le media indépendant du
conseil en stratégie

icone burger fermee

rechercher sur le site

icone recherche
Featured

Arnaud de Bertier : « Chez McKinsey, je ne faisais pas partie des meubles, mais des murs ! »

Une trentaine d’années au compteur de McKinsey. Alors senior partner, Arnaud de Bertier change de voie il y a 5 ans. Et il n’opte pas, en fin de carrière, pour la facilité. C’est un doux euphémisme. Sa destinée : prof de maths de collège en zone d’éducation prioritaire. Rencontre avec un homme réfléchi qui dit avoir trouvé sa – nouvelle – place.

Barbara Merle
26 Mar. 2024 à 15:00
Arnaud de Bertier : « Chez McKinsey, je ne faisais pas partie des meubles, mais des murs ! »
Arnaud de Bertier (D.R.)

Sa vie pro, il l’a quasiment entièrement réalisée chez McKinsey. Entré dans les bureaux milanais en 1990 pour des « raisons personnelles » après 2 ans comme ingénieur commercial chez Alstom (où il a vendu des centrales électriques dans des pays émergents), Arnaud de Bertier, 59 ans, y a réalisé une carrière pleine que l’on peut qualifier d’exemplaire. « Je ne faisais pas partie des meubles de ce cabinet, mais des murs ! », ajoute-t-il même avec une pointe d’humour.

La voie « naturelle » du conseil

Ce polytechnicien (promo 1982), de l’École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA - 1987) a fait le choix du conseil en stratégie à la suite d’un MBA de l’INSEAD (1990), où il découvre le secteur, et sent d’emblée qu’il est « mon sport naturel qui mobilise de nombreuses qualités naturelles ».

Entré donc dans ce cabinet en 1990 comme consultant junior au bureau de Milan, Arnaud de Bertier y a été élu partner très rapidement, 6 ans plus tard, puis a rejoint le bureau français en 1998 (et ses quelque 20 partners, plus de 70 aujourd’hui), avant d’être élu senior partner en 2003. Au fil de l’eau, le consultant s’y est spécialisé dans les secteurs de la pharma et de l’assurance, « un hasard des débuts », même s’il reconnait avoir beaucoup résisté à la spécialisation forcée du secteur. « J’ai toujours eu envie de faire des choses très différentes. Les dernières années comme consultant, j’ai participé à des missions autour de grandes fusions, un champ très différent de mes expertises. J’ai fait partie d’une génération où l’on pouvait encore le faire, c’est moins vrai aujourd’hui. » Le senior partner de McKinsey jusqu’en 2019 intervenait ainsi notamment auprès des compagnies d’assurances et des labos pharma en France et en Europe, et a dirigé la practice Assurance Europe, puis Monde du cabinet. Encore un hasard pour ce fils d’assureurs…

Arnaud Bertier, très impliqué dans le management du cabinet, a souhaité également dès que possible être membre des comités d’évaluations de la firme, chargés d’élire les futurs partners et senior partners au niveau mondial.

Prof : le métier de la maturation

À 55 ans, en 2019, c’est le déclic. Il a trouvé sa grande cause. Après 29 années passées chez McKinsey, dont 16 comme senior partner, pour « accompagner les adultes, clients comme collègues », Arnaud de Bertier a trouvé sa nouvelle voie professionnelle, être auprès des jeunes, et plus particulièrement « je m’étais vite focalisé sur l’idée d’être là où ça avait un sens, où c’était important ». C’est un film, Entre les murs, vu lors de sa sortie en 2008, resté dans un coin de la tête du consultant, qui a lentement forgé sa conviction qu’un jour, il tenterait cette aventure. « Cet enseignant qui tente des choses, rien ne marche vraiment. Je n’étais pas sûr que je ferais mieux, mais je sentais que ce serait ma place un jour… »

Le consultant expert de McKinsey décide donc de postuler comme prof de maths débutant pour un collège en REP, Réseau d’éducation prioritaire, « l’enseignement le plus naturel pour moi, même si j’aurais adoré l’histoire-géo, mais je n’avais pas la formation pour… ».

