De l’armée au conseil : « J’aide toujours mon pays, mais dans le domaine économique »
Ancien officier des forces armées, Cyril Blackwell a ensuite fait le choix du conseil en stratégie pour le challenge intellectuel qu’il lui offrait.
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À la quarantaine, après une carrière militaire d’une quinzaine d’années, un MBA à HEC en poche, une expérience de prof à Sciences Po Lille, il débute dans le conseil en 2013 chez McKinsey, poursuit chez Advancy et vient d’être chassé par Roland Berger. Une autre forme d’engagement qui ne le passionne pas moins que sa vie d’avant, entre l’Afghanistan et les Balkans. Récit.
Il n’est pas le premier ancien officier qui est devenu consultant. Loin de là ! Cyril Blackwell fait partie des profils de militaires très recherchés dans l’univers du conseil. Surprenant ? Pas du tout selon lui. « Les grands cabinets de stratégie, comme Roland Berger, ont toujours fait appel à d’anciens officiers. Nous avons avant tout en commun la culture de l’excellence et du leadership. Il y a également des qualités nécessaires aux deux secteurs : le pragmatisme, le volontarisme, la combativité, l’ambition, l’adaptabilité, la notion de service. »
L’armée « dans la peau »
Pour lui, ce n’est pas pour rien que certaines grandes écoles de commerce, comme HEC, cherchent à intégrer dans leurs formations depuis bien longtemps ces officiers en reconversion. « Cela leur permet un enrichissement mutuel grâce à des profils variés. Ils veulent faire de ces leaders des experts. Leurs étudiants, issus de cursus classiques, sont des experts qui deviendront plus tard des leaders. »
Comme il le dit lui-même, l’armée ne peut qu’être une vocation. Officier jusqu’en 2012, celui qui a fini sa carrière comme « chef d’escadrons », commandant dans l’armée de terre, avait depuis l’enfance l’envie d'entrer dans l’armée pour servir son pays, pour ce qu’elle pouvait lui offrir d’aventures, mais également d’opportunités de management. Et si de nombreux militaires sont des « enfants de… », ce n’est pas son cas : son père travaillait chez Orange et sa mère était infirmière, un autre type d’engagement… « Dans ma famille, et dans ma belle-famille, il y a d’illustres militaires. En habitant dans l’Ouest parisien, dans une ville où se trouvaient de nombreux officiers généraux, nombre de mes amis étaient des fils d’officiers… »
Bac +5 scientifique en poche, il part ainsi effectuer son service militaire avant de passer les concours pour être recruté « sur titre » comme officier des armées, le CDI des officiers. En quinze ans, il gravit les échelons au sein de l’armée de terre. Il a un parcours axé sur le renseignement et les chars entre l’arme blindée et la cavalerie, une composante de l’armée de terre, et la Légion étrangère. « J’ai réalisé un très beau parcours au sein de l’armée de terre, avec des années en opérations extérieures en particulier au Kosovo ou en Afghanistan, et j’ai eu envie de tenter ma chance ailleurs. »
McKinsey, Advancy, Roland Berger : un brin de bougeotte
Pour préparer sa reconversion, réfléchie, le commandant Blackwell effectue un MBA à HEC en 2010. Pourquoi ce choix ? Parce qu’une grande école de commerce lui ouvrait plus d’opportunités, une voie royale généraliste à ses yeux.
Des opportunités qui ne tardent pas à se matérialiser. Dès 2011, il a la possibilité de donner des cours de stratégie à Sciences Po Lille. Une façon pour lui de partager ses connaissances acquises à HEC. Rapidement, il fait marcher le réseau des anciens élèves de HEC pour se rapprocher des grands cabinets.
