Etudes des cabinets : sous la R&D, de la publicité ?
Les publications des cabinets les plus fameux sont très souvent reprises, notamment par la presse économique.
Guy-Noël Chatelin, partner OC&C, Denis Cosnard des Échos et Stéphan Julienne de L'Usine Nouvelle décortiquent le buzz de ces publications qui mélangent com' et R&D – non sans succès – dans les médias.
Les deux derniers rapports sortis par le BCG, parmi sept autres du même acabit rendus public depuis le début du mois de mai n’ont pas dérogé à la règle : les cabinets de conseil, notamment en matière d’économie, sont entendus et écoutés par les médias.
89 articles sur un rapport du BCG
Le 31 mai, c’était l’édition 2012 du tour d’horizon annuel sur l’état du wealth management, le secteur de la gestion du patrimoine offerte par les banques aux ménages les plus fortunés. Coordonné par Monish Kumar, managing director du cabinet de New York, il indique que le marché a crû, quoique moins que les années passées. Peu importe, le jour même ou le lendemain, l’information principale selon laquelle 12,6 millions de ménages ont plus d’un million de dollars d’actifs financiers non immobiliers est reprise in extenso, entre autres par Le Figaro, par Capital, par L’Express qui reprend la dépêche de l’AFP, par La Tribune de Genève qui s’étonne que la « Suisse affiche la plus forte densité de super riche », par la RTBF en Belgique…
Cinq jours plus tard, le cabinet y allait cette fois-ci d’une analyse des nouvelles pratiques de consommation sur le marché du luxe. Diligenté par Jean-Marc Bellaiche, senior partner à New York, elle recense les habitudes d’achat de 1000 ménages très aisés. Les médias s’emparent comme un seul homme des résultats sur des axes plus restreints : « La Chine sera le premier marché mondial du luxe dès 2015 » écrit Challenges, alors que l’AFP opte pour une approche plus large, et titre « Le marché du luxe reste un roc dans la tempête, mais confronté à des défis ». Et de croiser ces premières données avec une seconde source : « Selon une étude du Boston Consulting Group (BCG) parue mardi, le marché des biens personnels de luxe (vêtements, accessoires, bijoux...) progressera d'ici 2014 de 3 à 7%. Le cabinet Bain&Company prédit lui 6 à 7% de mieux en 2012. ». Les commentaires d’Olivier Abtan, managing director du BCG à Paris depuis février 2011 se retrouvent par la magie des reprises d’agence dans Challenges, L’Usine Nouvelle et 20 Minutes. Alors que les données elles sont reprises in extenso par Reuters, Le Républicain Lorrain, BFM Business, Boursorama, et même Afrique Expansion Magazine qui s’interroge sur les « leçons » que l’Afrique doit tirer du rapport.
Et ce n’est qu’un relevé non exhaustif sur les seuls médias francophones. Le même jour, une requête dans Google News génère pas moins de 89 articles en anglais, dans des médias aussi respectables que le Wall Street Journal, Reuters (mais en anglais cette fois), The Guardian, Business Week, CNN Money, CNBC ou, sous d’autres tropiques, The Jakarta Globe.
Les cabinets sont suivis par les médias pour leur marque et la qualité intrinsèque des études
"Il y a deux choses. La marque est déterminante : lorsque l’on reçoit une étude du BCG ou de McKinsey et consorts, on la lit automatiquement. Après vient leur qualité intrinsèque. Certaines sont régulières et permettent de raconter une histoire dans le temps, ce que les journalistes adorent ! Il y a par exemple une étude de Booz qui indique tous les ans les patrons qui se font licencier [la dernière mouture a été publiée fin mai, NDLR]. Quand les cabinets peuvent se créer une compétence forte dans un domaine donné, ils sont généralement suivis, même s’il m’est arrivé de me rendre dans de prestigieuses maisons de conseil pour entendre des banalités, que dans ces cas-là on laisse de côté", décrypte Denis Cosnard, chef du département Industrie au quotidien économique Les Échos.