Arnaud de Bertier postule ainsi, « grâce à un coup de main du Choix de l’École (asso accompagne celles et ceux qui souhaitent se reconvertir dans l’enseignement public, ndlr) » auprès de l’Académie avec laquelle il a un entretien. Et sans surprise, au vu du parcours du nouveau futur prof et des besoins de l’institution, l’expert pharma et services financiers de McKinsey décroche un poste en collège à Massy (Essonne), « la classe d’âge 11-15 ans est vraiment importante, car il n’y a encore pas vraiment un tri ». Après une formation de prof plus qu’express, grâce à « trois profs sympas qui m’ont initié deux matinées dans leurs classes et une après-midi de questions-réponses », le prof de maths débutant se retrouve un jour face à des collégiens… « Bonjour, je suis votre prof de maths ! C’est un peu théâtral de dire cela. On plonge dans quelque chose de nouveau, avec un peu de trac. Avec un nouveau sentiment de responsabilité devant ces 5 classes et 140 élèves, avec des niveaux très hétérogènes, certains perdus dès l’arrivée en 6e. » Parmi les 28 élèves de chacune de ses classes, une dizaine est en difficulté ; pas plus de 5 par classe dans les établissements hors éducation prioritaire.

À l’image d’un coach sportif

Le quotidien de ce prof de maths de collège en REP ? Comme celui de milliers de profs en France « avec des élèves qui sont déjà dépassés, et quelques-uns, les bons, qu’il faut aussi tirer vers le haut », et au-delà être confronté au quotidien « aux grands problèmes de société, d’égalité homme/femme, de discrimination, de laïcité, de drogue, de harcèlement… » Alors, pour motiver les plus en difficulté, le prof propose une partie d’exercices faciles. « Mon objectif est de les amener de 6/20 à 10/20. Le jour où ils obtiennent 10, c’est une grande victoire. C’est une expérience passionnante au quotidien, une plongée dans un monde que je ne connaissais pas, et dans lequel j’essaie d’apporter quelque chose, où je me sens à ma place, même si je sens que je suis très loin d’avoir l’expérience nécessaire pour être un bon prof, car cela nécessite des années. » Arnaud de Bertier se voit comme un coach sportif, circulant au maximum pour encourager les élèves un par un. Un contact individuel essentiel, « car ces élèves ne prennent pas la parole en public ». Un prof qui se veut aussi plutôt cool, c’est en tout cas le retour qu’il peut avoir de ses élèves. « L’une d’entre eux m’a dit un jour que la méthode, plus on est dur, plus les enfants apprennent, ça ne fonctionne pas. Si vous étiez plus dur, nous aussi on le serait, m’a-t-elle affirmé. En fait, je fais ce que je pense être bien. »

Deux mondes, des qualités communes

Un nouveau travail de prof en collège qui a cependant quelques similitudes avec celui de consultant. La première d’entre elles l’écoute. « Ce que l’on aime comme consultant, c’est comprendre les problèmes, aider dans des situations difficiles et compliquées et on essaie de convaincre, dire que tout est possible, que l’on peut réussir avec le travail, pour peu que les élèves se concentrent et fassent des efforts. » Autre qualité essentielle à la fois du consultant et du prof, savoir s’adapter aux situations et aux personnes également…

Et des défis, l’expert en problem solving en affronte aussi tous les jours. En particulier, gérer l’hétérogénéité des classes, en poussant l’aide aux devoirs, la mise en place aux pauses déj’ de clubs de maths pour les plus forts et des rencontres avec d’anciens élèves qui ont « réussi », des rôles modèles très efficaces. Le défi, c’est aussi de mobiliser les parents et les éducateurs, et ce afin de « créer une coalition d’adultes autour des enfants, notamment autour du sport ». Et quid du langage ? Le conseil en stratégie, un monde où les codes, notamment langagiers, sont légion… « Je n’ai jamais pensé à cela. Je n’ai jamais changé ma façon d’exprimer les choses. On les explique plus simplement, mais on ne réduit pas son niveau de langage. Il n’y a aucune raison de baisser la barre de ce que l’on enseigne. D’autant que les élèves adorent les nouveaux mots… »

