3Suisses, Rue du Commerce : les challengers de l’e-commerce à la loupe
Depuis son départ de McKinsey, Karine Schrenzel s’est passionnée pour le e-commerce alors à ses débuts en France. Au point quelques années après de lancer Shopinvest avec son époux Olivier Gensburger – ex-McKinsey lui aussi. Depuis, ils dirigent neuf sites, dont les plus récents ont été rachetés à la concurrence : 3Suisses et Rue du Commerce. Leur chiffre d’affaires atteignait la centaine de millions d’euros en 2019 et leur ambition est de le porter au milliard d’euros.
Son passage dans le conseil au sein du cabinet McKinsey & Company a été plutôt court, entre 2003 et 2005, mais riche à tout point de vue. Karine Schrenzel ne se sentait alors pas encore prête pour entreprendre.
« En tant que femmes, nous nous mettons des freins, nous sommes moins sûres de nous. Le passage chez McKinsey a renforcé ma confiance. » Au programme : des expériences fortes, des compétences fondatrices, « avant tout des softskills », des rencontres majeures, comme avec son futur mari et associé, Olivier Gensburger, consultant de 2004 à 2007, mais également avec son mentor devenu son premier business angel, Neil Janin, alors director de McKinsey France (cf. son ITW ci-dessous).
La bosse du e-commerce
Si sa première entreprise, un site de cosmétique pour hommes, MenCorner, était « un peu du bricolage » comme le reconnaît franco Neil Janin, l’ancienne consultante a eu le flair d’investir dans le e-commerce en France qui vivait son apprentissage au début des années 2000.
Aujourd’hui, à 41 ans, Karine Schrenzel, plus de quinze années d’entrepreneuriat à son actif, dont les quatre premières années en solo, en est à sa neuvième création/acquisition de sites de e-commerce. Après 3Suisses acheté en 2018, Shopinvest, le groupe qu’elle a créé avec son associé et mari a racheté l’année dernière Rue du Commerce.
En 2019, la dirigeante se hissait à la 15e place du Classement Choiseul des cent leaders économiques de demain de moins de 40 ans (et la première de l’ensemble des ex-consultants ici, elle en est une alumni dans la dernière version dont nous parlions ici).
Rewind. Issue d’une famille d’entrepreneurs – son grand-père et son père –, Karine Schrenzel a « hérité » de cette vocation. « Pour moi, c’était déjà la seule voie possible. » À 23 ans, tout fraîchement diplômée de l’ESCP (promo 2003), elle ne se sent alors pas encore mûre pour entreprendre.
« Le conseil était un tremplin, le meilleur et le plus naturel endroit pour acquérir ce qui me manquait. Cela me permettait de voir de multiples situations, entreprises, secteurs… J’avais effectué un stage chez Goldman Sachs et eu une offre d’embauche. Tout le monde rêvait alors de faire de la fusion-acquisition ! » Elle ose pourtant un coup de dé. Pourquoi ne pas postuler dans le conseil en stratégie, un domaine plus généraliste ? Oui, mais uniquement chez le géant McKinsey (rencontré lors d’un forum de l’ESCP), alors le plus attractif pour les jeunes diplômés.
Les années McKinsey
Bon choix. Karine Schrenzel entre chez McKinsey Paris comme analyst pour un passage relativement bref de deux années, dont elle ne retient que du positif. « J’ai adoré l’expérience et la diversité des missions. J’ai avant tout appris en termes de sofskills, la concision, l’agilité, la capacité à passer d’un sujet à l’autre. J’ai également énormément appris auprès de mes anciens patrons qui sont devenus pour certains des amis, des mentors, des investisseurs, comme Neil (c’est-à-dire Neil Janin)… Un homme assez peu finalement dans le moule classique des consultants. J’ai particulièrement retenu un point clé de lui, que je partage aujourd’hui avec mes équipes : capitaliser sur ses forces, plutôt que de se focaliser sans cesse sur ses faiblesses. »
Au sein du bureau parisien de McKinsey, déjà fort bien doté en consultants – environ 200 à son arrivée, 350 aujourd’hui –, elle monte les dossiers pour les partners des tableaux Excel et data en tout genre, elle fait le tri, en fait sortir la substantifique moelle. Pour la jeune consultante d’alors, « une école idéale ».
