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Le conseil dans l'aérodéfense

Peu d’acteurs, peu de cabinets, mais un marché à cycles longs et aux investissements phénoménaux.

Voici comment pourrait se résumer la spécificité du conseil en stratégie dans le domaine de l’aérodéfense.

03 Fév. 2012 à 10:00
Le conseil dans l'aérodéfense

 « Un consultant ne peut pas s’improviser spécialiste de l’aérodéfense », avance Antoine Kimmel, principal chez Stratorg, l’un des cabinets français dont l’expertise sur ce sujet est reconnue. Naturellement, les consultants n’ont pas vocation à travailler en dilettante, qu’ils interviennent pour L’Oréal, Alstom ou EADS. Mais l’aérodéfense demande une expertise pointue des tenants et des aboutissants du secteur.

Partenaire particulier

Première spécificité : des cycles longs, aussi bien en développement de produits qu’en production, avec des niveaux d’investissement colossaux. « Le développement d’un avion de nouvelle génération, par exemple, avoisine les dix à douze milliards d’euros, avant même de mettre en service un seul appareil », précise Stéphane Albernhe, managing partner d’Archery Consulting, dont l’aérospace et défense est l’une des spécialités.

Deuxième particularité : contrairement aux consummer goods, par exemple, les acteurs du marché produisent souvent de manière multiunitaire, et généralement des séries très limitées. Deux ou trois unités pour un sous-marin nucléaire. Sept unités annuelles pour Ariane 5. Une quarantaine d’A320, le blockbuster d’Airbus, par mois. L’industrie fonctionne par programmes, en raison de la nature de ses produits. « Par exemple, le catalogue d’Airbus s’articule principalement autour de quatre familles de programmes, A320, A330-A340-A350, A380 et l’A400M pour le militaire, énumère Antoine Kimmel. Dans l’analyse stratégique, nous devons donc utiliser des outils spécifiques, des méthodologies adaptées aux cycles de vie longs de ces produits et qui sont différents de ceux utilisés dans d’autres secteurs avec des cycles de vie courts, comme le retail ou les consummer goods. » Quand un Airbus A400M totalise plus de 27 milliards d’euros d’investissement, pour un coût unitaire de 135 millions d’euros et un parcours un peu chaotique avant d’être mis en service, cela suppose un business plan capable de supporter de telles contraintes, bien loin du rythme qui s’impose dans la plupart des autres secteurs économiques.

« Troisième point, le contenu technologique est extrêmement important, poursuit Stéphane Albernhe. Les constructeurs et leurs équipementiers flirtent souvent avec les limites des connaissances technologiques, ce qui se traduit parfois par des difficultés. Ce fut le cas récemment du Dreamliner de Boeing qui intégrait des technologies qui n’étaient pas encore complètement stabilisées dans les domaines des composites et des batteries. » Enfin, indépendamment de la structure capitalistique, le secteur reste soumis à une certaine influence de l’État, du moins pour certains programmes qui relèvent des domaines de souveraineté nationale comme l’accès à l’espace ou la dissuasion nucléaire.

Établir la confiance

Pour les cabinets de conseil en stratégie, cela suppose au moins deux choses. Premièrement, intégrer ces facteurs dans les processus de résolution des problématiques, puisqu’ils induisent une certaine culture d’entreprise que les consultants doivent prendre en compte pour travailler efficacement. Les consultants doivent être capables d’effectuer une gymnastique intellectuelle en se projetant sur une dizaine, parfois une quinzaine d’années. Stéphane Albernhe cite l’exemple d’une mission pour une entreprise en retard sur le calendrier de développement d’un de ses grands projets et qui doit absolument revenir au calendrier initial pour être au rendez-vous de la mise en service. Alors que la mission elle-même ne court que sur trois à quatre mois, les impacts tangibles ne seront visibles que plusieurs années plus tard.

Deuxièmement, il est préférable de s’entourer de profils adaptés. D’abord, des passionnés par le secteur. Il n’est pas rare de croiser des consultants pour lesquels l’aviation est un domaine à part, avec une composante émotionnelle forte. À l’inverse, certains consultants peuvent émettre des réticences, pour des questions éthiques, quand le client appartient au monde de l’armement. Ensuite, on trouve dans les cabinets une proportion de profils d’ingénieurs plus élevée que la moyenne. Naturellement, ce n’est pas le cas de tous les consultants qui officient dans l’aérodéfense. Avant d’y arriver, Antoine Kimmel est par exemple passé par le private equity et le secteur de l’énergie. Mais le recrutement fait tout de même la part belle aux formations d’ingénieurs, comme Supaéro dont est issu Stéphane Albernhe.

