Le gouvernement fédéral canadien soupçonné de favoritisme envers McKinsey
Selon le rapport d'un organisme gouvernemental canadien indépendant, la majorité des contrats fédéraux attribués à McKinsey par le gouvernement canadien depuis 2021 l’ont été sans appel d’offres.
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10 ministères et/ou agences ont été passés au crible par le Bureau de l’ombud de l’approvisionnement (BOA), une organisation du gouvernement canadien qui contribue à la résolution de différends contractuels entre les entreprises et le gouvernement fédéral. Saisi par le Premier ministre Justin Trudeau à la suite d’une enquête de Radio-Canada, cet organisme s’est intéressé aux contrats attribués à McKinsey par le gouvernement d’avril 2011 à mars 2023.
L’augmentation considérable des montants versés à la firme depuis l’arrivée au pouvoir en 2015 du Parti libéral du Canada (dirigé par Justin Trudeau) est à l’origine de ces investigations.
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Le Secrétariat du Conseil du trésor (SCT), l’organe de supervision des dépenses de la fonction publique canadienne, a fait connaître ses premières conclusions quant à l’essor des contrats de conseil attribués à McKinsey sous les gouvernements de Justin Trudeau.
Si la valeur des contrats attribués au géant du conseil américain est restée stable et modérée de 2011 à 2017, à partir de 2018, une augmentation a eu lieu, avec un emballement entre 2019 et 2022. S’élevant à 117 millions de dollars en tout, ces contrats concernent la Défense nationale, Immigration Canada, l’Agence des services frontaliers, Exportation et développement Canada ou encore la Banque de développement du Canada.
Dans le détail, 32 contrats et une Offre à commandes principale et nationale (OCPN) attribués à McKinsey ont été examinés par le Bureau de l’ombud de l’approvisionnement et son responsable, Alexander Jeglic. Cette OCPN devait permettre au gouvernement fédéral de solliciter le géant du conseil jusqu’en 2100.
Concrètement, ce type d’accord entre le gouvernement et une entreprise permet à la seconde de fournir des biens ou services selon des conditions et coûts préétablis. Un contrat « subséquent » peut ensuite être attribué à l’entreprise pour qu’elle fournisse les services précisés dans l’offre. L'offre peut être établie avec un fournisseur unique, ou plusieurs. Dans le premier cas, cela doit être justifié. Or, selon le rapport publié en mars, ce n’est pas le cas.
Dès 2021 donc, les contrats attribués à McKinsey l’ont été majoritairement sans appel d’offres – « en l’absence des informations requises pour justifier un fournisseur unique » – la plupart de ces prestations résultant de l’OCPN précédemment citée.
Autre élément important du rapport, le fait que la plupart des commandes subséquentes n’aient comporté aucune description des travaux spécifiques attendus de la part du cabinet américain.
Par ailleurs, dans le cadre de processus concurrentiels cette fois, deux incidents ont été relevés par le Bureau de vérification général du Canada. Les processus en question auraient été modifiés pour permettre à McKinsey d’être soumissionnaire.
Le ministère des Services publics et de l’Approvisionnement mis en cause
Ce ministère, qui pilote la plupart des contrats ou offres qui ont été examinés, n’a pas été en mesure de prouver que « les principes fondamentaux d’équité, d’ouverture et de transparence ont été respectés ». Le rapport estime donc qu’il a fait preuve « d’un manque de surveillance adéquate ».
Par ailleurs, face à ces soupçons, McKinsey Canada a affirmé « respecter les lois, les règlements et les règles applicables sur les marchés publics dans le cadre de tous ses mandats ». Le cabinet a également indiqué, dans un communiqué de presse, avoir « mené un travail non partisan ».
Avant même la présentation du rapport, le gouvernement fédéral a, de son côté, annoncé réduire ses dépenses de conseil et modifier ses pratiques d’attribution des contrats.
Les liens entre le Premier ministre canadien et un ex-CEO de McKinsey dans le viseur
L’influence de McKinsey fait l’objet d’une controverse politique depuis plusieurs années, notamment en raison de la proximité supposée entre Dominic Barton – CEO de la firme de 2009 à 2018 – et Justin Trudeau.
Début 2023, Dominic Barton a ainsi été auditionné par la Chambre des Communes du Canada, précisément sur l’augmentation significative des montants alloués à son cabinet via des contrats fédéraux — de 2 millions sous le gouvernement conservateur précédent (jusqu’en 2015) à plus de 100 millions sous le gouvernement libéral actuel. Les parlementaires se sont aussi intéressés au rôle de l’ex-CEO de McKinsey à la tête d’une commission chargée de réfléchir à l’avenir du Canada, mise en place par Justin Trudeau en 2016.
Les liens personnels de Dominic Barton avec le Premier ministre ont été questionnés. Lors de discours officiels, Justin Trudeau l’a par exemple remercié de l’avoir introduit à de nombreuses personnalités à Davos, tout en énumérant ses qualités. Après la nomination de Dominic Barton comme ambassadeur du Canada en Chine (2019-2021), la vice-première ministre canadienne, Chrystia Freeland, a qualifié la relation des deux hommes de « personnelle », l’ex-CEO de McKinsey bénéficiant d’un accès « proche et direct » au Premier ministre selon elle.
Les parlementaires ont par ailleurs interrogé Dominic Barton sur la crise des opioïdes, le cabinet ayant conseillé plusieurs Big Pharma pour inonder le marché nord-américain de médicaments antidouleur en minimisant leurs effets secondaires et leur potentiel addictif.
Le gouvernement de la province de Colombie-Britannique a intenté une action collective au nom du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires contre 40 laboratoires pharmaceutiques — et contre McKinsey pour son rôle de conseil. En septembre 2023, le gouvernement du Québec a fait part de son intention de se joindre à cette action collective.
>> Le rapport du BOA peut être consulté ici.
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