M&A et Private Equity : où est passée la reprise ?
En difficulté depuis au moins 2 ans, les marchés du private equity et du M&A n’en finissent pas de repartir. Face aux incertitudes, les cabinets de conseil en stratégie s’adaptent.
- Kéa constitue un pôle Private Equity en intégrant une partie de l’équipe Neovian
- Un quart des deals de Roland Berger réalisés en France en 2024
- Patrick Biecheler : du conseil en stratégie à la banque d’affaires
- Bain India : 15 à 20 % des consultants licenciés en raison des déboires du fonds Tiger Global
- Private Equity : l’éclatement d’une bulle
- Bain lance un fonds pour investir dans les entreprises de ses alumnis
- PE : Bain rachète une machine à deals new yorkaise

C’est la saison des bilans et perspectives pour les secteurs du M&A et du private equity. Bain vient de publier son rapport sur le marché mondial du M&A, comme PwC en février. Le premier est plus optimiste que le second sur les résultats de 2024, grâce à des choix de périmètre un peu différents. Mais au-delà de la présentation et du langage adopté, la problématique reste la même : l’amélioration des fondamentaux observée depuis fin 2024 va-t-elle se traduire par une vraie reprise en 2025 ? Et quelles en seront les conséquences pour les cabinets de conseil en stratégie, très actifs sur ces marchés ?
La plus mauvaise année depuis 2008
Tout le monde en convient : le marché du private equity a connu une année 2024 difficile en France. Si l’on revient un peu en arrière, avec Florin Istrate, partner chez Circle Strategy, « le nombre de transactions a explosé après le Covid, avant de s’effondrer en 2023. 2024 aura été une année en demi-teinte. Certes, le montant total des deals a un peu augmenté, mais ce résultat est lié à quelques très grosses opérations. Si l’on fait abstraction de ces transactions exceptionnelles, le marché est stable, voire en baisse ».
Or, rappelle Alban Neveux, CEO d’Advention, « pour le marché du conseil, le nombre d’opérations est essentiel. À cet égard, 2024 aura été l’une des plus mauvaises années depuis 2008 pour l’activité private equity. La différence étant qu’en 2008, nous avions subi un arrêt brusque de l’activité, suivi d’une reprise rapide. Cette fois-ci, nous avons plutôt affaire à une sorte de cancer qui s’est diffusé lentement, l’activité devenant petit à petit de plus en plus atone. De la même façon, la reprise devrait être lente et progressive ».
À l’origine du ralentissement, les suspects habituels : la guerre en Ukraine, l’inflation, les taux d’intérêt. Les grandes opérations ont souffert les premières, comme le rappelle Stéphane Salustro, Head of Deals chez PwC France/Maghreb. « La fermeture du marché du financement a affecté les deals de grande taille – du fait de financements moins disponibles sur ce segment. Dans un premier temps, small caps et mid caps ont montré une forte résilience. Mais depuis un an, le marché de l’endettement sur le large caps s’est rouvert, et la dynamique s’est inversée : les grandes transactions ont repris, tandis que les petits et moyens deals se sont faits moins nombreux. » C’est particulièrement vrai sur le marché du private equity, dont « l’écosystème alimente largement le marché du M&A. À l’échelle mondiale, les acteurs du private equity représentent entre 40 % et 45 % des transactions M&A ; mais, en France, nous nous situons plutôt autour de 55 à 60 % ».
Il s’est ajouté une situation de blocage sur le marché du private equity, décrite notamment par Alban Neveux : « Les acquéreurs escomptant faire de bonnes affaires pendant que les vendeurs restaient sur les repères très optimistes de 2021. » À cet égard, la situation est différente entre l’Europe continentale et le monde anglo-saxon. « Les États-Unis et le Royaume-Uni ont des marchés plus efficients, où les ajustements de prix se font plus vite. À Londres, on aura plus facilement tendance à accepter de vendre un peu moins cher afin de remettre rapidement l’argent au travail. En France, on tend à préférer attendre, quitte à refinancer. » Le marché peut donc mettre plus de temps à redémarrer.
D’autres spécificités expliquent la contre-performance française en M&A en 2024 – avec, selon le rapport PwC, une baisse de 29 % du nombre de dossiers M&A contre -18 % dans le monde. « La situation politique instable a eu un effet paralysant sur le marché. Les investisseurs n’aiment pas l’incertitude », souligne Stéphane Salustro. Florin Istrate ajoute le rôle de la « parenthèse enchantée des J.O., qui a eu tendance à ralentir le rythme des transactions ».
