Enquête – Danone : l’atout McKinsey d’Emmanuel Faber n’aura pas suffi
L’information sort lundi 15 mars 2021 dans les colonnes du JDD, au lendemain de l’éviction d’Emmanuel Faber de ses fonctions de PDG de Danone. Pour échafauder un vaste plan de réorganisation du groupe, auquel il travaillait depuis des mois, le désormais ex-PDG s’est adjoint les services de McKinsey. Le détail peut paraître anecdotique, dans les faits il l’est un peu moins.
Le plan, baptisé Local First pour séduire l’opinion et les marchés, vise à substituer des responsabilités géographiques à une organisation par métiers, les eaux (Volvic, Evian), les produits laitiers (Activia, Actimel) et la nutrition spécialisée (par exemple les laits infantiles).
Ambitions multiples à la clé : un milliard d’euros d’économies au terme de 2 000 départs (sur un effectif global de 100 000 personnes dans le monde), dont 400 en France, une marge courante ancrée à 15 % du chiffre d’affaires et des ventes en croissance de 3 à 5 % par an.
Autant d’objectifs qui passent par une colossale réorganisation qui verra patronnes et patrons des eaux minérales, des produits laitiers et de la nutrition spécialisée remplacés par une unique personne, et ce dans les 120 marchés sur lesquels Danone est actif.
Le plan de réorganisation doit répondre au « choc d’une violence inouïe » connue en période covid par Danone, selon Emmanuel Faber en janvier, déjà dans Le JDD. Fermetures des cafés, hôtels et restaurants (CHR) dans le monde, contraction de la natalité… les facteurs de réduction d’activité ont puissamment impacté le périmètre du groupe. Danone voit son chiffre d’affaires 2020 ressortir à 23,6 milliards d’euros, contre 25,3 milliards d’euros un an plus tôt. L’action Danone chute à 47 euros le 30 octobre 2020, alors qu’elle avait monté à plus de 80 euros le 9 juin 2019.
Feu au lac, donc. Local First se veut une réponse de proximité et d’agilité pour permettre au groupe de répondre, marché par marché, aux fluctuations de demande. Publiquement, il a été présenté en novembre, quoique selon Challenges il y travaillait depuis le mois de juillet. Le Monde date même sa genèse à décembre 2019.
En coulisses, selon les informations de Consultor, il a d’abord pris le nom de la salle de réunion de l’hôtel Ermitage d’Evian (propriété de Danone) où il a été imaginé par Emmanuel Faber, entouré de quelques dirigeants.
McKinsey entre en piste
C’est à ce moment-là que McKinsey rentre en piste. « Le plan change alors de nom, il sonnait plus McKinsey. Le nom Local First ne viendra que dans un troisième temps quand il sera présenté au grand public », s’amuse un bon connaisseur de la mission, sous couvert d’anonymat.
La mission n’a, en elle-même, rien d’exceptionnel. On le rappelle d’ailleurs chez Danone à tous les étages : les missions de consultants de toutes natures sont archi courantes dans les groupes de la taille de Danone, sur tous les sujets.
En cela, Emmanuel Faber ne fait que poursuivre l’existant : une relation antérieure à son arrivée aux manettes, vieille de vingt ans, que la direction de Danone a tissée avec McKinsey, mais encore plus avec le Boston Consulting Group.
« Je ne vois pas quelqu’un comme Emmanuel Faber mettre en place une pareille organisation et ne pas passer par une entreprise de conseil en stratégie. Pour un grand patron de CAC 40 tel que lui, c’est on ne peut plus normal », dit un bon observateur du groupe, anonymement.
Emmanuel Faber, un plus gros acheteur de conseil que ses prédécesseurs ?
Pourtant, cette mission-ci se distingue peut-être un peu des autres. « Elle était exclusivement de niveau comex et archi confidentielle », glisse un ancien cadre du groupe. Puis, elle a été décidée en direct par Emmanuel Faber, selon les informations de Consultor.
Lui-même passé par Bain and Company en début de carrière, où il ne restera que deux années avant de poursuivre en tant que consultant pour la banque britannique multiséculaire Barings Brothers (disparue en 1995), certains observateurs voient dans cette dernière mission sa tendance à en acheter davantage que son prédécesseur.
« Le recours aux cabinets de conseil s’est probablement accru sous son management », pousse une autre observatrice du groupe.
Quand un autre consultant actif chez Danone, et hostile à Emmanuel Faber, voit dans la mission McKinsey « une mission de commande d’Emmanuel Faber. On vous demande de faire passer un vieux château Louis XVI pour une maison art déco, et vous le faites. Même si le plan n’a aucun sens : les eaux ce sont les CHR, les produits laitiers la grande distribution et les produits infantiles des circuits spécifiques comme les pédiatres. Quelles sont les synergies ? Non, l’objectif était de maquiller la déroute des produits laitiers ».
Une source qui indique aussi que la mission n’a pas été de tout repos pour McKinsey, mis sous pression par Danone – client et consultant allant même au clash sur la pertinence de fusionner les forces de vente des différents métiers du groupe.
Des allégations que ni McKinsey, ni Danone, ni Emmanuel Faber n’ont souhaité commenter après avoir été sollicités par Consultor.
Inversement à leur objectif initial qui était de calibrer au plus juste Local First, les travaux de McKinsey ont-ils pu participer au départ d’Emmanuel Faber ? Notamment parce que le plan auquel le cabinet a concouru aurait été présenté tardivement au conseil d’administration, comme l’a suggéré Le JDD ?
Vives dénégations au conseil d’administration du groupe : « On savait que McKinsey travaillait. Ce n’était pas du tout secret, on l’a su très vite. Sur un sujet d’organisation tel que celui-là, il était archi normal de recourir aux services d’un cabinet. Mais le CA n’a pas du tout vocation à connaître toutes les missions de conseil qui ont cours en interne, il n’en verrait jamais le bout. Dans un groupe de 30 milliards d’euros de CA, des consultants il y en a à peu près partout. »
Plusieurs autres sources disent également de concert que McKinsey n’était absolument pas le sujet, encore moins celui du conseil d’administration, et que le départ d’Emmanuel Faber a été motivé par des préoccupations managériales, de gouvernance et de performance.
En attendant, Clarisse Magnin-Mallez (leader du pôle d’activités consumer de McKinsey pour l’ensemble de la zone Europe, Moyen-Orient et Afrique) qui, selon les informations de Consultor, est en charge de cette mission la poursuit encore à l’heure actuelle. Celle-ci devrait continuer jusqu’au démarrage de la réorganisation prévue par Local First. Une réorganisation qui a déjà commencé dans certains pays, est soumise à consultations en Europe et doit globalement se dérouler sur deux années.
En attendant la nouvelle direction générale
Sauf si le ou la nouvelle DG, dont la sélection est en cours et dont ce sera évidemment un dossier central, en décidait autrement, comme l’ont laissé entendre à Consultor certains actionnaires, indiquant avoir obtenu des réassurances de Gilles Schnepp, le président de Danone depuis le départ d’Emmanuel Faber.
L’arrivée d’une nouvelle direction générale pourrait être l’occasion d’en savoir plus sur le contour de la mission de McKinsey. Comme souffle un autre administrateur à Consultor : « Quand une nouvelle direction générale sera choisie, je pense que nous aurons accès aux travaux. »
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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