« Je me souviens en particulier d’une mission très intéressante pour le groupe La Poste qui devait prendre la décision de se séparer ou non de l’une de ses filiales, la fusionner avec une autre, ou la laisser indépendante. Il y a eu aussi les AGF, une mission pour laquelle je suis partie à Milan, avec comme problématique de faire vivre un réseau d’assureurs indépendants en France, mais aussi à l’étranger, nécessitant entre autres une approche multiculturelle. On était au cœur de la vie de grandes entreprises, c’était très formateur ! »
Deux ans plus tard, la jeune consultante, « très heureuse, mais toujours dans l’objectif d’entreprendre », est approchée par un chasseur de têtes afin de rejoindre l’entreprise britannique de private equity, Cinven.
« J’ai accepté par curiosité et parce que c’était une très belle offre ! » Karine Schrenzel y fait de belles rencontres qui la confortent dans son désir d’entreprendre : « Durant cette année, j’ai eu la chance de rencontrer des entrepreneurs hors-norme inspirants, à l’instar de Patrick Drahi. »
L’heure était donc venue au milieu des années 2000 pour l’entrepreneure née de se lancer, dans le e-commerce… Une évidence. Déjà bien implanté aux États-Unis, il commençait à se déployer en France : ce secteur y représentait 0,7 milliard d'euros (Md€) en 2000, 2,2 Md€ en 2002, 7 Md€ en 2005, et 9,3 Md€ dès 2006 (source Benchmark group).
Avec comme fer de lance, Amazon, créée par Jeff Bezos en 1994 – introduit en Bourse en 1997 –, et sa filiale française, ouverte en 2000. Le e-commerce pèse aujourd’hui sur le territoire national plus de 72 Md€.
Pour l’entrepreneure, l’avenir se situait donc soit du côté des généralistes, Amazon et Alibaba, déjà très développés, soit de sites spécialistes sur un marché, avec des marques fortes qui se différencient par l’offre et le service proposé.
Après le démarrage en demi-teinte de MenCorner, le pari Shopinvest
Ce sera donc MenCorner pour commencer. Avec des résultats mitigés. « J’avais grandi aux États-Unis avec la culture e-commerce. J’avais étudié plusieurs secteurs et vu que la cosmétique pour hommes devait croître de 150 % avec une cible très cyber acheteuse. J’ai donc créé un site dédié. La réalité a été toute autre, le secteur n’a cru que de 5-6 % par an. Mais c’est la vie d’entrepreneur que de devoir sans cesse se réinventer ! »
Dans le même temps, celui qui est devenu son mari, Olivier Gensburger, était, lui, parti de McKinsey. En 2007, il rejoignait le fonds d’investissement ICG en tant que investment manager. « Il me disait souvent : “qu’est-ce que tu t’amuses !” »
Olivier Gensburger et Karine Schrenzel sont convaincus de la pertinence du modèle « e-commerce » par acquisition et mutualisation de moyens. Lui quitte finalement son emploi dans la finance, afin de créer ensemble Shopinvest, un groupe spécialisé dans le e-commerce.
Le pari était lancé. La répartition des rôles s’est faite naturellement : à lui l’IT et la logistique clients, à elle, l’offre, le marketing et l’acquisition de trafic. « Nous l’avons imaginé dans une stratégie de build-up qui associe taille significative et profil attractif de rentabilité. C’est innovant dans ce secteur du e-commerce. »
Le financement des premières acquisitions a pu être bouclé en deux mois grâce à une levée de fonds de 1,2 M€. « Quand on fait une levée de fonds, il faut aller vite. Nos anciens patrons nous ont fait confiance… »
En dix ans, Shopinvest a acquis neuf sites internet dans les cosmétiques, la maroquinerie, les bijoux et montres, les meubles, la décoration ou la lingerie : aux côtés de l’historique MenCorner, le groupe compte désormais Comptoir de l’Homme, LemonCurve, Fitancy, Bijourama, Lookeor, DeclikDeco.
En 2018, les dirigeants reprennent aussi dans leur giron la marque quasi centenaire, 3Suisses. Et un site qu’ils ont voulu totalement réinventer.
