Private Equity : l’éclatement d’une bulle
Les cessions d’actifs sont moins nombreuses dans l’attente d’une conjoncture plus favorable. Une forte pression pèse sur les sociétés de conseil. Récit.
Étude après étude, l’état des lieux sur le Private Equity confirme une situation sans précédent : la durée de détention des investissements s’allonge dangereusement. Il y a quelques jours, le « Global Private Equity Report 2024 » de Bain & Company pointait un impératif de liquidité pour les mois à venir. Cette situation fait suite à une année 2023 particulièrement éprouvante : à l’échelle mondiale, la valeur des transactions a chuté de 37 % et celle des débouclages de position de 44 %.
« Le secteur n’ose pas prononcer le mot “bulle”, réagit Alban Neveux, directeur général groupe d’Advention interrogé par Consultor. Pourtant, ce n’est pas jouer à se faire peur que de l’utiliser. Il exprime une situation très réaliste. Ce qui vient d’arriver au Private Equity n’a cependant rien de comparable à 2009, car à l’époque c’était une “bombe atomique” qui était tombée brutalement, un tsunami. » Même si « tout le monde savait que le capital-investissement était dans un haut de cycle, parce que c’est une industrie comme beaucoup d’autres ». Ainsi, il rapporte à Consultor que le taux d’avortement de cession a atteint un niveau historique très élevé : « Dans certains cas, il a pu atteindre 10, 15, 30, voire 40 %. Ce qui n’a jamais été vu. »
Des fonds PE sous la pression de livrer de la performance
Plus récemment, l’European Venture Report de Pitchbook portant sur le premier trimestre 2024 du capital-investissement européen relève l’absence de reprise pour les sorties. La situation est telle qu’il faut se préparer à ce qu’en 2024 les cessions de participation des fonds soient encore moins nombreuses qu’en 2023. Rémi Pesseguier, partner chez Singulier, confirme : « La crise actuelle du Private Equity s’illustre par des accords qui sont moins nombreux. » Il pointe la cause : la hausse brutale des taux d’intérêt. « Il est plus difficile de trouver des financements et également de valoriser les affaires, concède-t-il. Les transactions ne se font plus forcément à des ratios aussi élevés qu’avant. »
« Ce ralentissement très net des transactions entraîne une moindre réalisation de plus-values pour nos portefeuilles », alerte Stéphane Trarieux, responsable du département financement de l’économie de CNP Assurances, qui positionne des capitaux dans les fonds PE. Comme l’étude de Bain, il note deux types de comportements chez les gérants de fonds en capital-investissement, qui participent à limiter les liquidités disponibles pour opérer d’autres acquisitions : « Certains fonds ne mettent pas en œuvre d’action particulière et prolongent simplement la vie des fonds. D’autres utilisent la méthode des fonds de continuation : le gérant vend l’entreprise à un autre véhicule fonds géré par lui-même, financé en partie par d’autres investisseurs. Dans ce dernier cas, les fonds remplissent leur contrat en nous proposant une sortie en cash. » Ce cash, apporté par un investisseur tiers qui entre au capital, permet de fixer la valeur des parts à date.
Une question se pose autour de cette dernière pratique. En principe, l’usage d’un fonds de continuation indique que « la société a beaucoup de potentiel complémentaire », rappelle le partner de Singulier. « Ce type de fonds délivrera-t-il une performance in fine attractive ? s’interroge Stéphane Trarieux. Nous manquons encore de recul pour le savoir. » En attendant, la cession à un fonds de continuation permet d’appliquer des frais de gestion. Ce qui permet à la société de gestion de continuer à financer son fonctionnement et faire appel à des conseils externes.
Crise du PE : des causes différentes selon la taille des deals
Alban Neveux apporte de la nuance : « Plus le montant investi est important, plus l’ingénierie financière joue un rôle essentiel dans la construction de la création de valeur. Et plus le fonds s’intéresse à des acteurs small caps, plus ce sont la stratégie, l’agilité, le management, les spécificités, etc., de l’entreprise investie qui pèsent. » Les sociétés de conseil le savent, c’est là qu’elles apportent une plus-value déterminante pour créer les meilleures conditions possibles pour une sortie à un horizon de 5 ans.
En réalité, la tendance dessinée par les études globales ajoute du flou dans la compréhension et le suivi des tendances qui traversent le Private Equity. Ainsi pour les gros deals, par nature moins nombreux, mais très impactants, ce sont bel et bien les hausses de taux qui ont réduit le robinet du financement. C’est sur ce segment que les conseils privés ont vu leurs interventions sérieusement réduites et leurs organisations internes bousculées. La perspective d’une baisse de taux début juin pour ce qui concerne la BCE pourrait offrir un beau redémarrage des grosses cessions et acquisitions.
