Bertrand Pointeau : 33 ans chez Bain
Bertrand Pointeau est un vrai Bainie, sans nul doute. Quelque 33 années de Bain & Company à son actif. Une référence en services B2B-B2C. Loin des sirènes des autres cabinets et des grandes entreprises qui l’ont régulièrement chassé. Sa nouvelle mission à temps plein depuis 2023, la pédagogie, en qualité de prof en stratégie titulaire à HEC.
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Il fait partie du cercle ultra-fermé des consultants ayant passé plus de 30 ans dans un seul et unique cabinet (entre 1 à 2 % selon l’intéressé). En 2023, à 62 ans, le senior partner Bertrand Pointeau décide de tourner la page du conseil en stratégie. « Je n’ai pas vu le temps passer. L’un des attraits de ce métier, c’est d’avoir plusieurs vies dans une seule. »
Il était temps pour lui, non pas de la retraite, loin s’en faut, mais de se lancer un nouveau challenge, mêlant passion de son métier et transmission : celui d’être à temps plein professeur associé de stratégie à HEC Paris (il y donne des cours depuis 2018). Une voie presque naturelle pour ce consultant qui s’est « fortement impliqué dans le training chez Bain ». Ses thèmes d’enseignement : la mise en œuvre sur le terrain des concepts de stratégie et la transformation numérique, dans plusieurs programmes HEC : Grande École, MSc., MBA, EMBA, formation continue. « Je souhaitais une autre expérience, utiliser mon savoir-faire et mes compétences d’une autre manière. »
Débuts américains
Rewind. Diplômé de HEC Paris en 1982, puis de l’université Panthéon-Assas (master en droit, 1983), Bertrand Pointeau n’est pas prédestiné au conseil en stratégie. Il débute sa carrière comme ingénieur commercial Grands Comptes chez IBM, « un métier très exigeant et formateur ». Après 4 années, le jeune homme de 27 ans part aux États-Unis, à Philadelphie, complète sa formation initiale avec un MBA de la Wharton Business School.
Et c’est dans cette école que le futur consultant est approché en 1990 par différents cabinets, dont Bain, et son bureau de Boston, « le plus gros, le vaisseau amiral » en plein développement. « Très tôt, moins d’un an après mon arrivée, j’ai eu la chance de faire partie de l’équipe qui conseillait le plus gros fabricant américain de téléphones cellulaires, alors qu’on n’en était qu’aux prototypes. Le but de notre mission a été d’inventer le futur business model de la téléphonie mobile. Une expérience incroyable. »
Retour aux sources
Entre 1993 et 1997, le consultant rejoint une première fois le bureau de Paris, où « j’ai réalisé l’essentiel de ma croissance », promu manager, puis partner en 1997. Il s’est spécialisé sur les secteurs biens et services industriels, « de façon organique », grâce « à des clients avec lesquels j’ai travaillé dans la durée et qui m’ont permis de creuser ce sillon ». Un secteur passionnant caractérisé par une expérience client complexe et multifacette, des approches commerciales sophistiquées et des besoins permanents en termes d’ESG. « Tous les sujets ont des implications opérationnelles et organisationnelles significatives. C’est un secteur à forte intensité de main-d’œuvre avec des enjeux sociaux et humains très importants. Nous avons en France de très beaux acteurs de taille mondiale : Veolia, Engie, Sodexo, Equans/Bouygues… »
Avec une mission mémorable pour ce manager encore « vert », travailler pour un leader mondial d’engins agricoles et de TP qui venait de nommer un jeune CEO. « C’était l’époque du reengineering. Il n’avait peur de rien et voulait une transformation audacieuse. Et il n’a pas hésité à donner les clefs du camion au jeune consultant que j’étais encore, et ce, pendant 2 ans en full-time. Cela m’a fait grandir, m’a donné confiance, m’a permis de changer de dimension. »
C’est aussi en France que Bertrand Pointeau a « l’immense privilège de travailler auprès de Pierre Bellon (le fondateur-CEO de Sodexo, décédé en 2022, ndlr) de façon très proche » durant plusieurs années sur de nombreux sujets. À cette époque, Sodexo devait « changer d’échelle après deux gigantesques acquisitions aux États-Unis et en Grande-Bretagne, qui avaient fait passer l’entreprise d’une taille moyenne au rang de leader mondial. Ma valeur ajoutée, contribuer à stimuler la réflexion de cet homme exceptionnel ».
Cap vers Séoul
Nouveau changement de cap géographique et fonctionnel pour le partner de Bain Paris. Entre 1999 et 2002, Bertrand Pointeau va diriger le bureau de Séoul, arrivé dans une petite équipe à un seul partner et « dans une situation pas simple, alors que la Corée du Sud connaissait une grosse récession ». Une nomination d’un Français dans ce pays asiatique qui peut paraître étonnante. À première vue seulement. « Je connaissais ce pays mieux que la plupart des Occidentaux pour des raisons personnelles ; j’y ai de la famille. » Quatre années denses et complexes où le partner fait passer le bureau à 7 partners et multiplie son chiffre d’affaires par 5. Et là encore, une mission « leitmotiv de mes 4 années en Corée », pour une grande banque coréenne que le partner a accompagnée dans son passage sous capitaux étrangers, « une transformation complète de banque par des capitalistes américains, un choc de culture hallucinant ».
