Enquête – McKinsey : qu’est-ce qui cloche à Paris ?
Mandarins, légionnaires, jésuites… les métaphores abondent pour parler des consultants de la Firme, de leur proverbial niveau et de leur légendaire discrétion. Cet article ne viendra pas les contredire sur la discrétion : des très nombreuses sources sollicitées par Consultor, pas une n’a souhaité participer nommément à cet article.
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Pourtant, son sujet et la question qu’il pose sont au degré zéro de la polémique : alors que McKinsey était loin devant le BCG en l’an 2000, pourquoi le cabinet se classe-t-il bon second derrière le BCG en 2017 ?
Des chiffres tout simplement faux pour le bureau parisien de McKinsey, qui ne souhaite ni en apporter de plus précis ni commenter cet article. Et une question nulle et non avenue à entendre nos interlocuteurs, pour qui il n’y a que des louanges à faire au sujet de McKinsey en France. La culture de numéro un y règne en maître. « One of its kind », comme on aime à dire en interne.
Culture de l’excellence
Sur les niveaux des équipes : « J’avais un petit côté vaniteux avant de rentrer. Sur le mode, je suis le plus intelligent. En arrivant, je me suis senti le plus c… », témoigne un ancien – sous couvert d’anonymat comme le feront tous les participants à cet article.
Sur le rapport à la concurrence : entre McKinsey, BCG et Bain, on ne se mélange pas, tout du moins du point de vue des McKinsey. « C’est les bleus contre les verts et les rouges, et pas de mélanges des genres qui vaillent », dit cette même source.
Sur le niveau des recrutements : McKinsey ne veut pas avoir une image de compétiteur et veut se donner un côté de finesse que n’aurait pas son concurrent de la rue Saint-Dominique. « Chez eux, quand ils veulent ferrer quelqu’un, un directeur descendait avec une bouteille de champagne et donnait une tape sur l’épaule. McKinsey voulait la jouer plus fine et faisait envoyer un bouquin chic sur la voile au candidat dont le CV évoquait l’amour du bateau », raconte, sans ironie, une autre source. Quel sommet d’élégance !
Sur l’intégration du bureau de Paris dans un réseau global, la « One firm » est la valeur cardinale. « “Absolument pas besoin de parler bureau par bureau” : c’est la ligne en interne », précise aussi cette seconde source. Ce qui évite de s’embarrasser d’un décompte des effectifs et de l’activité bureau par bureau .
Une réalité plus nuancée
La réalité du partnership, la vie des bureaux et la situation de Paris sont plus nuancées. Sa culture, un demi-siècle après son développement en Europe, demeure profondément américaine. « Les centres de pouvoir ne sont pas à Paris. Clairement, si on veut monter dans le groupe, il faut être à New York pour toucher aux plus gros clients et aux partners les plus influents », dit un fin connaisseur de McKinsey aux États-Unis.
Dans un article du mensuel allemand Manager Magazin de décembre 2015, vivement contesté par McKinsey – au point selon la presse allemande de provoquer le départ d’un de ses associés outre-Rhin –, on découvre un McKinsey à la culture américaine prédominante.
Parce que l’Amérique du Nord y réalise presque la moitié du chiffre d’affaires du groupe mondialement (3,4 sur 8,4 milliards de dollars en 2015 ; 3,1 sur 7,7 milliards de dollars en 2014, selon les chiffres de Manager Magazin).
Une gouvernance très américaine
Une prédominance qui se traduit par l’omniprésence américaine dans les instances de direction : sept Américains sur douze « leaders » (responsables de zones géographiques, industries, fonctions, talents, finances, risques…) au sein de l’Operating Committee, chargé de suivre au jour le jour la bonne application des orientations du cabinet, selon les informations communiquées à l’ensemble des partners par Dominic Barton, le patron sortant de McKinsey, dans une communication interne du 16 juin 2015.
C’est ce comité que Jean-Christophe Miezsala, l'ancien directeur général en France, a rejoint à la fin de son mandat à Paris. Une prédominance qui s’exprime aussi dans le suivi serré de l’activité extra-américaine, jusqu’au choix des bureaux, des hôtels et lignes aériennes obligatoires, les recours aux classes économiques pour des vols de moins de quatre heures, selon le récit du Manager Magazin.