En revanche, pour les petites transactions, ce sont les risques liés à la perspective d’une récession économique qui ont bloqué les repreneurs. Cependant, les opérations ont beaucoup moins ralenti que pour les gros deals. Car, selon le Group CEO d’Advention, « l’argent est là, et les fonds vont vers plus de mid-cap et small cap, car les deals sont en plus grande quantité ».
Éviter de revivre 2006
De même, les études oublient aussi certains comportements culturels. « Les investisseurs anglo-saxons ont une logique beaucoup plus de flux, et acceptent davantage de céder un actif à 90-95 % de sa valeur pour réinvestir dans d’autres opportunités, partage Alban Neveux. Les investisseurs européens continentaux, dont les Français, ont plus une logique de stock, et préfèrent garder leur participation 2 ou 3 ans de plus, si elles ne sont pas au prix. » Cette réticence à céder un actif tient aussi au risque d’images de marque. Annoncer une vente décotée ou l’avortement d’une cession peut créer un trouble et une perte de confiance chez les consommateurs de l’entreprise concernée.
Actuellement, tout l’enjeu pour les sociétés de conseil est d’éviter aux fonds, qui les sollicitent, de se retrouver dans une situation analogue à celle de 2006, où ils ont mis 10 ans pour que les prises de participation soient valorisées positivement. Dit autrement, il s’agit de recommander des stratégies non attentistes pour développer des gains futurs croissants, en tout cas éviter qu’ils stagnent.
« Le travail sur le portefeuille est devenu beaucoup plus important, développe Rémi Pesseguier. Il crée des opportunités pour transformer les sociétés et le business par les dirigeants, réduire les coûts, créer de la valeur. Même si nous n’avons pas toujours les moyens de faire cela. » En effet, une partie de ces missions est de plus en plus confiée à des operating partners recrutés en interne. Le fonds connaît déjà l’entreprise, il n’a donc pas besoin d’accompagnement pour évaluer le potentiel de l’entreprise. « Au-delà de la due diligence, si le gérant réinvestit, c’est qu’il pense que la société va continuer à accélérer, poursuit-il. Il lui faut donc continuer à travailler sur sa performance et donc viabiliser la transformation. » Autant d’opportunités pour les conseils privés pour faire oublier les doutes et les adaptations des mois écoulés.
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- 17/12/24
Selon l’étude de NGP Capital, les start-ups de la tech fondées par des anciens du conseil en stratégie – McKinsey, le BCG, Bain et Roland Berger – réalisent des levées de fonds supérieures de 129 à 264 % au financement médian.
- 09/12/24
La liste s’allonge de jour en jour des départs de partners/seniors partners de chez McKinsey. C’est aujourd’hui au tour d’Éric Hazan, chez McKinsey depuis 17 ans, l’un des chefs de file en Europe des pôles de compétences Growth, Marketing & Sales et Digital & Analytics, membre du comité de direction du McKinsey Global Institute (MGI), think tank économique du cabinet.
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- 27/09/24
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- 09/09/24
Dans le cadre de la prise de participation (majoritaire) du fonds PAI Partners dans la marque de compléments alimentaires Nutripure auprès d’Ardian, ce sont deux cabinets de conseil en stratégie qui sont intervenus : Singulier (via sa coentreprise avec Indefi) auprès de Nutripure pour la vendor due diligence commerciale et digitale et Advancy auprès de l’acquéreur PAI Partners pour la due diligence stratégique.
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Ils sont trois cabinets de conseil en stratégie, Bain & Company, Singulier x INDEFI et Roland Berger, à avoir travaillé sur la prochaine acquisition (une part majoritaire) par le fonds Ardian de deux entreprises made in France de préparateurs culinaires haut de gamme, Magimix et son célèbre robot multifonctions, dédiée aux particuliers, et Robot Coupe pour les professionnels, 130 millions d’euros en 2022. Deux sociétés détenues par l’actionnaire historique, le groupe Hameur, et la famille de Jenlis, pour une valorisation estimée entre 1 et 1,5 milliard d’euros, selon Aroun Benhaddou du site L’Informé.
- 19/07/24
Le consultant de la firme PwC depuis 10 ans, Martial Thomazo, entré en 2018 au sein de son entité stratégie, Strategy&, est promu partner dédié à la plateforme Finance Strategy & Deals, rattaché à l’équipe Deal.
- 18/06/24Retournements, changements d’actionnaires : Kea mise sur des duos operating partner – senior partner
Dans un contexte de net développement du recours aux « operating partners » en France, une nouvelle filiale de Kea voit le jour : Opvise, et ses binômes alliant approche de direction et méthodo du conseil. Le contexte, les enjeux avec les promoteurs de l’initiative, Arnaud Gangloff et Christian Jacqui.