Retour en France en 2003 pour ses années de senior partner, « où l’on porte de grosses responsabilités, on attend beaucoup de vous ». Une période pendant laquelle Bertrand Pointeau a endossé également des responsabilités mondiales, notamment comme membre élu du comité mondial de rémunération et de promotion de Bain pendant 6 ans (entre 2003 et 2009).
Un métier de mentorat
Des consultants inspirants, l’expert en services en a évidemment rencontré. S’entourer de mentors est même une nécessité dans ce métier, « un point essentiel pour réussir ». Pour lui, c’est l’un de ses infatigables prédécesseurs, autre figure historique de Bain, Jean-Pierre Felenbok, 44 ans de cabinet, advisory partner pour la région SEA (Asie du Sud-Est), basé à Singapour. « Une personne fine, subtile, excellent sur le fond, avec une grande solidité, un niveau de jeu bien au-dessus de la moyenne, dans un style toujours discret et parfaitement contrôlé. »
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Jean-Pierre Felenbok a ouvert les cinquième et cinquantième bureaux de Bain & Company dans le monde, à Paris puis à Djakarta.
Le directeur général depuis quelques mois de la région Asie du Sud-Est a réalisé toute sa carrière chez le géant du conseil américain. En trente-huit ans de maison, il a fait de l’international le moteur de sa carrière de consultant en stratégie.
Mais aussi des consultants plus jeunes, « voir des personnes que vous avez connues débutantes accomplir des choses exceptionnelles 10-15 ans plus tard, c’est fabuleux. » À l’instar de Nicolas d’Audiffret, 9 ans chez Bain entre 2003 et 2011, cofondateur (à succès) des plateformes de retail A Little Market, puis Ankorstore. Ou encore Amandine de Souza (chez Bain de 2005 à 2009, ex-DG de Le Bon Coin), Aurélie Toubol (Bainie de 2014 à 2018, fondatrice de Troov), et Bertrand Dumazy (chez Bain de 1994 à 1997, PDG d’Edenred), qui « lorsque je l’ai vu arriver il y a 30 ans, frais émoulu de l’ESCP, il avait déjà quelque chose en plus ».
Le consultant d’hier et d’aujourd’hui
Au cours de ses quelque 33 années de Bain, aux quatre coins de la planète, le consultant a également vu changer en profondeur le métier, tant du point de vue de la demande des clients que de la valeur ajoutée des consultants. « Dans les années 1990, nous travaillions sur les fondamentaux, les gammes du management pour nos clients, dans un monde plus prédictible. Tout a changé, les entreprises sont beaucoup plus sophistiquées dans un monde Vuca (i.e, volatilité, incertitude, complexité et ambiguïté, ndlr) où l’innovation, les enjeux technologiques et environnementaux complexifient notre métier. » La valeur ajoutée du consultant s’est déplacée et se déplace en permanence selon cet expert en stratégie. À ses débuts, les données étaient plutôt rares et difficilement accessibles, le consultant junior était « une sorte d’enquêteur chargé de trouver l’info ». Aujourd’hui, « nous sommes confrontés à une nouvelle disruption, où la phase d’analyse est challengée par l’IA ; c’est un gros pavé dans la mare, mais je reste optimiste, car je ne crois pas au déclin structurel du secteur qui sait être résilient. »
Une formation initiale adaptée ?
Dans ce monde en mutation où le conseil en stratégie doit se réinventer en permanence, les étudiants des grandes écoles futurs consultants sont-ils bien formés ? Un grand oui pour le prof de HEC Bertrand Pointeau. « Ils ont accès à un capital intellectuel très à jour sur les sujets du moment, apprennent les techniques de problem solving, travaillent continuellement sur des projets en groupe, et accomplissent au moins une année de césure, dont une partie en cabinet. » Ce qui, en revanche, fera la différence, selon le professeur en stratégie, c’est leur engagement lors des études. « Le futur bon consultant, c’est celui qui aura participé en classe de façon active, aura pris la parole, aura donné le meilleur dans les travaux de groupe. L’étudiant qui reste en retrait ou construit seulement son image avec les fêtes du BDE devient rarement un bon consultant, sauf exception ! »
Par ailleurs, il sera nécessaire, tout au long de la carrière, de rester curieux, s’ouvrir à d’autres mondes, d’autres sources de connaissances et d’expertises, « même si on a très souvent la tête dans le guidon ». Et Bertrand Pointeau l’admet, cette approche, d’ouverture et d’humilité, « est beaucoup plus importante que ce que je pensais quand j’étais encore consultant. »
La transmission est aujourd’hui bel et bien son fil conducteur professionnel. Une mission de grande responsabilité qui le rend fier. « Rien ne me rend plus heureux que de recevoir des messages de remerciements d’étudiants qui ont appliqué avec succès ce qu’ils ont appris dans mon cours, lors d’entretiens de recrutement. Je donne beaucoup de feedback personnalisé à mes étudiants, c’est quelque chose qu’ils apprécient beaucoup et dont ils ont besoin. »
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