« Enfin et surtout, il faut des consultants un minimum sachant, c’est-à-dire au fait de ces problématiques clés et des évolutions technologiques du secteur, résume Stéphane Albernhe. C’est la raison pour laquelle nous avons fait le choix de la multispécialisation, ce qui permet de présenter des profils plus pointus aux clients. » Les donneurs d’ordres sont particulièrement regardants sur les cabinets et les consultants qui se voient confier des missions. La qualité des relations de confiance s’avère fondamentale pour travailler dans ce secteur. Les dirigeants ont constamment besoin d’être rassurés sur l’expertise et l’expérience des consultants et n’accordent que difficilement des contrats à ceux qui ne peuvent pas le démontrer. « L’industrie de l’aérodéfense reste un monde où le nombre d’acteurs très structurés est assez restreint et pour eux, le niveau d’expertise des consultants est un facteur important », atteste Antoine Kimmel.

Acquérir cette confiance est un travail de plusieurs années. Il commence par des missions peu stratégiques d’un niveau de confidentialité presque nul. Plus que des missions, ce sont des tests permettant de jauger le consultant et son cabinet. Avec le temps et l’efficacité, un consultant finira par atteindre les hautes sphères, celles où les contrats revêtent une importance cruciale aux yeux des donneurs d’ordres. D’ailleurs après cette étape, le consultant doit continuellement prouver qu’il mérite la confiance accordée, en démontrant régulièrement sa capacité à comprendre et à répondre aux enjeux du secteur.

Accords de confidentialité

D’un point de vue opérationnel, cela se traduit aussi par des contraintes pour les cabinets, notamment en matière de confidentialité et de protection des données. Aussi bien Stratorg qu’Archery Strategy Consulting, comme tous les cabinets qui opèrent dans l’aérodéfense, disposent ainsi de systèmes informatiques sécurisés. « Nous mettons en place des NDA (Non Disclosure Agreements), qui engagent non seulement le cabinet, mais aussi chaque consultant individuellement, lorsque les missions sont particulièrement sensibles. Par ailleurs, nous avons fait crypter tous nos ordinateurs », explique Stéphane Albernhe. Lorsque la confidentialité l’exige, le cabinet va jusqu’à partitionner le serveur de l’entreprise en créant des espaces accessibles exclusivement aux consultants de la mission. « De manière générale, nous sommes extrêmement vigilants à la confidentialité et au traitement de l’information », ajoute Antoine Kimmel.

Pour obtenir certaines accréditations, notamment selon le niveau du secret défense, les consultants font parfois l’objet d’enquêtes assez poussées, jusqu’à leur famille ou leur cercle de proches. Pour accéder à des sites sensibles, il peut leur être demandé de se plier à des processus plus complexes que la normale, communiquer un numéro de passeport, respecter des niveaux de confidentialité plus importants. Certaines missions peuvent se voir réservées à des consultants de nationalité française. « Cela ne signifie pas que le conseil dans l’aérodéfense soit inaccessible aux consultants de nationalité étrangère, relativise Antoine Kimmel. Mais ce cas de figure peut effectivement se produire, ce qui reste presque inimaginable dans n’importe quel autre secteur. » Des précautions qui ne concernent d’ailleurs pas que la défense. Dès qu’il s’agit de ruptures technologiques, les enjeux augmentent. Les principaux acteurs de l’aviation civile, par exemple, se livrent une guerre commerciale ouverte et prennent la question de l’espionnage industriel très au sérieux.

Pour Antoine Kimmel, toutefois, il s’agit de particularités sur la forme qui ne changent pas fondamentalement son travail de consultant sur le fond. Toutes les industries fonctionnent avec un lot de contraintes spécifiques. La question de la confidentialité, par exemple, n’est pas exclusive à l’aérodéfense même si elle constitue l’un des éléments importants que les cabinets doivent intégrer pour travailler dans ce secteur. « D’après mon expérience, le sujet est particulier, il a ses problématiques propres, mais il ne s’agit pas d’un monde à part et il mobilise des compétences de consultant semblables aux autres secteurs », résume Antoine Kimmel.


Par Lisa Melia pour Consultor, portail du conseil en stratégie-11/02/2013

03 Fév. 2012 à 10:00
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