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DRH : le maître des ombres

Elle est indispensable, mais elle n’occupe jamais le devant de la scène. Elle assure un rôle pivot, mais elle est dépouillée de la plupart de ses pouvoirs. Elle joue le rôle d’un chef d’orchestre qui recherche l’harmonie, mais ce sont les musiciens qui commandent. Surtout, elle gère le bien le plus précieux des cabinets : les talents. La direction des ressources humaines mène une existence bien difficile dans le monde du conseil en stratégie.

Pourtant, le conseil constitue sans doute l’une des meilleures écoles pour les responsables de ressources humaines. « Il s’agit d’une fonction très généraliste, affirme Anne-Claire Lethbridge, qui dirigea le service pendant cinq ans chez A.T. Kearney.

30 Sep. 2014 à 09:00
DRH : le maître des ombres

Il faut gérer le recrutement, les relations avec les écoles, l’intégration, la fidélisation des talents, l’évaluation de la performance, la formation, la gestion des carrières, les projets individuels. Tout cela ne fonctionnerait pas sans l’aide d’une équipe pluridisciplinaire. » Il faut aussi s’occuper de l’administratif comme la paie, les bonus, les augmentations, l’intéressement, la participation, la retraite… Une diversité de tâches dont la complexité échappe souvent aux consultants. Pourtant, si les RH appartiennent aux fonctions de l’ombre, elles restent absolument essentielles.

Le maître des cerveaux

D’abord parce qu’elles représentent l’un des rares éléments stables dans la vie professionnelle des équipes. Les consultants changent constamment de manager, de missions, de clients, de collègues, de localisation géographique… En revanche, ils sont régulièrement en contact avec la DRH, qui représente un repère fiable et disponible, toujours au bureau.

Ce qui implique, pour ces services, de trouver un équilibre entre une nécessaire proximité avec les effectifs, afin de suivre les évolutions de chacun, et une distance indispensable, car la DRH doit avant tout déployer la stratégie des partners, ce qui se traduit parfois par des refus d’avancement. « Le rôle de messager n’est pas toujours facile, reconnaît Anne-Claire Lethbridge. Il faut savoir trouver et garder sa place entre les partners et les consultants tout en veillant aux fonctions support. La DRH est l’un des seuls, dans le cabinet, qui connaît tout le monde. »

Surtout, c’est elle qui gère la principale richesse de l’entreprise, c’est-à-dire les cerveaux, atteste Valérie Schajer, responsable des ressources humaines chez LEK Consulting : « La particularité du métier RH dans un cabinet de conseil, c’est queque notre capital, c’est le capital humain, c’est la matière grise de nos consultants. La formation, les promotions, les évolutions de carrière, le recrutement, la fidélisation sont centraux. Dans mon cabinet, je m’occupe également du staffing, il s’agit d’un rôle pivot, puisque je participe à la constitution de l’équipe qui va travailler sur un projet. Il faut savoir quand il devient nécessaire de recruter, s’assurer que les consultants sont bien formés, qu’ils reçoivent l’attention et la rétribution qu’ils méritent pour qu’ils restent chez nous. Sans ces ressources, nous ne pouvons rien faire. »

Un patron, des patrons

Mais la véritable complexité du métier RH dans un cabinet vient de la structure en partnership. Dans une entreprise traditionnelle, le responsable des ressources humaines ne réfère qu’à un patron et dispose d’un réel pouvoir de décision sur les orientations en termes de recrutement, de formation ou de carrière. Mais dans le conseil, il se trouve dépouillé, au moins sur le papier, de l’essentiel de ses prérogatives.

« Je n’ai pas un patron, mais six, indique Valérie Schajer. Pour prendre une décision, il faut faire preuve de tact et de subtilité. Par exemple, je sais que sur certains sujets, le consensus est indispensable, alors que pour d’autres sujets, j’ai un partner référent. » Pas de procédures standards, il faudra se forger une expérience et apprendre sur le tas que tel partner refuse les candidats de telle école, qu’un autre tient absolument à être consulté sur la mise en place de nouvelles formations ou que la question de l’avancement de carrière des équipes doit être débattue et tranchée de manière collégiale. Il faut aussi composer avec une certaine dose d’arbitraire et accepter qu’un partner impose une décision qui va à l’encontre de l’analyse du responsable RH.

« De plus, ces patrons peuvent avoir des visions différentes, ajoute Anne-Claire Lethbridge. En tant que DRH, il faut savoir avancer tout de même, mais sans se mettre en porte à faux. » Un exercice d’équilibriste qui requiert des talents relationnels pour faire du lien entre les partners, déclencher la discussion, faire avancer le débat, apporter les bonnes informations pour les aider à se décider. « Il est crucial de savoir créer des alliances pour se rendre indispensable sur certains sujets et s’aménager une marge de manœuvre, tout en acceptant sur d’autres sujets de se cantonner à un rôle support. »

Mériter sa place

Pour survivre, et si elle a l’ambition d’être plus qu’un simple exécutant des directives des partners, la DRH doit donc trouver sa place. À ce niveau-là, tous les cabinets n’ont pas le même fonctionnement. Chez Chappuis Halder, le responsable des ressources humaines est potentiellement partner. Chez McKinsey, le poste de DRH n’existe même pas et il laisse place à un directeur du recrutement. Chez ATK et LEK, les RH devront négocier et mériter la confiance des partners. « Pour devenir partie prenante de la stratégie, il faut gagner ses galons », résume Anne-Claire Lethbridge.

Or le conseil se caractérise par un très haut niveau d’exigence : pour entrer dans un cabinet, pour obtenir une mission, pour la mener à bien, les consultants sont confrontés à une demande d’excellence tout au long de leur vie professionnelle. Un standard qu’ils appliquent aussi aux DRH. Pour toute discussion sur un sujet de ressources humaines, chaque argument doit être sous-tendu par des faits et des analyses. Pour pouvoir être crédible sur des sujets sensibles, il faut montrer patte blanche. Et quand la direction est divisée en cinq, dix ou quinze patrons, chacun ayant ses opinions, ses questions, ses certitudes, ses doutes, la DRH aura besoin de poigne et de répondant.

D’autant plus que les cycles relativement courts du conseil ne sont pas synchrones avec les cycles plus longs de la gestion des ressources humaines. Le manque de visibilité à long terme sur l’évolution du business peut conduire les partners à prendre des décisions RH difficiles à mettre en place : « Il peut arriver que le plan annuel de recrutement initié en septembre soit modifié quelques mois plus tard, illustre Anne-Claire Lethbridge. Quand vous venez de sortir la grande voile et que le capitaine vous demande de réduire la cadence, ou inversement, c’est délicat autant que passionnant. »

Là encore, il s’agit de trouver l’équilibre entre la souplesse et l’écoute des partners tout en sachant défendre ses positions. Et surtout, apprendre des erreurs passées et faire preuve d’initiative. Pour obtenir le droit de faire entendre leurs voix, les ressources humaines doivent prouver qu’elles sont une force de propositions, qu’elles sont capables de trouver des solutions aux problématiques qu’elles rencontrent et que les partners ont tout à gagner en leur accordant leur confiance.

« Les RH sont stratégiques pour un cabinet de conseil en stratégie comme le nôtre, car impliquées dans toutes les décisions liées au personnel, assure Valérie Schajer. C’est un poste extrêmement intéressant, compliqué, une excellente école du métier de DRH. »

Lisa Melia pour Consultor

30 Sep. 2014 à 09:00
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