Staffing : quelle place pour les desiderata dans les attributions de missions ?
Chacun sa route, chacun son chemin, chacun la mission de conseil qui lui convient ? Si cette envie de satisfaire les consultants dans les attributions de clients et de sujets entre les consultants des cabinets de conseil en stratégie peut paraître tentante, sa mise en œuvre est beaucoup plus nuancée.
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Dans le conseil, l’article paru dans Le Temps le 12 janvier au sujet des méthodologies d’attribution des missions au sein du cabinet Julhiet Sterwen fait un peu sourire. Il y est décrit comment le cabinet de conseil aux 600 consultants et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires en France, Suisse et Belgique a horizontalisé à fond les ballons le staffing. Schématiquement, un outil interne permettrait à chacun et chacune, « stagiaire comme partenaire (sic) », de se positionner sur les missions qui les intéressent le plus.
« Une consultante senior spécialiste du marché financier a eu envie de travailler sur un projet en lien avec le secteur du transport. C’est ce qu’elle a fait pendant un an », dit dans cet article Cédric Boisne, partner chez Julhiet Sterwen.
« On n’est pas chez les Bisounours »
Mais dans la concurrence, le modèle ainsi décrit amuse parce qu’il serait trop beau pour être vrai. Comme dit un partner qui n’a pas souhaité être cité : « On n’est pas dans le monde des Bisounours. » Comprendre que la fonction première du staffing est de constituer des équipes de consultants à même de réaliser les missions vendues à des clients – une logique mécanique dans laquelle les intérêts individuels ne sont pas nécessairement (voire pas du tout) prioritaires.
Car c’est bien connu dans le métier : toutes les missions ne sont pas d’égale attractivité. Dans la réalité quotidienne, certains sujets, certaines entreprises, certains pays, certaines practices déclenchent plus de vocations que d’autres pour de bonnes ou de mauvaises raisons : la Silicon Valley plutôt que les matériaux de construction dans la Ruhr, New York plutôt que Roubaix, le comex d’un groupe de luxe plutôt que la direction informatique d’une ETI inconnue du grand public.
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Si, en théorie, le staffing est une machine froide d’offre qui fait coïncider des consultants disponibles avec des missions vendues, les consultants disposent de différents leviers, plus ou moins formels, pour se positionner au plus près des sujets qui les intéressent.
Ce qu’on reconnaît aussi chez Julhiet Sterwen, où il y a bel et bien des missions dont personne ne veut et qui sont staffées au cas par cas par compromis.
Une place pour les affinités des consultants dans les attributions des missions
Pas prioritaires donc, les centres d’intérêt perso, mais peuvent-ils avoir une place dans les process de staffing ? Consultor a posé la question à plusieurs cabinets, sachant que chaque cabinet adresse le sujet à sa manière avec quelques typologies types cependant.
Le staffing est d’abord une question de taille : il peut être réalisé par une équipe dédiée dans les sociétés de conseil d’une certaine taille, ou par un ou des partners dans les cabinets plus restreints.
Puis une question d’approche. Il peut être très vertical. Cela peut par exemple prendre la forme d’un fichier type adressé aux partners, aux directeurs et aux senior managers, sur lequel ils font des demandes de ressources (durée de la mission, profils recherchés, par exemple un manager à 50 % et deux consultants), sur la base desquelles les décisions sont ensuite communiquées.
Ou alors, dans le sens de ce qui est indiqué chez Julhiet Sterwen, le staffing peut être plus horizontal et laisser une place plus ou moins grande aux souhaits des consultants. D’abord par les discussions informelles que les consultants peuvent avoir avec leurs encadrants. Puis par des orientations plus formelles qui peuvent être exprimées en entretiens annuels : intérêt pour un type de secteur, un type d’industrie, pour un type de projet…
Chez Oliver Wyman, cette discussion informelle est menée par les talent managers avec les consultants. Chaque semaine, charge à eux d’appeler les consultants qui se libèrent à court terme et de leur proposer une présélection de quelques missions et de les sonder sur l’intérêt que chacune représente pour eux.