« J’avais appris que chez McKinsey une nouvelle filiale se créait en matière de transformation des organisations et j’ai postulé en 2013. Avec mon profil qui n’est pas classique et plus senior, j’ai dû passer huit entretiens ! Mais cela a marché ! J’ai d’abord été dédié aux opérations. Être chez le leader du conseil en matière opérationnelle a été très efficace pour apprendre les outils. Ensuite, j’ai travaillé sur l’amélioration de la performance et des coûts. Mais ce n’était pas ce que je voulais faire. »
Tant pis ! Avec le tampon McKinsey, le rebond dans le secteur n’est pas trop dur. En 2015, il entre chez Advancy, d’abord comme consultant senior, puis comme manager. Un changement de structure et d’échelle donc dans ce cabinet de taille intermédiaire où « tout le monde fait tout ». Le consultant Blackwell intervient sur des missions dans le secteur industriel, le luxe et le tourisme. Il mène quelques projets opérationnels et réalise ses premières « due diligence ». « Je suis par exemple intervenu auprès du leader de la gestion des stations de ski et de parcs d’attractions lorsqu’il était question que l’État le vende. J’ai travaillé sur la mission du Jardin d’acclimatation dans le cadre du renouvellement de sa concession pour le leader français du luxe. J’étais chef de mission sur ce dossier passionnant, cela concernait l’ensemble du site, son modèle économique, son financement, le nouveau design du parc... Et j’ai conseillé à notre client de réinternaliser les attractions et la restauration pour que cela soit plus rentable. J’ai ensuite organisé le mariage entre la filiale de cet acteur du luxe et le leader des stations de ski et des parcs d’attractions. »
Un ex-officier « chassé »
C’est alors qu’il est repéré en 2018 par un chasseur de têtes, missionné par Roland Berger. Le cabinet est intéressé par son profil pour ses activités de conseil aux fonds d’investissement.
Un parcours du combattant, ce qui n’est pas pour lui déplaire, l’attend pourtant pour entrer dans le cabinet.
« J’ai encore dû passer huit entretiens ! Je suis toujours un cas particulier ! Les gros cabinets cherchent vraiment à recruter d’anciens officiers et ils veulent créer une réelle diversité de profils… Il faut cependant démontrer que l’on a à la fois les hard skills, diplômes et compétences techniques, les soft skills (attitude vis-à-vis des autres, qualités d’interaction par exemple, ndlr). »
Désormais, son poste de project manager « consiste à réaliser des analyses pour valider ou non le business plan de l’entreprise en vente. Depuis mon arrivée, j’ai travaillé dans des secteurs très diversifiés comme les services financiers, par exemple pour un acteur spécialisé en épargne salariale, mais aussi pour les secteurs de l’agroalimentaire, du logiciel, de l’environnement, des machines-outils, de l’automobile... Les sociétés ont des tailles très variables de 50 à 100 millions d’euros de chiffre d’affaires jusqu’à plusieurs milliards. Mes missions m’ont amené à voyager en Allemagne ou en Norvège, mais aussi à Florence en Italie. »
« J’étais payé autrefois pour prendre des décisions, aujourd’hui, j’aide à la prise de décision »
Ancien militaire de carrière reconverti consultant en stratégie, cela marche, à l’entendre. « Les militaires sont d’abord formés au management et au leadership. En une quinzaine d’années de carrière militaire, j’ai eu quinze méthodes de management différentes. J’ai pu ainsi voir ce qui fonctionnait ou pas, ce qui me correspondait ou pas. Nos clients sont soit des actionnaires, soit des dirigeants de sociétés, donc des leaders. Nous nous comprenons tout de suite, cela crée une proximité et une confiance très rapidement. »
Cyril Blackwell avance une autre explication, plus surprenante, au recrutement d’anciens officiers dans le conseil. « Il existe un véritable respect pour les militaires qui ont pris des risques pour la patrie. Je pense que les cabinets de conseil ont envie de leur offrir une reconversion. »
Il doit bien cependant exister des différences majeures entre ces deux mondes, entre les militaires et les consultants… L’ancien officier en voit au moins une : l’armée est un métier de vocation. Ce n’est pas le cas dans le conseil, sauf exception.
Il ne regrette pas pour autant son ancien métier d’officier. Il affirme même qu’il éprouve autant de plaisir et autant de fierté dans son métier de consultant. « J’aide toujours mon pays, mais dans le domaine économique. J’étais payé autrefois pour prendre des décisions, aujourd’hui, j’aide à la prise de décision. »
Barbara Merle pour Consultor.fr
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