Anciens militaires devenus consultants : « J’avais envie de nouveaux challenges »
« La marine m’a appris à collaborer dans le cadre de situations sensibles, de stress et d’éloignement. Cette expérience m’aide aujourd’hui à travailler avec des clients exigeants. Le relationnel est un élément clé chez Kea », explique Edwin Prache, ancien officier de marine spécialisé plongeur démineur.
On trouve dans les cabinets plusieurs consultants qui ont été militaires avant d’entamer une carrière dans le conseil. Cette trajectoire peut sembler incongrue, mais, en fait, elle ne l’est pas tant que cela.
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Le culte de l'excellence et l'aspect très formateur
Leur passé de militaires a apporté à ces hommes des qualités qu’ils mettent aujourd’hui à profit à travers leurs nouvelles relations professionnelles. Dans l’armée, ils ont appris un certain savoir-être, une empathie, propices à la coopération. Ils savent se serrer les coudes, se montrer disponibles pour leurs clients et sont toujours prêts à aider un collègue en difficulté. Des éléments clés pour créer une cohésion et une ambiance favorables à l’esprit et au travail d’équipe. « Quand on est en mission sur un petit bateau avec 40 personnes, on apprend à prendre sur soi et à arrondir les angles », poursuit Edwin Prache. Il quitte l’armée en 2012 pour suivre un master spécialisé d’un an à HEC avant d’entrer chez Kea & Partners en février 2014. « J’étais arrivé à la fin d’un cycle de quatre ans et j’avais envie de faire autre chose. Je connaissais le métier de consultant car mon beau-frère travaille chez Oliver Wyman. J’ai tout de suite été attiré par l’aspect très formateur, la variété des missions et les challenges du job », explique-t-il.
Les anciens militaires retrouvent dans le conseil des enjeux forts et un impératif de résultats. « La réussite d’une mission dans l’armée implique des vies humaines, l’image de la France, la légitimité de l’action du pays. En entreprise, les impacts sont également capitaux. On ne joue pas à la roulette russe. L’avenir d’une compagnie et des emplois sont en jeu », souligne un consultant et ex-militaire, aujourd’hui dans un grand cabinet de stratégie et qui souhaite garder l’anonymat. « La deuxième partie de carrière d’un officier [dans les bureaux, NDLR] ne m’intéressait pas. J’avais envie de nouveaux challenges et je me suis dit qu’il y en avait certainement plus à relever dans le secteur privé. »
Ils retrouvent également la rigueur, « le culte de l’excellence », qui leur a été inculquée dans l’armée. L’armée demande notamment un travail préparatoire exigeant des missions. Chaque action est répétée plusieurs fois très minutieusement. Car la finalité sur le terrain est la même : avoir de l’impact. Pour cela, « il faut se poser les bonnes questions. Le raisonnement logique peut être le même. On retrouve une volonté de comprendre rapidement comment ça marche. Pourquoi est-ce que je fais ça ? Pourquoi est-ce que ça ne convient pas ? etc. », ajoute Edwin Prache.
Autre réflexe militaire transposable au conseil : partir du général pour aller au particulier. « Quand on fait une manœuvre militaire, on jette un dispositif sommaire avant d’affiner les choses dans un second temps. De même, un consultant esquisse une première ébauche de solution avant de travailler dessus pour l’améliorer », développe Augustin Lamoliatte, ancien militaire dans les troupes de la marine opérationnelle. Il part de l’armée en 2006. « J’avais quitté le terrain. Travailler dans les bureaux ne m’intéressait pas », explique-t-il. Aujourd’hui indépendant, il a été consultant en stratégie chez Saypartners et Colorado.
Les deux métiers présentent aussi une part importante d’impondérables. Qu’ils soient militaires ou consultants, ces hommes sont chaque jour confrontés à l’inconnu, aucune mission ne se ressemble. Même s’ils sont à chaque fois préparés et font appel à leurs connaissances, les compétences exigées sur le terrain ne sont jamais exactement identiques.
La transition a-t-elle pour autant été facile ? « Les rapports humains sont très formels dans l’armée. J’ai eu quelques difficultés avec le tutoiement au début, reconnaît Augustin Lamolliate. Autre différence, l’armée est un centre de coût alors qu’un consultant doit être en permanence profitable. « Vous avez beau entretenir d’excellents rapports avec votre boss, le jour où vous n’êtes plus staffé, vos relations vont inévitablement se dégrader. Ce genre de situation n’existe pas dans l’armée », poursuit-il.
Et si l’exigence et le relationnel acquis dans l’armée sont de précieux atouts pour réussir dans le conseil, d’autres compétences font défaut aux ex-militaires. Il semblerait qu’à leurs débuts les slides PowerPoint et les tableaux Excel leur aient donné du fil à retordre. Outre les outils techniques, les méthodes d’analyse font également partie des points qu’ils ont eu à acquérir. L’habitude de raisonner « business », profitabilité, rentabilité semble plus laborieuse pour ces anciens militaires issus d’écoles d’ingénieurs que pour les jeunes recrues fraîchement émoulues des grandes écoles de commerce.
Un consultant et un plongeur démineur ne sont pas encadrés de la même façon
Le mode de management et le fonctionnement de la hiérarchie sont également différents. Un consultant et un plongeur démineur ne sont pas encadrés de la même façon. Dans l’armée, la décision est prise par le supérieur hiérarchique qui n’a pas de justification à apporter. En revanche, dans le conseil, un manager doit donner du sens à ses décisions et les justifier. Le conseil est plus exigeant intellectuellement. Dans le privé, les anciens militaires apprennent à prendre leur carrière en main. Ils ne s’en remettent plus à leur supérieur hiérarchique. C’est à eux de se faire connaître, de « réseauter », bref d’être proactif pour construire leur avenir professionnel. Les motivations, l’éducation, le niveau de formation des hommes et des femmes qui composent ces deux corps de métier sont également très différents. Nos anciens militaires ne retrouvent pas dans les cabinets la notion de sacrifice et la motivation d’agir pour la patrie. « Les consultants sont plus individualistes. Ils ne travaillent pas pour une cause collective, mais pour faire progresser leur carrière, gravir les échelons et gagner plus d’argent », conclut Augustin Lamoliatte.
Léa Billon pour Consultor
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