Pareil management interroge sur la place que Paris peut avoir alors que le bureau est nettement moins important que celui de l’Allemagne par exemple. « Aucun partner ne rentre à Paris sans avoir reçu l’aval d’un comité ad hoc aux États-Unis. Et ce comité ne se réunit que trois ou quatre fois par an. Cela limite le champ des possibles », dit une source. Ce management suscite en tout cas une certaine fronde de la part des associés du cabinet qui, lors d’une réunion à Rio en octobre 2014, dont Manager Magazin fait le récit, réclament à Dominic Barton – qui sera remplacé en juillet par Kevin Sneader – une gouvernance plus ouverte.
Pour y répondre, en juin 2015, Dominic Barton lance une task force composée de vingt-quatre directeurs associés et principals – dont la Française Clarisse Magnin-Mallez. « Le premier effort de ce type depuis plus de quinze ans, écrivait-il dans un mail aux associés en date du 16 juin 2015. Bien que nous soyons un partnership de plus de 1 500 personnes, une centaine d’équipes de quinze à vingt-cinq partners […] opèrent à des niveaux de magie très différents. »
McKinsey à Paris : « Comme un hôtelier qui offre le gîte et le couvert »
Dans ce contexte, « McKinsey en France est comme un hôtelier qui offre le gîte et le couvert à des équipes sectorielles qui sont gérées à l’international », analyse une autre source. Comme Homayoun Hatami, major de la Sloan Schoof of Management du MIT, qui a intégré McKinsey outre-Atlantique, et vient récemment de prendre la direction du bureau de Paris. Une forme de reprise en mains orchestrée depuis les US ? Homayoun Hatami n’était pas nécessairement le profil le mieux identifié à Paris où des noms tels que ceux de Pierre-Ignace Bernard, qui codirige le pôle d’activité institutions financières en Europe, ou Matthieu Pélissié du Rausas (directeur associé senior depuis 2007, parti du cabinet en juillet 2017) ont circulé.
Certes trois profils franco-français plus classiques, Yann Duschesne, Éric Labaye et Jean-Christophe Miezsala, l’ont précédé. Et avec eux, la croissance des effectifs a suivi. « Quand je les ai connus, ils étaient 80 », se souvient Jean-Baptiste Hugot qui édite et rédige le Guide du conseil depuis plus de vingt ans. Ils étaient 330 à Paris en février 2015. En revanche, l’objectif d’accroître le pouvoir d’influence de McKinsey auprès des décideurs de l’Hexagone n’a été que partiellement atteint. Pour plusieurs raisons qui expliquent en partie sa place de second aujourd’hui.
Primo, les RH, la substantifique moelle du conseil de direction générale. Clairement, McKinsey ne s’est pas autorisé le recours à des partners venus de l’extérieur, sauf exception comme François Soubien chez McKinsey Paris depuis 2014 après avoir été partner chez PwC. Là où le BCG a de toute évidence ouvert les vannes des recrutements latéraux d’associés : citons David Benichou et Renaud Montupet arrivés d’AlixPartners, Benjamin Entraygues, Philippe Plouvier et Ali Rekik de Roland Berger, Gilles Fabre d’Accenture et Loïc Mesnage de PwC.
« Les arrivées de partners sont extrêmement difficiles. Il y a vingt-cinq tours d’entretiens et les profils intéressants doivent faire le tour de la planète avant éventuellement d’être intégrés. Alors que certains clients voudraient autre chose que des “babys Mac” qui ont fait toutes leurs classes au sein du cabinet au moment de signer des chèques d’un ou plusieurs millions et de prendre des décisions très structurantes pour leur organisation », glisse une source.
Deuxio, le marché français du conseil est plus étroit que d’autres, on y a moins l’habitude des missions monstres. « En France, on dépense moins et on fractionne. Alors que McKinsey a besoin de mission de 10 à 15 millions d’euros et, là, roulez jeunesse, des bataillons déboulent. Ils savent moins faire sur des missions à 400 000 euros », commente un observateur du marché.
McKinsey est plus cher que son concurrent. Jusqu’à 9 000 euros par jour pour les plus seniors des associés. La douloureuse en a détourné certains.