« Lorsque nous avons repris la marque 3Suisses, nous avons lancé un grand projet collaboratif #imagine3suisses afin d’intégrer les Françaises dans le processus de relancement. Au final, c’est plus de 10 000 clientes qui ont réinventé la marque à nos côtés. Leur envie ? Une mode plus responsable à un prix accessible. Aujourd’hui, on se concentre sur une offre produite principalement en France et composée en matières naturelles. Pour aller encore plus loin dans cette démarche écologique, nous venons de créer 3S. x Impact, un programme de soutien pour les jeunes entreprises françaises, talentueuses et engagées. »
Dernière acquisition en 2020 : Rue du Commerce, l’un des pionniers de l’e-commerce français fondé en 1999, racheté à Carrefour. Rue du Commerce a culminé à plus de 340 M€ de chiffre d’affaires pour baisser à une moyenne de 280 M€, et un million de clients actifs. Un rachat qui fait d’eux les 3es propriétaires en huit ans après la foncière Altarea et Carrefour, qui n’ont pas réussi sa transfo…
« Parmi la variété de problématiques, l’enjeu est de rentabiliser ce site qui appartenait auparavant à des non-spécialistes du e-commerce avec une structure technique compliquée et pas adaptée. Notre ambition ? Renouer avec l’ADN du site et se positionner comme la destination pour le high-tech et la maison intelligente en se recentrant sur la qualité de l’offre et sur des services innovants. »
L’ambition de Karine Shrenzel reste aujourd’hui intacte. Forts de la réussite des précédentes acquisitions et de la stratégie innovante mise en place, les deux anciens de McKinsey prévoient une à deux acquisitions chaque année.
Devenus experts en rachat d’e-commerce, ils visent aujourd’hui le milliard d’euros pour la galaxie Shopinvest d’ici à cinq ans. Le duo d’ex-stratèges pioche aussi parfois dans le vivier des consultants, à l’instar de son directeur des opérations, Pierre-Luc Lacoste (ESSEC 2011), qu’elle a débauché de chez Sia Partners, où il est resté durant près de quatre ans. « La force de ces profils : toucher à tout et être spécialiste de rien ! »
Karine Schrenzel vue par son mentor et business angel, Neil Janin, directeur émérite de McKinsey où il a passé trente-sept ans de sa carrière dont une majeure partie au bureau de Paris.
Vous étiez director de McKinsey Paris lorsque Karine Schrenzel est entrée dans ce cabinet en 2003…
« Oui, et j’ai un souvenir très précis d’elle, car elle rayonnait, elle portait une joie de vivre, et même lorsque les choses n’allaient pas, elle continuait à transmettre son énergie et son enthousiasme. Analytiquement, elle sortait du lot, elle savait tenir sa partie de l’étude et la délivrer. Mais elle n’était pas qu’intelligente : même très jeune, dès le départ, Karine prenait et portait des initiatives, elle était dans une dynamique participative immédiate. Il faut aussi se remettre dans le contexte de l’époque, une jeune femme qui se retrouve projetée dans le monde très masculin des affaires… Elle avait plus à combattre que quiconque aujourd’hui. On a sympathisé dès le début et, depuis, nous nous sommes toujours suivis. »
Comment avez-vous réagi à son départ pour lancer sa première entreprise, un site web, deux ans seulement après son arrivée chez McKinsey ?
« Cela ne m’intéressait pas du tout qu’elle se lance parce qu’avant tout, je n’avais pas envie qu’elle quitte le cabinet. C’était les débuts de l’Internet et du e-commerce, et on ne voyait pas vraiment comment ce secteur allait évoluer. Sa première entreprise (ndlr, le site MenCorner) qu’elle a lancée avant son mariage, c’était du bricolage et elle a fait beaucoup de choses elle-même. Pour moi, c’était une perte totale de potentiel individuel. Mais elle a persisté et cela s’est construit pas à pas. On se voyait de temps en temps, elle piochait quelques conseils. Je reste assez admiratif de cette ambition. »
Comment et pourquoi avez-vous souhaité être l’un de ses business angels ?
« Lorsqu’elle a monté sa boîte en 2011, elle cherchait des investisseurs. J'ai investi parce que j'avais confiance en Karine, pas parce que j’avais analysé la validité du plan. Et à l’époque, lorsque l’on était redevable de l’ISF, nous avions des réductions d’impôts lorsque nous investissions dans des petites entreprises. Je ne suis pas un investisseur pro, ce n’est pas mon but. C’était juste une opportunité que j’ai cueillie, une manière de rester en contact avec quelqu’un que j’aime bien, et puis ça l'a aidée à développer ses projets. »
Onze ans plus tard, pensez-vous que votre ex-consultante a eu raison ?
« Totalement, ça a très bien marché son truc ! C’est un très bon investissement ! Et je suis ravi de le voir se développer. Son association avec son mari (ndlr, en 2011) a été synergétique. Ils ont développé leur formule, leur savoir-faire, leur moteur : prendre des sociétés qui ne savent pas faire de l’argent avec le e-commerce et les rendre rentables. Je suis serein pour la suite ! »
Barbara Merle pour Consultor.fr
Crédit photo : 3 Suisses.
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