Prise en compte des envies individuelles, de court et de long termes
Une visibilité que donnent également LEK ou PMP Strategy. Le premier fait parvenir tous les lundis un mail avec les propales en cours, quand PMP Strategy les communiquent tous les mois. « De cette manière, les consultants savent qu’un projet peut arriver et peuvent exprimer leur intérêt à ce sujet », dit Maxime Julian, partner et patron de LEK Paris. Même son de cloche d’Éric Dupont, partner et co-fondateur de PMP Strategy : « Cela leur permet de se prépositionner. »
La prise en compte des choix individuels ne s’arrête pas là. Elle est aussi de plus long terme. C’est ce que fait PMP Strategy dans le cadre des counselings, les entretiens annuels organisés avec chacun des consultants du cabinet. « Ils permettent de définir une fois par an un plan d’action et de développement d’expertise, explique Eric Dupont. Le staffing est ensuite géré sur une base hebdomadaire par les associés du cabinet qui essaient de concilier ce qui a été vendu et ce dont on a convenu dans le counseling avec les consultants. »
De même que les talent managers d’Oliver Wyman ont en tête les objectifs de développement de plus long terme des consultants et leur proposent des missions qui leur permettent de couvrir telle compétence, tel secteur ou tel sujet qui vont dans le sens d’une construction d’ensemble. Quand bien même au coup par coup cela ne correspond pas à la mission qui aurait fait le plus envie à un consultant.
C’est un dosage et un équilibre. Les critères à prendre en compte sont nombreux, les préférences thématiques individuelles seulement l’un de ces critères.
Comment la spécialisation façonne le staffing au fil du temps
Autre facteur intrinsèquement lié au staffing : la spécialisation. Ainsi, chez Oliver Wyman, la sélection de missions proposée par les talent managers aux consultants est d’autant plus large et diverse que le consultant est junior, et va en se resserrant à mesure que les consultants se spécialisent. C’est une autre des limites de la liberté de choix qui est laissée aux consultants pour choisir les missions sur lesquelles ils peuvent intervenir : leur spécialisation grandissante au fur et à mesure de leur parcours dans un cabinet.
D’ailleurs, comme l’explique Maxime Julian, partner et patron du bureau de Paris chez LEK, à compter du grade de manager, on ne fait que des missions dans la practice à laquelle on est rattaché, sauf exception.
Gestion des frustrations
L’ensemble de ces curseurs, à entendre nos interlocuteurs qui nous les décrivent, répondent à beaucoup des attentes des consultants, même si bien sûr ils peuvent occasionner un certain nombre de frustrations.
« On ne se voile pas la face sur le fait que le staffing puisse générer de la frustration. Vous n’allez pas faire que des projets qui vous passionneront. Oui, les talents doivent choisir, et c’est une intention que nous devons avoir et nous devons laisser le plus grand choix possible. Mais il faut rester prudent et se cantonner à une obligation de moyens », dit Hugues Havrin, partner chez Oliver Wyman.
Une frustration marginale qui fait partie intégrante du staffing, mais sur laquelle les cabinets peuvent aussi agir s’ils en ont connaissance. « S’il y a de la déception par rapport à telle ou telle décision de staffing, chaque consultant est suivi par deux associés ou directeurs associés et peut faire remonter son sentiment. On ne laisse jamais quelqu’un bloqué dans une mission qui ne lui convient pas. S’il n’y a pas de solution immédiate de nouveau staffing, on essaie d’en trouver une dans les semaines ou les mois qui suivent », détaille ainsi Éric Dupont chez PMP Strategy.
Des marges de progrès
Peuvent-ils mieux faire ? « Je pense qu’il y a beaucoup moins de frustrations aujourd’hui dans le staffing des missions que cela n’était le cas voilà 10 ans. C’est aussi une question de taille : plus on est gros, plus il y a de choix et aussi de sectorisations. On pourrait aussi davantage européaniser les staffings de missions. Mais je ne veux pas d’une course à l’échalote et qu’une concurrence s’installe entre les consultants pour décrocher le staffing d’une mission, car ce n’est pas notre culture », fixe comme cap Maxime Julian chez LEK.
Puis une transparence théorique peut être limitée par d’autres contraintes. « Nous n’avons volontairement pas une publication large de l’ensemble des missions vendues et des opportunités commerciales en cours pour des raisons de confidentialité. On aimerait bien dans l’absolu un affichage interne transparent, mais comme une grande partie de ce qu’on fait a souvent trait à des sujets stratégiques pour nos clients, on ne prend pas le risque de l’exposer », explique Hugues Havrin, partner chez Oliver Wyman.
En ayant tous bien en tête que le staffing est, comme cela est évoqué chez Julhiet Sterwen, un levier important de rétention des consultants. « La meilleure manière de garder les consultants à bord est de les mettre sur des jobs qui les intéressent », appuie Éric Dupont.
Là, encore, tout est question de dosage et d’équilibre.
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