Enfin, « beaucoup de transactions M&A ne sont pas encore allées à leur terme, et n’entrent donc pas dans les statistiques », estime Stéphane Salustro. Idem dans le private equity : selon Alban Neveux, « en 2024, c’est près d’un deal sur quatre qui n’a pas abouti. Le marché n’a pas trouvé son point d’équilibre ».
L’année prochaine, on rase gratis
Quelles raisons y a-t-il de penser que les choses vont s’améliorer ? D’abord, les causes de la crise semblent s’estomper, avec la baisse de l’inflation et des taux. Parallèlement, pour Florin Istrate, « beaucoup d’achats ont été faits en 2021, et les dossiers arrivent à maturité : il va falloir vendre, puis réinvestir ». Stéphane Salustro apporte une nuance cependant : « Nous assistons à l’essor des fonds de continuation, qui permettent aux sociétés de gestion de conserver plus longtemps les fonds qui leur ont été confiés. Cela allège la pression à vendre. Pour autant, l’impact de ces fonds reste marginal. »
La pression à vendre va de pair avec une pression à acheter. « Les capitaux levés par les fonds de private equity mais non encore investis (le “dry powder”), se sont accumulés. Il va falloir les placer rapidement », explique Florin Istrate. À ces facteurs s’ajoute « le redémarrage dans d’autres géographies, notamment aux États-Unis. Les grands fonds américains pourraient profiter de l’attentisme des fonds européens pour venir “chasser” en France ».
À première vue, les fondamentaux sont donc excellents, d’autant que le private equity demeure un véhicule d’investissement privilégié, plus rentable que la bourse. Mais les facteurs d’incertitude sont nombreux. Certains sont très spécifiques : c’est le cas du « débat relancé outre-Atlantique par Donald Trump sur la fiscalité des carried interests, qui pourrait déboucher sur la suppression d’une niche fiscale bénéficiant aux fonds d’investissement ». Plus généralement, l’instabilité politique persistante en France, la situation géopolitique internationale, l’imprévisibilité de la politique tarifaire de l’administration américaine contribuent à fragiliser les prédictions. « Après l’élection de Donald Trump, analyse Stéphane Salustro, nous avons assisté à une certaine euphorie sur les marchés boursiers, avec des raisonnements assez simplistes. Assez rapidement, l’inquiétude s’est installée. Si le président américain persiste dans ses projets en matière d’augmentation des droits de douane et de politique d’immigration, les conséquences pourraient se faire sentir rapidement sur l’inflation et les taux d’intérêt. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour le marché du M&A et du private equity. »
Enfin, à moyen terme, signale Florin Istrate, « les fonds de taille intermédiaire rencontrent des difficultés à collecter des capitaux, et ont dû revoir à la baisse l’ampleur des levées qu’ils lancent. Nous pouvons donc nous attendre à ce que cela se traduise d’ici 2 ou 3 ans par un impact négatif sur le nombre de transactions ».