Le cabinet subirait aussi – le revers d’un réseau hors norme – une certaine lourdeur politique. Ou comme dit un autre patron dans la concurrence : « McKinsey est un cabinet de signature et pâtit sans doute de son côté institutionnel. La grande dame à qui les CEO demandent d’avaliser politiquement leurs décisions. Ce qui lui donne un petit côté old fasioned là où le BCG a su mieux prendre le virage de la digitalisation. Sujet sur lequel il a pris de gros chantiers. »
C’est une autre des raisons de la seconde place de McKinsey à Paris, non pas une certaine sous-performance, mais la surperformance de son principal concurrent. « Je pense que le shift vis-à-vis du BCG a dû se faire voilà quelques années quand le BCG a obtenu plusieurs gros contrats dans la banque [comme l’intégration de Fortis au sein de BNP Paris par exemple, NDLR] », analyse Jean-Baptiste Hugot. Sans parler de la débauche de nouvelles lignes de services déployées par les « verts » de la rue Saint-Dominique : l’usine 4.0 de Saclay, les bataillons de data scientists du BCG Gamma, son activité de retournement BCG Turn…
Autres pistes d’explication, le tropisme industriel de McKinsey dans une industrie tricolore qui ne cesse de se rétrécir. Fleury Michon, Solvay, Servier, Ascométal… tous ont été clients.
Enfin, sans doute le revers de la culture de l’excellence si prégnante en interne, ce je-ne-sais-quoi d’ego ou de suffisance qui peut parfois froisser certains clients. Qui soit réalisent un peu tard qu’on leur rabâche des évidences à prix d’or ; soit se rendent compte qu’ils sont contournés en interne par le réseau McKinsey. Comme lors du comité de pilotage d’un groupe industriel où McKinsey explique avoir déjà briefé le PDG du groupe sur le contenu de ses recommandations… avant de les avoir présentées au commanditaire de la mission.
Benjamin Polle pour Consultor.fr
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commentaires (1)
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France
- 18/11/24
L’un des ténors du BCG en France, Guillaume Charlin, 54 ans, patron du bureau de Paris entre 2018 et 2022, serait en passe de quitter le cabinet.
- 15/11/24
Toutes les entités de conseil en stratégie ne subissent pas d’incendies simultanés, comme McKinsey, mais chacune peut y être exposée. La communication de crise dispose-t-elle d’antidotes ? Éléments de réponse avec Gantzer Agency, Image 7, Nitidis, Publicis Consultants - et des experts souhaitant rester discrets.
- 15/11/24
Le partner Retail/Consumer Goods d’Oliver Wyman, Julien Hereng, 49 ans, a quitté tout récemment la firme pour créer son propre cabinet de conseil en stratégie et transformation, spécialisé dans les secteurs Consumer Goods, Luxe et Retail, comme il le confirme à Consultor.
- 13/11/24
À l’heure où les premiers engagements d’entreprises en termes d’ESG pointent leur bout du nez (en 2025), comment les missions de conseil en stratégie dédiées ont-elles évolué ? Toute mission n’est-elle pas devenue à connotation responsable et durable ? Y a-t-il encore des sujets zéro RSE ? Le point avec Luc Anfray de Simon-Kucher, Aymeline Staigre d’Avencore, Vladislava Iovkova et Tony Tanios de Strategy&, et David-Emmanuel Vivot de Kéa.
- 11/11/24
Si Arnaud Bassoulet, Florent Berthod, Sophie Gebel et Marion Graizon ont toutes et tous rejoint le BCG il y a plus de six ans… parfois plus de dix, Lionel Corre est un nouveau venu ou presque (bientôt trois ans), ancien fonctionnaire venu de la Direction du Trésor.
- 08/11/24
Trois des heureux élus sont en effet issus des effectifs hexagonaux de la Firme : Jean-Marie Becquaert sur les services financiers, Antonin Conrath pour le Consumer, et Stéphane Bouvet, pilote d’Orphoz. Quant à Cassandre Danoux, déjà partner Stratégie & Corporate Finance, elle arrive du bureau de Londres.
- 30/10/24
L’automne fait son œuvre au sein de la Firme, les feuilles tombent… et les partners aussi. Les nouveaux départs sont ceux de Flavie Nguyen et Thomas London.
- 29/10/24
Julia Amsellem, qui a rejoint l’entité de conseil en stratégie d’EY en 2017, et Étienne Costes, engagé depuis 2013, font partie des 17 membres du nouveau comex d’EY dans l’Hexagone.
- 23/10/24
C’est une étude coup de poing que le cabinet Oliver Wyman a réalisée à titre pro bono pour le collectif ALERTE (fort de 35 associations, dont Action contre la Faim, Médecins du Monde et ATD Quart Monde) dédié à la pauvreté et à l’exclusion. Elle est intitulée « Lutter contre la pauvreté : un investissement social payant. » L’une des conclusions plutôt contre-intuitive : combattre la pauvreté par des financements serait un investissement gagnant-gagnant, pour les personnes concernées comme pour l’économie nationale. Les analyses du président d’ALERTE, Noam Leandri, et de Jean-Patrick Yanitch, partner à la tête de la practice Service public et Politiques publiques en France.