fortement impacté lors du premier confinement mondial, ce secteur s’est rapidement remis en selle, d’ores et déjà tourné vers les stratégies de croissance d’après covid.
Une équation compliquée
La « pricing strategy » est en effet un casse-tête : tout en euphémisme, le directeur financier de Kering Jean-Marc Duplaix qualifiait ainsi les stratégies de tarification d’« équation pas facile à résoudre » lors d’une conférence de presse en octobre.
Les paramètres à gérer sont nombreux : outre l’inflation, les marques doivent demeurer attentives aux différentiels de prix entre pays. Ces derniers sont historiquement plus hauts en Chine : depuis 5 ou 6 ans, les maisons comblent partiellement ce fossé. Car ces différences importantes nourrissent un marché informel : l’accès des clients chinois aux produits à des prix européens, américains ou sud-coréens, bien plus bas.
Ce sujet prix ne démultiplie pas le nombre de missions dans le luxe, note Martin Crépy l’associé en charge de la distribution, des biens de consommation et du luxe, chez Simon-Kucher, spécialisé sur la croissance du chiffre d’affaires et notamment les questions de pricing. Il estime avoir réalisé une dizaine de missions dans le secteur l’an passé. Nouveauté en revanche : le besoin de réactivité des clients est plus fort aujourd’hui.
Le consultant explique avoir « beaucoup travaillé sur la détermination de différents index de prix en fonction des pays, des catégories de produits et des canaux de vente, à partir d’un prix “monde” ». Le cabinet déclare avoir aussi accompagné ses clients pour les équiper avec des « processus et outils de gestion dynamique des prix », comme des logiciels de veille tarifaire. Car, quand les concurrents augmentent leurs prix, il faut augmenter à son tour, afin de protéger l’attrait de sa propre marque.
D’autres cabinets affirment toutefois ne pas réaliser ce genre de missions visant à équiper leurs clients pour de la veille tarifaire. Ils estiment que les grandes maisons se sont déjà équipées pour cela en interne. En outre, « une veille tarifaire, ça veut dire qu’on veut être plus ou moins cher qu’un concurrent. Or, dans le luxe, les maisons ont une forme d’égocentrisme qui les porte rarement à se comparer à leur voisin », sourit un consultant.
Rester rare
Certains expliquent donc que leurs missions portent plutôt sur la sacro-sainte désirabilité, et son corollaire, le positionnement. Augmenter les prix permet de préserver l’effet de rareté. Mais cette désirabilité est très dure à mesurer.
« Bien sûr, vous pouvez faire un sondage, ou d’autres recherches qualitatives, note Laure Charpentier. Mais il faut aussi trouver des moyens de mesurer la désirabilité de façon plus quantitative. » Pour cela, elle s’appuie notamment sur des analyses de prix des marques sur le marché de la seconde main, et sur la décote qu’elles subissent par rapport à la première main. Les acteurs du luxe mesurent leur image sur les sites de vente d’occasion, tels que Vestiaire Collective. Balenciaga, par exemple, subit une baisse de ses prix en seconde main, depuis qu’elle a mis en scène des enfants dans un décor BDSM, dans le cadre d’une campagne publicitaire en novembre dernier.
Autre paramètre étudié par les consultants : l’architecture des prix, pour un même produit, de son prix le plus faible pour le modèle classique, à son prix le plus élevé, par exemple avec des matériaux plus coûteux, tels que du cuir de crocodile ou des pierres précieuses.
Pour une autre consultante, « l’intérêt, ensuite, c’est de voir à quel point vous pouvez étirer la marque, à quel point les clients sont prêts à acheter. Par exemple, dans les prix les plus chers pour les sacs à main, on trouve le Birkin Himalaya [dont un exemplaire s’est revendu en 2020 à 365 545 euros lors d’une vente aux enchères]. Il n’est disponible que sur demande, il faut patienter quatre ans avant de l’obtenir… Les clients ne se demandent pas pourquoi ils dépensent une telle somme pour un sac, alors que ça vaut un appartement. »
Car la clientèle du luxe, très fortunée, continue d’acheter sans être dissuadée par les hausses de prix. Les marques peuvent parfois craindre que leurs augmentations soient mal acceptées par ces clients, selon Laure Charpentier : « Certaines marques se demandent si elles dépassent un seuil psychologique, en franchissant le seuil des 10 000 euros pour certains produits. » Mais, comme le constate la consultante : « Pour l’instant, on n’a pas vu de limite ni de retournement de marché… »
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grande consommation - luxe
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