McKinsey au Canada : la plus-value indéterminée des contrats avec le gouvernement Trudeau
Un rapport mandaté par la Chambre des communes du Canada dénonce les pratiques d’attribution de contrats à McKinsey par le gouvernement fédéral ainsi que d’autres structures publiques, et l’absence totale de mesure du résultat des missions.
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Couvrant la période 2011-2023 et réalisé par le Bureau de la Vérificatrice générale du Canada Karen Hogan, ce rapport porte sur 97 contrats attribués à McKinsey, pour une valeur totale de 209 millions de dollars canadiens. Sur ces 209 millions, 200 ont effectivement été dépensés.
L’enquête s’est focalisée sur les conditions d’attribution des contrats à McKinsey dans le respect des politiques d’approvisionnement en vigueur. Elle s’est aussi intéressée au rapport qualité-prix des missions effectuées pour le compte du secteur public fédéral.
Au Canada, la Vérificatrice générale est une agente du Parlement dont la mission est d’auditer les opérations du gouvernement fédéral et des gouvernements territoriaux et de fournir au Parlement ainsi qu’aux assemblées législatives des informations ou avis sur la gestion des fonds publics.
La flambée des contrats McKinsey entre 2018-19 et 2023
Comme le montre le graphique ci-dessous, alors que la firme avait perçu moins de 3 millions de dollars par an de 2012 à 2014-2015 dans le cadre de ses prestations pour le gouvernement fédéral, différentes agences et les sociétés d’État, elle a touché 10 millions de dollars annuels en 2015-2016 — et plus de 55 millions en 2021-2022.
Graphique extrait du rapport du Bureau de la Vérificatrice générale du Canada
Ce rapport, tout comme celui de l’ombud de l’approvisionnement remis en avril dernier, s’inscrit dans le prolongement d’une enquête journalistique menée par Radio-Canada. Le média avait en effet relevé l’augmentation astronomique des montants versés par le gouvernement et diverses agences fédérales à McKinsey, à partir de l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Justin Trudeau.
De multiples irrégularités d’attribution
Sur les 97 contrats analysés, 28 seulement ont été attribués à la suite d’une procédure de mise en concurrence. Or, pour 10 d’entre eux, « la documentation et l’évaluation des soumissions » ne permettaient pas de justifier leur attribution à la firme. Par ailleurs, les offres de 6 de ces contrats avaient été « structurées pour faciliter la tâche de McKinsey ». Quant aux 69 obtenus sans appel d’offres, une « absence fréquente de justification » de ce procédé a été observée.
Le Bureau de la Vérificatrice générale du Canada s’est également intéressé aux contrats supplémentaires et non compétitifs — pour des « travaux continus ou connexes » — obtenus par McKinsey à la suite de l’attribution de premiers contrats concurrentiels ou non. Le tableau ci-dessous en témoigne.
Tableau extrait du rapport du Bureau de la Vérificatrice générale du Canada
L’attribution de ces contrats, pour des montants significatifs et dans de telles conditions, révèle une « dépendance excessive » au fournisseur initial et ne permet pas de « maximiser le rapport qualité-prix » des prestations concernées, selon Karen Hogan.
Par ailleurs, le fait que Services publics et Approvisionnement Canada, un organisme expert en passation de marchés au gouvernement, n’ait pas « remis en question les décisions des organisations fédérales » alors même qu’il attribuait ces contrats en leur nom, témoigne de sérieux dysfonctionnements.
L’argent public a été investi sans que l’on puisse en mesurer l’impact
Mais le plus « étonnant » est sans doute ailleurs. Ainsi, pour 15 des 33 contrats de l’échantillon pris en compte, la « documentation » fournie ne permet pas de s’assurer de la nécessité même d’une prestation ! Aucune explication ne figure quant aux besoins auxquels les contrats sont censés répondre.
Autre élément problématique, le fait que, pour 30 d’entre eux, les organisations fédérales n’aient pas effectué d’estimation des coûts suffisamment détaillée avant de recevoir des propositions. Le rapport souligne qu’en l’absence d’évaluation précise préalable, il est difficile pour une organisation de déterminer si les bénéfices attendus nécessitent d’investir les sommes requises.
Par ailleurs, 15 de ces contrats n’ont pas bénéficié de suivis réguliers de l’avancement des missions. L’ensemble des livrables n’a pas été remis dans le cadre de 6 contrats et, lorsqu’ils ont été fournis, ces derniers n’ont pas permis d’obtenir les résultats escomptés (3 contrats). Pour 5 d’entre eux, le Bureau de la Vérificatrice générale n’a pas été en mesure de déterminer quels étaient les résultats attendus.
Une offre permanente portant sur des services IT annulée
Face aux multiples irrégularités constatées et dans la mesure où deux autres rapports avaient déjà été présentés [dont celui du Bureau de l’ombud de l’approvisionnement, déjà mentionné], Karen Hogan a préféré se limiter à une unique recommandation : que toutes les organisations fédérales respectent les avis préalablement émis et « qu’elles mettent en œuvre un processus proactif pour recenser les conflits d’intérêts » dans le cadre des processus d’approvisionnement.
Toutes les agences et structures publiques visées ont accepté cette recommandation. Quant au ministre des Services publics et de l’Approvisionnement du Canada, il a déclaré que « ce rapport guiderait le gouvernement dans le travail qu’il a déjà entamé », selon nos confrères de Radio-Canada.
L’une des conséquences immédiates des investigations menées sur ces contrats a été le « non-renouvellement » d’un contrat fédéral ouvert sans valeur monétaire jusqu’en 2100 au profit de McKinsey, pour des services IT. Une offre permanente qui a expiré en février 2023.
Dans un communiqué de presse, le porte-parole de McKinsey a préféré retenir que ce rapport n’avait relevé « aucune action inappropriée » du cabinet dans l’obtention des contrats fédéraux.
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