Mêmes précautions d'usage à L'Usine Nouvelle : "Ils ont les experts dans les domaines traités, et sont la plupart du temps à l’origine de publications originales. Ce qui ne veut pas dire que nous nous interdisons de faire des enquêtes contradictoires ou de compléter des points qui n’auraient été abordés que partiellement à partir des documents qu'eux produisent », explique Stéphan Julienne, rédacteur en chef Web.
Et pareille attention ne se limite pas aux publications du seul BCG. AT Kearney a de son côté développé un prix de l'innovation depuis 2004, Best Innovator, qu'il décline dans une quinzaine de pays où il est présent. En France, les lauréats de l'édition 2012 seront annoncés en décembre, en partenariat avec BFM Business. Le président de Neovian Partners, Patrick Richer anime quant à lui une chronique pour Le Nouvel Économiste, ce que fait aussi régulièrement Charles-Édouard Bouée, membre du comité exécutif de Roland Berger, et Jean Estin, fondateur d'Estin & Co, pour le magazine de Polytechnique, le Jaune et le Rouge.
Sans parler des propres médias, sites et magazines conçus par les cabinets qu'ils utilisent pour diffuser leur recherche : McKinsey Quarterly, le ThinkAct de Roland Berger, Prism le magazine biannuel d'Arthur D. Little qui a même son App pour iPad, BCG Perspectives, ou La Revue de Kea & Partners.
"Des cabinets plus anonymes qui proposent des études vont avoir beaucoup plus de mal à attirer l’intérêt de la rédaction. Comme à un examen, les grandes marques sont par principe admissibles, reste à voir l’admission", tempère Denis Cosnard.
De la R&D certes, mais orientée vers les intérêts de possibles clients
OC&C s'est fait sa place dans ce petit groupe de sources crédibles a priori, avec son classement des 50 premières entreprises de la grande consommation, dont la 10e édition sortira en juillet prochain, mais aussi un classement des sites de e-commerce ou un baromètre de l’ « image prix » – l’écart entre le prix pratiqué par le commerçant et la perception qu’en a le client. Au total, ce sont une quinzaine de publications par an, certaines récurrentes, et d'autres ponctuelles comme le "Phénomène Groupon" abordé en 2011.
"Pour nous, ça s’inscrit dans une démarche de recherche et développement dans des secteurs où nous avons une bonne part de marché et sur des sujets qui intéressent les dirigeants. Typiquement, les prix dans la grande consommation intéressent les consommateurs, et donc les dirigeants. Nous cherchons à nourrir le dialogue avec eux, et pour ce faire le seul moyen de les intriguer c’est de publier une partie de la quinzaine d’études que nous publions chaque année dans la presse. Nous choisissons de ce fait des supports médias qui sont typiquement lus par notre cible : LSA, avec lequel nous écrivons conjointement notre classement annuel des entreprises de la grande consommation, mais aussi Le Figaro Économie ou Les Échos", dit Guy-Noël Chatelin, partner OC&C à Paris depuis 2007.
Par le biais de leurs publications médiatisées, les cabinets cherchent beaucoup plus la notoriété spontanée – comme lorsque Roland Berger se charge de monter une agence de notation -, que des retombées immédiates en termes de clientèle. "Le retour que cela génère n’est pas quantifiable. La relation avec un client ou un prospect se bâtit dans la durée", confirme Guy-Noël Chatelin, d'OC&C.
Et la notoriété peut être d'autant plus grande que le sujet est politique. Ainsi de l’étude d’impact du numérique dans l’économie française produite par McKinsey, financée par Google et remise en grande pompe à Bercy en mars 2011, ou son estimation publiée début mai des quelque 4 millions d’emplois qui resteront non pourvus à échéance 2020 si la politique hexagonale de formation n’évolue pas.
Ou alors lorsque le sujet est franchement plus simpliste et par là même vendeur, comme cette partie du rapport du BCG sur l'économie Internet du G20, qui s'intéressait à ce que les usagers seraient prêts à abandonner pour conserver une connexion Internet : 20% des sondés ont répondu le sexe. Succès garanti dans les médias.
Benjamin Polle pour Consultor, portail du conseil en stratégie- 11/06/2012
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