Médias : les recompositions en cours amènent la Ligue 1 de foot sur DAZN
DAZN et beIN Sports détiennent les droits de la Ligue 1 du foot français jusqu’en 2029. Que « dit » cette attribution des recompositions en cours dans le secteur des médias ? Éléments d’analyse avec Circle Strategy, Eleven et Eight Advisory Strategy & Operations.
Depuis le 16 août et durant les cinq prochaines saisons, la plateforme britannique DAZN – souvent qualifiée de Netflix du sport – et la chaîne qatarienne beIN Sports diffusent donc les matchs de foot de Ligue 1. Si les dés sont jetés, cette attribution a pris des airs de feuilleton - dans un paysage média en proie à différents types de « mouvements ».
Nouveaux acteurs, financement et monétisation, phénomènes de concentration… Pierre-Éric Perrin d’Eight Advisory Strategy & Operations – accompagné de Florence Khayat du département Transaction Services d’Eight -, Bertrand Grau de Circle Strategy et Jean-Charles Ferreri d’Eleven, livrent leurs observations.
La problématique des droits du foot français dans un contexte d’audience fragmentée
Pour Bertrand Grau, senior partner et COO de Circle Strategy, les résultats de cette attribution « témoignent effectivement de mouvements plus profonds dans l’univers des médias ». Pour les droits de diffusion de la Ligue 1, les acteurs du secteur font face « à une équation économique : le nombre d’abonnés multiplié par le montant de l’abonnement doit réussir à financer ces droits – alors que l’audience dispose d’un choix beaucoup plus large qu’il y a quelques années et que le montant des droits a explosé ».
Par ailleurs, selon Pierre-Éric Perrin, associé en charge de la Stratégie de croissance chez Eight Advisory Strategy & Operations, cofondateur du cabinet Mawenzi Partners acquis par Eight en juin 2024, « les médias historiques du paysage audiovisuel français n’ont pas vraiment besoin d’une offre ‘complète’ sur le football hexagonal. Avec des consommateurs passant d’un opérateur à un autre, habitués à une offre très fragmentée, ces droits de diffusion ne permettent pas de s’assurer d’une base d’abonnés pérennes ».
Dès lors, les acteurs adoptent différentes stratégies. « Des chaînes TV payantes généralistes comme Canal + privilégient les contenus premium : les événements sportifs sur lesquels ils se positionnent doivent capter autant d’audience qu’une grande série ou un grand film ». Quant aux chaînes ou plateformes spécialisées dans le sport, « elles peuvent adopter une stratégie ‘volume’ – comme DAZN qui couvre un maximum de sports sans aller chercher les top contenus qui lui coûteraient trop cher, sachant que la plateforme a aussi, hors de France, une activité de paris sportifs, et une boutique ». Des chaînes payantes comme beIN Sports optent, elles, pour des contenus premium en proportion réduite. « Elles proposent des produits d’appel tels que le foot ou le tennis avec quelques grands événements, et une offre plus large - et ‘basique’ - sur le sport ».
Florence Khayat, Co-Head Transaction Services France notamment en charge de la practice TMT chez Eight Advisory, complète : « Qu’elles soient gratuites avec des revenus uniquement publicitaires ou payantes avec des revenus pub et abonnés, toutes les chaînes cherchent à optimiser leurs coûts de grilles des programmes. La question du retour sur investissement est donc centrale ».
Certains acteurs fonctionnent par ailleurs de façon opportuniste. C’est le cas d’Amazon Prime Vidéo, qui avait eu « un coup à faire » lors de la réattribution des droits précédents, pour un montant beaucoup plus faible - 250 millions d’euros - que dans l’appel d’offres initial à la suite du défaut de paiement du groupe espagnol Mediapro. Comme le modèle d’Amazon Prime Video ne repose pas sur ce type de contenus, la plateforme ne s’est pas positionnée sur le nouvel appel d’offres 2024-2029. Netflix de son côté « récupère des droits pour traiter les contenus dans un format documentaire, ce qui lui permet d’être présent sur le segment du sport sans investir des sommes folles », ajoute Pierre-Éric Perrin.
En contrepoint, Jean-Charles Ferreri, senior partner chez Eleven et expert TMT / digital notamment, souligne que les péripéties des derniers mois dans l’attribution des droits du foot sont liées « à un processus moins bien structuré qu’ailleurs en Europe, à savoir : une double attribution à un acteur installé – qui cherche à rentabiliser un business plan et vise la continuité, sans vouloir payer le prix le plus élevé du marché - et un acteur challenger, prêt à payer très cher des droits exclusifs pour capter des abonnés ».