Vers des missions « de bout en bout »
Quelles sont les conséquences de la baisse de l’activité pour les cabinets de conseil en stratégie ? « Tous les cabinets n’ont pas le même degré d’exposition au private equity, analyse Alban Neveux. Certains sont spécialisés dans ce domaine. En ce qui nous concerne, historiquement, nous avons toujours eu environ trois quarts de nos clients qui sont des corporates, lesquels se sont très bien tenus en 2024, permettant ainsi de compenser le ralentissement du private equity. Nous avons toujours veillé à éviter que l’univers de la transaction seule ne prenne trop d’importance dans notre activité. »
Autre moyen de se prémunir des conséquences du ralentissement : adopter une politique sectorielle judicieuse. Les grandes tendances du marché, en effet, ne sont pas uniformes à travers l’économie. En 2024, analyse Florin Istrate, « certains secteurs ont continué à bien se porter dans le private equity, notamment la tech, avec les investissements dans l’IA, mais aussi le secteur des énergies propres ». Par ailleurs, à en croire Stéphane Salustro, il ne faut pas surestimer l’impact du ralentissement de l’activité sur le conseil : « Sur la partie “transactions”, il y a beaucoup de travail pour les consultants, même quand les deals n’aboutissent pas. Les clients sont de plus en plus attentifs aux actifs dans lesquels ils investissent, et les process de vérification sont plus longs. Cela représente davantage d’activité pour les consultants. »
Surtout, « au-delà des incertitudes sur le nombre de deals, la nature des missions pourrait être amenée à changer », commente Florin Istrate. C’est vrai dès la phase de transaction, où « on voit apparaître des due diligences très spécialisées, qui vont au-delà du commercial, qui peuvent porter par exemple sur l’utilisation de l’IA ». La demande porte également de plus en plus sur l’aval du deal, sur la partie management, organisation et création de valeur. Les cabinets de conseil en stratégie sont de plus en plus amenés à accompagner la croissance des entreprises dans lesquelles les fonds de private equity choisissent d’investir. C’est ainsi que PwC/Strategy& mobilise successivement sur les dossiers « les équipes transaction de PwC sur les due diligences et la conclusion du deal, puis les équipes Strategy& sur l’intégration, avant de passer le relais aux consultants en management pour conduire concrètement la transformation ». Circle Strategy décrit un processus analogue, avec davantage d’interventions d’accompagnement de la croissance en aval du deal. Il en résulte « des dossiers plus longs, dont la typologie se rapproche de celle de nos projets corporate. Les fonds adoptent des politiques plus interventionnistes. Ils veulent augmenter l’EBITDA de l’entreprise, et pour cela, entrer dans son fonctionnement profond ». De quoi mobiliser la diversité des expertises recouvertes par l’expression « conseil en stratégie ».
à lire aussi

Là où les pères fondateurs du conseil en stratégie disposaient d’une expertise financière aiguisée, celle des consultants actuels serait nettement plus light. Out of the loop, vraiment ?
Un tuyau intéressant à partager ?
Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !
commentaires (1)
citer
signaler
private equity
- 10/03/25
Alors que le secteur du private equity reste secoué, Kéa annonce la création d’un pôle dédié mené par le senior partner et MP du bureau lyonnais, Guillaume Bouvier.
- 06/03/25
Comme chaque année, le cabinet Roland Berger partage le bilan des transactions finalisées et refinancements que le cabinet a accompagnés en 2024. L’année dernière, Roland Berger est ainsi intervenu dans 186 transactions et refinancements dans 14 pays (une quinzaine de transactions restent confidentielles), dont au moins 42 en France, et ce, auprès des vendeurs comme des acquéreurs.
- 07/02/25
Il avait rejoint le fonds en 2020 comme principal : Guillaume de Montchalin vient d’y être promu partner. Avant lui, Antonin de Margerie, membre du Comex d'Eurazeo, avait opéré le même type de “move”.
- 15/01/25
Nous annoncions mi-novembre le départ de l’un des historiques du BCG en France, Guillaume Charlin. Le point de chute de cet ancien chef de file du cabinet est désormais connu.
- 02/01/25
Nom de code : MIO Partners, pour McKinsey Investment Office. Depuis plusieurs mois, ce fonds spéculatif sollicite ses « ex » les plus fortunés pour qu’ils investissent davantage.
- 17/12/24
Selon l’étude de NGP Capital, les start-ups de la tech fondées par des anciens du conseil en stratégie – McKinsey, le BCG, Bain et Roland Berger – réalisent des levées de fonds supérieures de 129 à 264 % au financement médian.
- 09/12/24
La liste s’allonge de jour en jour des départs de partners/seniors partners de chez McKinsey. C’est aujourd’hui au tour d’Éric Hazan, chez McKinsey depuis 17 ans, l’un des chefs de file en Europe des pôles de compétences Growth, Marketing & Sales et Digital & Analytics, membre du comité de direction du McKinsey Global Institute (MGI), think tank économique du cabinet.
- 01/10/24
L’associate partner de Bain & Company New-York, Edward Whalley, a quitté le cabinet cet été pour prendre la direction générale du Fonds du bien commun. Il remplace poste pour poste un autre ancien consultant, de McKinsey, Alban du Rostu, qui en était le CEO-cofondateur depuis septembre 2021.
- 27/09/24
En juin 2024, l’entité indienne de Bain & Company a annoncé se délester d’un consultant sur cinq. Le principal facteur externe de ces licenciements tiendrait dans la crise que traverse depuis 2021 l’un des gros clients du cabinet, le fonds américain Tiger Global.