Un prof pas nostalgique

Le secteur du conseil en stratégie, il ne le regrette pas, même s’il a « passé 30 années formidables, rencontré des personnes extraordinaires ». Arnaud de Bertier ne compte plus le nombre de missions qu’il a effectuées. Mais deux, emblématiques, restent particulièrement en mémoire. La première « comme toujours », alors qu’il était tout jeune consultant à Milan, une mission de stratégie entre la France et l’Italie dans le secteur des composants électroniques. « Elle était extrêmement complexe et les senior partners avaient des idées différentes les uns des autres. À un moment, ils se sont tournés vers moi, le jeune gars qui a étudié les chiffres et fait les analyses pour savoir ce que j’avais à dire. Et là, j’ai compris ce que voulait dire la non-hiérarchie de McKinsey. Quand on est autour de la table pour travailler à un problème client, la parole de chacun a le même poids. » La seconde, l’une des dernières, dans l’industrie pharma menée entre la France, les États-Unis, l’Allemagne et le Japon, où il s’agissait de trouver une méthodo cohérente sur la stratégie d’un produit entre ces pays à cultures diverses. « Il fallait trouver des indicateurs cohérents et communs tout en prenant en compte les approches thérapeutiques différenciées dans le traitement de la maladie. Passionnant ! »

Comment vit les « affaires McKinsey » celui qui décrit un lien si particulier avec le cabinet mondial ? Comme un observateur, aujourd’hui extérieur, « toujours avec un immense respect pour McKinsey ». Mais il le partage volontiers, « si des erreurs regrettables ont été commises », le cabinet devra rendre des comptes.

Le prof de maths, en pause d’enseignement cette année pour développer un nouveau projet pour l’instant top secret, reste très actif auprès de trois associations axées jeunesse/éducation/égalité des chances dont il est membre : Unis-Cité (association française qui propose aux jeunes un engagement solidaire d’au moins 6 mois à temps plein), d’Article 1 (issue de la fusion de Frateli et Passeport Avenir, qui aide les jeunes issus de milieux populaires à s’orienter, réussir et s’engager), et Ecolhuma, qui soutient les enseignants et chefs d’établissement dans la réussite scolaire des élèves.

Une chose est sûre : il va revenir très vite à l’enseignement en collège, dès la rentrée prochaine, toujours en zone d’éducation prioritaire. Ce dont l’ex-consultant devenu prof de maths est le plus fier en fait, le regard des élèves, « le seul truc qui compte ».

McKinsey
Barbara Merle
26 Mar. 2024 à 15:00
tuyau

Un tuyau intéressant à partager ?

Vous avez une information dont le monde devrait entendre parler ? Une rumeur de fusion en cours ? Nous voulons savoir !

écrivez en direct à la rédaction !

commentaires (6)

Tati Chantou
04 Oct 2024 à 15:33
INCROYAAAABBLLEEE! Quelle belle reconversion. Je vous avoue que moi aussi j'envisage cette reconversion. J'ai 30 ans de conseil dans les pattes (big four, petites boutiques, grandes boutiques, et freelance depuis 10 ans). A 56 ans aujourd'hui, je me donne 2 ans (le temps de laisser mes enfants finir leurs études) et je me lance. La tâche est noble, l'enjeu national. Je suis un pur produit de la République (école public, boursière échelon 9, originaire de l'outremer: l'école m'a tout donné. Comme vous, je vais maintenant rendre! Belle continuité à vous Monsieur mission

citer

signaler

une des élèves de bertier
03 Aoû 2024 à 04:34
un des meilleurs profs que j’ai eu dans ma vie et je pèse mes mots, j’avais toujours des mauvaises notes avec les anciens profs de maths et quand il est venu dans mon collège j’ai réussi à avoir de bonnes notes, de plus je lui racontais mes problèmes quand j’étais pas bien et il m’écoutait toujours, j’espère le revoir vite car il respire la joie de vivre et donne aux élèves l’envie d’étudier sa matière

citer

signaler

Courte Reconversion
03 Avr 2024 à 15:20
Il faut lire cet article jusqu'au bout pour comprendre que cette magnifique reconversion aura fait long feu : "en pause d’enseignement cette année pour développer un nouveau projet".
De l'idéalisme à la réalité de l'éducation nationale...

citer

signaler

ConsultantSEGPA
01 Avr 2024 à 00:34
Un parcours respectable pour une reconversion post senior partner. Il y a un temps pour prendre les millions et un temps pour faire autre chose, ça se défend.

citer

signaler

Didier Meïr LONG
28 Mar 2024 à 14:45
Bravo Arnaud, on est tous hyper fiers de toi et de ton parcours !

citer

signaler

Partner
27 Mar 2024 à 22:25
Respect !

citer

signaler

1024 caractère(s) restant(s).

signaler le commentaire

1024 caractère(s) restant(s).
10 + 5 =

L'après-conseil

  • La consultante de Roland Berger Paris devenue stand-uppeuse à Oslo

    Celles et ceux qui l’ont croisée durant ses années Roland Berger ont pu apprécier sa capacité à faire parler les données stratégiques. Désormais installée en Norvège, Cécile Moroni a choisi le stand-up pour exprimer une autre facette d’elle-même – et s’amuser des différences culturelles.