La structure du modèle média ambiant - et ses évolutions
Depuis plusieurs années, pour faire face à la disruption des nouveaux entrants – « des acteurs internationaux – souvent des plateformes - qui peuvent amortir les droits et coûts de production sur une base ou une nature d’activités très larges », indique Bertrand Grau -, les chaînes ou groupes de presse historiques cherchent à diversifier leurs sources de revenus.
Or, comme exprimé précédemment, le modèle média actuel repose sur la publicité et les abonnements. Selon l’étude de PMP Strategy, l’Arcom et la DGMIC (Direction générale des Médias et des Industries Culturelles du ministère de la Culture) en 2024, les recettes publicitaires devraient passer de 15 Md€ en 2022 à 18 Md€ d’ici 2030 : 65 % de ces recettes seraient captées par les acteurs du numérique dans 6 ans (52 % en 2022), et près de la moitié par des plateformes extra-européennes (33 % en 2022).
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PMP Strategy a réalisé une vaste étude, publiée en ce début d’année, pour le compte du ministère de la Culture et de l’Arcom. Le sujet : le financement des médias par la publicité. Considéré comme le quatrième pouvoir, le secteur des médias, hautement stratégique, est en pleine mutation. Compte-rendu de mission à forts enjeux avec Alexandre Hennequin, directeur associé TMT chez PMP Strategy, et Théophile Megali, chef d’orchestre de cette étude à l’Arcom.
Bon nombre d’entités sont donc en quête « de convergences entre la donnée, le contenu et la diffusion » selon Jean-Charles Ferreri. « Ces modèles sont très bien calculés par des Amazon, Netflix – qui a signé des partenariats avec un grand distributeur en retail [Carrefour, ndlr] – ou Canal + qui est en train de faire évoluer son modèle vers la SVOD, à l’international notamment ».
Quant à la recherche de revenus additionnels, elle passe « par l’organisation d’événements, avec des médias B2B très orientés networking pour générer de nouveaux abonnements », indique Pierre-Éric Perrin. De nombreux acteurs misent aussi sur des acquisitions pour générer de nouveaux revenus potentiels. Cette croissance externe peut concerner d’autres domaines, « qui vont permettre de produire des revenus - sur les petites annonces par exemple, ou sur de l’intégration verticale donnant la possibilité de gagner en efficacité sur de la génération de contenus ». Eight Advisory accompagne plusieurs clients dans cette optique.
Pour Florence Khayat, « c’est le sens de l’Histoire ». La partner mentionne l’accompagnement de son cabinet réalisé lors de l’acquisition toute récente du studio de production Asacha Media Group par le groupe de production audiovisuelle Fremantle, dont l’actionnaire est RTL Group.
Si l’on pense à la presse – c’est aussi vrai pour l’audiovisuel -, ces phénomènes de concentration créent des sujets d’indépendance. « On constate toutefois que, dans la mesure du possible, les instances de gouvernance des groupes concernés cherchent à garantir l’indépendance des différents acteurs » - selon Florence Khayat toujours. Pierre-Éric Perrin rappelle par ailleurs que, dans le cadre de la fusion envisagée entre TF1 et M6, « la régulation avait été extrêmement protectrice puisque le projet n’avait pas passé ces fourches caudines-là ». Selon lui, la dimension de concentration est néanmoins nécessaire « pour l’industrialisation des médias en France afin d’aller gagner des audiences qui sont, évidemment, le nerf de la guerre dans ce secteur ».
Le rôle des cabinets de conseil en stratégie dans les recompositions en cours
Bien que le secteur des médias ne soit pas le principal pourvoyeur des missions de conseil, il y a toujours des budgets pour de la réflexion stratégique. Tous les partners interrogés le confirment.
Eight Advisory assiste les entreprises « dans le cadre d’opérations de rapprochements, d’acquisitions/cessions ou bien d’accompagnement à la transformation afin de leur permettre de construire un modèle opérationnel performant » - selon Pierre-Éric Perrin.
Pour Circle Strategy, Bertrand Grau confirme que, « dans des environnements très complexes où les modèles économiques mêlent de la réglementation et des sujets de marché, avec la nécessité de designer des offres en tenant compte d’une multiplicité de paramètres, les cabinets de conseil en stratégie ont la capacité à simplifier, rationaliser et traiter l’ensemble des éléments pour aider les dirigeants dans leurs décisions ».
Quant à Jean-Charles Ferreri d'Eleven, il met en avant « des sujets de partenariats ou de consolidation entre des acteurs qui historiquement ne se connaissaient pas assez – ceux de la data ou de la tech et les médias plus traditionnels. Des sujets de droits sportifs se présentent également ».
Et quand on demande au senior partner comment il envisage l’avenir du secteur – si une stabilisation pourrait se profiler par exemple – il est catégorique : « le secteur des médias est parti pour dix ans de transformations ! ».
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