  • Philippe Peters, le partner passé par Bain, le BCG et McKinsey

    Cela faisait 24 ans que Philippe Peters naviguait au gré des vents favorables sur les mers internationales du conseil en stratégie, et ce, au sein de quatre firmes, Bain, BCG, EY, McKinsey, en Europe et en Asie. Transitoirement consultant indépendant, le partner ès Énergie et Industrie consacre son temps libre à une autre passion, comme bénévole cette fois : il dirige le club de volleyeuses « Les Mariannes 92 » de Levallois Paris Saint-Cloud, menacé de disparition en 2019, qu’il a sauvé en investissant sur ses deniers personnels, et dont l’équipe est championne de France 2024 de Ligue A féminine, l’élite du volley-ball féminin professionnel. Parcours atypique d’un consultant sportif qui sait saisir les opportunités au bond.

  • Après Mawenzi, l’ex-associé recherche une PME lyonnaise à reprendre

    Guillaume Blondon, l’un des cofondateurs de Mawenzi Partners en 2010, a mis fin à son métier de consultant et d’associé de cabinet de conseil en stratégie.

  • L’esprit guinguette pour l’ancien consultant d’EY-Parthenon

    Paul Gobilliard, jeune consultant d’EY-Parthenon de 27 ans, a récemment démissionné pour se lancer avec son frère Baptiste dans un projet ambitieux de restauration qu’ils ont concocté depuis début 2024.

  • Passion tattoos

    Le départ précoce d’une consultante junior chez Bain qui quitte le cabinet pour embrasser sa passion pour les tatouages.

  • Les bifurqueurs vers l’humanitaire : vers un alignement (de sens) des planètes

    Les changements de cap peuvent être pour le moins radicaux. Certains consultants ou ex-consultants décident de quitter les salons dorés du conseil pour se consacrer aux grandes causes humanitaires et philanthropiques. Portraits de trois d’entre eux : Daphné Maurel, Alban du Rostu, deux alumnis de McKinsey, et Bahia El Oddi, une ancienne de Bain, pour qui il était devenu temps d’aligner les planètes de leurs valeurs profondes avec leur carrière pro.

  • Prima : le nouvel entrant de la piz’ parisienne premium

    La restauration chez Jean-Stéphane de Saulieu, c’est un truc qui vient de loin, de sa famille auvergnate, et un avec lequel on ne rigole pas. Voilà un an, l’ancien associate partner de Bain a tiré un trait sur 10 ans de carrière dans le conseil pour un virage pro à 180 degrés. Il est, depuis le début de l’année, le gérant d’une pizzeria haut de gamme aux Batignolles à Paris. Un modèle qu’il compte vite répliquer. Il explique à Consultor les raisons de cette mini-révolution professionnelle – dans laquelle le background conseil sert à tout… et à rien à la fois !

  • « Ginette » réunit tous ses anciens

    Avencore, le cabinet de conseil en stratégie spécialiste de l’industrie, est le partenaire unique de la Soirée Ginette Alumni, une réunion de tous les anciens du prestigieux lycée privé Sainte-Geneviève – une première du genre.

  • Nouveau « brûlot » littéraire d’un ancien du conseil en stratégie

    Il est un secteur qui décidément inspire de plus en plus la littérature. Le conseil en stratégie, et en décor ses cabinets stars, est au cœur de l’intrigue fictionnelle de Bruno Markov, pseudo d’un ex du secteur. Le Dernier Étage du monde, un premier roman au vitriol qui éreinte par là même l’univers des banques d’affaires et de la tech, vient en effet de paraître dans une maison parisienne reconnue, Anne Carrière.

Adeline
L'après-conseil
McKinsey, senior partner, assurance, pharma, enseignement, collège, zone d’éducation prioritaire, Unis-Cités, Article 1, Ecolhuma
13588
McKinsey
2024-03-30 16:46:37
6
Non
L'après-conseil: Arnaud de Bertier : « Chez McKinsey, je
à la une / articles / Arnaud de Bertier : « Chez McKinsey, je ne faisais pas partie des meubles, mais des murs ! »